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rieure au taux du dernier ressort, le juge ne pourrait prononcer sur cette réclamation qu'à charge d'appel, alors même qu'elle se présenterait seule. L'autre réclamation, qui doit être jugée en même temps que la première, ne peut faire perdre au plaideur le bénéfice d'appel attaché à cette première demande. Il fallait donc admettre que, dans ce dernier cas, l'appel resterait ouvert pour le litige en son entier. C'est sur ces idées que repose l'art. 22 de la loi belge. 839. La jurisprudence a fait de nombreuses applications de cette règle.

Ainsi la cour de Liége décide que l'appel est non recevable defectu summæ, alors même que l'opposant à un commandement réclame reconventionnellement une somme qui, jointe à celle qui fait l'objet de ce commandement, dépasse le taux du premier ressort. 22 juin 1852 (Pas., 1853, 2, 68). Dans l'espèce, la demande reconventionnelle était fondée sur le défaut de contenance de la ferme, et sur des dommages causés par la propriétaire. Il ne s'agissait donc pas de dommages-intérêts réclamés reconventionnellement pour préjudice causé par l'action principale. Si telle avait été la question, la solution aurait dû être toute différente.

La cour de Bruxelles décide, dans le même sens que la cour de Liége, qu'il n'échet pas appel sur la demande en payement de loyer et en résolution du bail, lorsque le taux pour la durée du bail ne s'élève pas à 2,000 fr., quoique le défendeur ait fait une demande reconventionnelle qui, elle-même, ne s'élève pas au-dessus du taux du premier ressort. 10 mai 1856 (Journal de procédure de Martens, 1857, p. 325).

840. Dans l'hypothèse au contraire où la demande principale ou bien la demande reconventionnelle est supérieure à 2,000 fr., l'appel est recevable sur le tout.

C'est ce qui a été jugé à diverses reprises. Ainsi, la cour de Liége déclare l'appel recevable alors que le premier juge, en statuant sur un chef de demande principale de moins de 2,000 fr., écarte, quant à présent, et en la réservant, une demande reconventionnelle de plus de 2,000 fr. Liége, 23 février 1850 (Pas., 50, 2, 269).

La loi, dit fort justement l'arrêt, pour déterminer quand une cause est appelable, n'a pas égard à ce qui a été adjugé en première instance, ni à ce qui se trouve déféré en degré d'appel, mais au montant total des demandes soumises au premier juge. »

Nous avons vu, en effet, que ce sont les conclusions des parties et non la hauteur de la condam nation qui déterminent le ressort (supra, no 565). La cour de Liége décide dans le même sens qu'une demande reconventionnelle supérieure à 2.000 fr. ne donne pas droit à appel lorsqu'elle n'a pas été libellée en première instance. Liége, 11 mars 1858 (Pas., 58, 2, 140).

Les conclusions prises en appel ne peuvent ayoir de l'influence sur le ressort. Le principe

contraire amènerait cette conséquence que le demandeur par action principale et le défendeur par action reconventionnelle pourraient, dans toutes les hypothèses, obtenir l'appel par leur seule volonté. Il leur suffirait de majorer devant la cour les conclusions prises en première instance.

Il y a de même lieu à deux degrés de juridiction parce qu'il y a demande reconventionnelle supérieure au taux du dernier ressort dans l'hypothèse suivante: A une demande en validité de saisie-arrêt, pour 2,000 francs, en vertu d'une créance supérieure à ce chiffre, il est opposé une conclusion tendante à ce que le créancier soit déclaré déchu de l'intégralité de sa créance. Le jugement qui rejette cette conclusion et valide la saisie est susceptible d'appel. La conclusion prérappelée ne constitue point une simple exception de défense. C'est ce que décide la cour de Bruxelles par arrêt du 4 avril 1857 (Pas., 58, 2, 186).

Et en effet le défendeur demandait non-seulement que son créancier fût repoussé sur la demande en validité de saisie-arrêt pratiquée pour une somme iuférieure au taux du dernier ressort, mais encore que la dette supérieure à 2,000 fr., dette subsistant indépendamment de la saisie, fût déclarée non existante pour l'avenir. Dès lors, il existait une véritable demande reconventionnelle, et comme elle était supérieure à 2,000 fr., l'appel était recevable pour le tout.

L'appel est de même recevable si, à l'occasion d'une demande qui n'atteint pas le taux voulu pour l'appel, le défendeur qui avoue la dette oppose une créance en compensation, même sans conclure au payement de l'excédant.

C'est ce que la cour de Bruxelles a décidé par arrêt du 25 février 1852 (Pas., 1852, 2, 340 ).

Il est à remarquer que le défendeur, bien loin de renoncer à l'excédant de la créance qu'il opposait en compensation, avait conclu sous réserve de tous droits et actions à faire valoir en temps et lieu contre le demandeur. ›

Le juge avait à apprécier la créance présentée reconventionnellement pour voir si la compensation existait; le litige qui lui était soumis était ainsi, en définitive, supérieur à 2,000 fr. Un titre supérieur à ce chiffre était en contestation entre parties. On peut appliquer ici par analogie ce que nous avons dit de la valeur du litige lorsqu'un titre est soumis à l'appréciation du juge par le demandeur principal (supra, no 575).

Ainsi, il faut décider que la demande en compensation entraîne l'appel de la contestation entière quand elle nécessite l'examen de la validité d'un titre d'une valeur supérieure à 2,000 fr.

Mais pour l'existence de la compensation il ne suffirait pas que, dans une siguification antėrieure aux conclusions d'audience, le défendeur annonçat vouloir opposer la compensation, si les conclusions se bornaient à demander la libération du défendeur.

C'est ce que la cour de Bruxelles a décidé par

arrêt du 26 décembre 1827 (Pas., 27, 2, 352). La cour de Liége a décidé dans le même sens par arrêt postérieur à la loi de 1841, que le défendeur qui se borne à opposer une défense à la demande principale ne produit pas une véritable demande reconventionnelle, et que par conséquent il n'y pas lieu d'apprécier cette défense au point de vue du ressort. Liége, 19 janvier 1843 (Pas., 43, 2, 376).

Nous avons à peine besoin de dire que si la demande principale et la demande reconventionnelle étaient toutes deux supérieures au taux du dernier ressort, l'appel serait nécessairement recevable. Ce principe est incontestable puisqu'il suffit pour la recevalité de l'appel que l'une des demandes soit supérieure à 2,000 fr. 841. Une autre question a surgi devant la cour de Liége.

Une demande inférieure à 2,000 francs avait été soumise au premier juge. Une autre demande, supérieure, au contraire, au taux d'appel, avait été produite devant le même tribunal par le défendeur à la première demande. Cette demande avait été introduite par assignation séparée.

La cour de Liége décide que la seconde demande devait être considérée comme reconventionnelle, et que l'appel était dès lors recevable, puisque l'import de la seconde réclamation dépassait 2,000 fr. Voici en quels termes la cour se prononce :

Quant à la recevabilité de l'appel defectu summæ et la demande de jonction :

Attendu que la demande formée par les intimés contre l'appelant, devant le tribunal de commerce, en payement de fournitures de pierres de taille pour la construction de l'église de Grivegnée, est fondée sur la convention verbale intervenue entre parties;

Que, par exploit du 30 mars 1858, l'appelant a répondu à cette demande et, se fondant sur la même convention, a assigné le sieur Mention, l'un des intimés, devant le même tribunal, en payement de 5,000 fr. pour dédommagement du préjudice à lui occasionné par les défectuosités et l'inachèvement des pierres et leur fourniture tardive et irrégulière;

Attendu que ces deux demandes portées devant la même juridiction sont soumises aux mêmes règles de procédure; qu'elles dérivent de la même affaire et de la même convention et sont par conséquent essentiellement connexes; que, d'autre part, on ne saurait méconnaître que celle de l'appelant, bien qu'introduite par voie d'assignation, présente tous les caractères d'une véritable action reconventionnelle, puisqu'elle est de nature à influer éventuellement sur la demande principale dont elle tend à modifier ou à restreindre les effets;

Attendu que, par son chiffre, celle-ci excède le taux du dernier ressort et que l'appelant, en sollicitant la jonction, en a fait l'objet de ses conclusions dans l'instance principale devant le premier juge;

Attendu que le degré de juridiction ne dé

pend pas du fait du juge, mais se détermine définitivement par les conclusions qui lui ont été soumises;

Que, d'après ces considérations, les jugements par lesquels le premier juge a refusé la jonction sollicitée et prononcée séparément sur les deux actions, doivent être considérés l'un et l'autre comme rendus en premier ressort, et qu'il y a lieu de déclarer l'appel recevable et d'ordonner la jonction des deux causes... » 6 mai 1859 (Pas., 60, 2, 114).

Il est à remarquer que, dans l'espèce, la seconde demande présentée n'avait pas le caractère de demande incidente. C'était une réclamation séparée qui se produisait; mais cette réclamation étant connexe à la première demande, produite d'ailleurs devant les mêmes juges, formait une véritable demande reconven. tionnelle.

La cour applique donc au cas de demande reconventionnelle la prescription de l'art. 171 du code de procédure civile qui permet le renvoi pour connexité.

Quant à la circonstance que le premier juge s'était refusé à prononcer la jonction des deux causes, la cour n'y a pas égard. Et en effet ce sont les conclusions des parties et non le jugement prononçant sur les conclusions qui fixent la compétence (supra, no 565).

Nous avons vu que la jonction d'instances qui ne serait pas basée sur la connexité resterait sans effet sur le ressort (supra, no 640).

842. Il n'est pas douteux que la qualification donnée par le tribunal à son jugement ne peut avoir d'influence sur le ressort.

Sous ce rapport la règle de l'art. 453 du code de procédure civile est applicable aux demandes reconventionnelles. L'art. 10 de la loi de 1841 étend aussi formellement le même principe aux justices de paix (supra, no 474).

Le tribunal de Liége a spécialement appliqué cette règle au cas où la demande reconventionnelle dépassait le taux du dernier ressort. L'appel était ouvert, bien que le jugement se fût qualifié en dernier ressort. 19 novembre 1853 (Recueil de Cloes et Bonjean, t. 2, p. 479).

843. Lorsque des dommages-intérêts sont réclamés sous forme de demande reconventionnelle, y a-t-il lieu de les prendre en considération pour la détermination du ressort?

Cette question nous paraît nécessiter une distinction, selon que les dommages-intérêts réclamés reconventionnellement ont leur base dans un fait antérieur à l'action ou prennent leur source dans le litige lui-même.

Considérons d'abord la première de ces hypothèses.

Quand des dommages-intérêts sont réclamés par le défendeur pour une cause qui préexistait à la demande dirigée contre lui, on peut dire qu'ils ont une existence propre. Ils sont séparés de l'action, en ce sens que, en supposant même que celle-ci n'eût jamais pris naissance, les dommages-intérêts auraient ce

pendant pu être réclamés par action principale. Dans ce cas, la demande reconventionnelle a nécessairement une autre base que l'action du demandeur.

Quant à l'existence propre, et à la valeur séparée des demandes de dommages-intérêts, nous pouvons nous borner à renvoyer à ce que nous avons dit des mêmes réclamations présentées par le demandeur, et ayant une base antérieure à l'action (supra, no 610).

Antérieurement à la loi de 1841, la jurisprudence avait à plusieurs reprises consacré le principe, pour ce qui concerne la demande en dommages-intérêts produite par le défendeur, pourvu, bien entendu, que cette dernière demande ne fût pas basée sur la réclamation principale.

La jurisprudence décidait qu'il y avait lieu à appel si les dommages-intérêts réclamés par forme de reconvention étaient fondés sur une cause antérieure au litige, et avaient une valeur qui, réunie à la demande principale, excédât la somme de 1,000 fr. Bruxelles, 4 avril 1829 (Pas., 29, 134); Bruxelles, 16 mars 1832 (Pas., 32, 2, 86;; Bruxelles, 21 mars 1832 (Pas., 32, 2, 90). Il était décidé dans le même sens qu'on devait cumuler l'objet de la reconvention avec l'objet de la demande principale pour prononcer sur la recevabilité de l'appel. Liége, 13 mai 1815 (Pas., 15, 375); Bruxelles, 27 mai 1818 (Pas., 18, 111); Liége, 19 juillet 1819 (Pas., 19, 437); Bruxelles, 3 décembre 1830 (Pas., 30, 218); Brux., 23 juill. 1834 (Pas.,34,2, 194); Bruxelles, 5 juillet 1857 (Pas., 37, 2, 177); Liége, 4 janvier 1840 (Pas., 40, 2, 1); Bruxelles, 28 novembre 1840 (Pas., 41, 2, 199).

Comme nous l'avons vu (supra, no 838), le principe de ces arrêts est abrogé par l'article 22, en ce sens qu'aujourd'hui il ne faut plus, pour la fixation du ressort, cumuler la demande principale avec celle en dommages-intérêts.

Il suffit que l'une ou l'autre de ces demandes soit supérieure à 2,000 fr. pour que l'appel reste ouvert. Mais il est incontestable que la loi de 1841 n'a pas voulu changer le caractère des dommages-intérêts demandés reconventionnellement. Ils n'ont pas cessé de compter dans la valeur de la réclamation lorsqu'ils ont une cause antérieure au litige. La généralité des termes de l'art. 22 ne laisse aucun doute à cet égard. Il en est surtout ainsi en présence de la jurisprudence antérieure à la loi de 1841.

844. Envisageons maintenant la seconde hypothèse, celle où des dommages-intérêts réclamés par le défendeur n'ont d'autre base que la demande principale.

Antérieuremeut à la loi de 1841, aucun doute ne paraissait possible en ce qui concerne le caractère de ces demandes reconventionnelles. On les considérait unanimement comme des accessoires de la demande. Ils n'avaient aucune influence sur la valeur de la contestation, parce qu'ils ne venaient à naître qu'après que le litige existait déjà. Nous avons donné les raisons qui faisaient considérer comme accessoires les dom

mages-intérêts réclamés par le demandeur, mais n'ayant d'autre base que la demande elle-même (supra, no 609). Ce que nous avons dit à propos de ces réclamations reste vrai à propos de celles exercées par le défendeur. Aussi, antérieurement à la loi de 1841, la jurisprudence belge, d'accord d'ailleurs avec la doctrine et la jurisprudence françaises avait décidé à plusieurs reprises que les dommages-intérêts réclamés par le défendeur restaient sans influence sur le ressort quand le préjudice allégué provenait de l'action elle-même. La cour de Gand, par arrêt du 17 juill. 1833 (Pas., 33, 2, 205); celle de Liége, pararrêt du 25 juill. 1833 (Pas., 33, 2, 208), et la cour de cassation belge par arrêt du 21 mai 1839 (Pas., 39, 1, 98) s'étaient spécialement prononcées en ce sens. Ce dernier arrêt est précédé de conclusions remarquables de M. le procureur général Leclercq. Cet honorable magistrat considère le principe comme au-dessus de toute controverse. Rappelons une application du même principe dans le cas où des dommagesintérêts sont réclamés reconventionnellement par le saisi (supra, no 646), et renvoyons sur ce point à la jurisprudence que nous avons déjà signalée.

Un arrêt de la cour de Bruxelles du 12 janvier 1839 avait, à vrai dire, décidé que la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par le défendeur, pour calomnies dirigées contre lui dans la requête présentée afin d'obtenir l'urgence, ne pouvait être considérée comme un accessoire de la demande, et partant devait entrer en ligne de compte pour apprécier la recevabilité de l'appel (Pas., 39, 2, 6).

Mais cet arrêt n'est pas contraire aux principes que nous avons exposés. Il constate, en effet, expressément que la demande reconventionnelle prenait son fondement dans un fait antérieur à la citation introductive de l'instance. La demande cessait donc nécessairement d'être un accessoire, et la cour de Bruxelles ne fait que consacrer le principe que nous avons exposé dans notre numéro précédent.

845. Le principe que nous venons d'énoncer est-il applicable sous l'empire de l'art. 22 de la loi de 1841?

La négative peut s'appuyer d'abord sur la comparaison entre la loi belge et les lois françaises au point de vue qui nous occupe.

La loi du 11 avril 1838 sur les tribunaux civils porte: Article 2, § 3. Néanmoins il sera statué en dernier ressort sur les demandes en dommages-intérêts, lorsqu'elles seront fondées exclusivement sur la demande principale. L'art. 1o de la loi du 3 mars 1840 sur les tribunaux de commerce contient une disposition tout à fait analogue.

Il résulte de ces textes que le législateur français a jugé utile d'énoncer le principe de l'inefficacité, au point de vue du ressort, des dommages-intérêts réclamés par le défendeur, lorsque le préjudice allégué n'a d'autre base que la demande elle-même.

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La loi belge de 1841 ne contient aucune disposition analogue sur les dommages-intérêts. On pourrait en conclure que le législateur belge, qui, dans le cours de son œuvre, a suivi presque pas à pas le législateur français, et qui connaissait, à n'en pas douter, le texte des lois françaises, n'a pas voulu consacrer le principe qu'elles proclamaient? Telle est, dit-on, la raison de l'abstention de la loi belge.

Dans le même ordre d'idées, on peut tirer argument de l'interprétation de la loi française relative aux justices de paix. Cette loi (25 mai 1838) ne reproduit pas l'exception contenue dans le § 3, art. 2 de la loi du 11 avril sur les tribunaux civils. L'art. 7 de la loi sur les justices de paix se borne à donner compétence au juge de paix pour les demandes reconventionnelles en dommagesintérêts fondées exclusivement sur la demande principale elle-même, et ce à quelque somme qu'elles puissent monter. Mais la disposition ne statue rien quant à l'appel et ne dit pas que la compétence du juge sera, dans ce cas, limitée par celle existant pour la demande principale. La question se présente donc pour la loi du 25 mai 1838 exactement dans les mêmes termes que pour la loi belge de 1841. Ni dans l'une, ni dans l'autre de ces lois, la valeur de la demande reconventionnelle en dommages-intérêts fondée sur la réclamation principale, n'est déterminée spécialement. Que décide-t-on en France quant à la valeur de cette demande devant les justices de paix?

Malgré la jurisprudence antérieure à 1858, qui considérait la demande en dommages-intérêts fondée sur la demande principale comme un accessoire de cette demande, plusieurs arrêts des cours de France décident que, sous l'empire de la loi du 25 mai 1838, on ne peut plus s'en rapporter à la demande principale pour déterminer le ressort quant à la demande reconventionnelle en dommages-intérêts fondée sur cette réclamation.

Ce principe est particulièrement admis par la cour de cassation de France, dans un arrêt du 16 juin 1847 (Dalloz, Périodique, 47, 1, 297, et S.-D., 47, 1, 417, et les notes dans ces deux recueils).

Cet arrêt se base principalement sur ce que la règle de l'art. 2, § 3, de la loi du 11 avril 1858 n'est pas répétée par l'art 7 de la loi du 25 mai de la même année, et sur ce que la demande en dommages-intérêts, alors même qu'elle est fondée sur la demande principale, est néanmoins reconventionnelle et comme telle influe sur le ressort, aux termes de l'art. 8 de la loi sur les justices de paix. Un second arrêt de la cour de cassation de France du 27 juillet 1858 (Dalloz, Périod., 58, 1,317) consacre la même doctrine, qui est celle de M. Pont (Revue de législation, 1847 t. 3, p. 30, de M. Tempier (n° 160) et de M. Foucher (Comm. de la loi du 25 mai 1838, no 356). Cette argumentation se renforce en Belgique du texte de l'art. 22.

Il n'existe sous notre loi nouvelle, dit M. Cloes,

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qu'une seule prescription, celle que, pour déterminer la compétence du juge en premier ou en dernier ressort, il faut apprécier isolément les deux demandes principale et reconventionnelle ou en compensation, et cela d'une manière absolue, sans distinguer quel en est l'objet; qu'il s'agisse de dommages-intérêts fondés ou non fondés sur la demande principale. Il suffit, aux termes de l'art. 22, que la demande reconventionnelle soit opposée à la demande principale, pour que l'appréciation séparée des deux demandes devienne obligatoire; et cette disposition a été sanctionnée précisément pour les demandes de cette nature formées par le défendeur, puisque l'article 14 prévoit celles formées par le demandeur.

«On doit en conclure que la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par le défendeur, peu importe à quel titre, doit être prise en considération pour fixer le taux du premier ou du dernier ressort. »

Quant à la jurisprudence antérieure à la loi de 1841, M. Cloes la repousse en niant qu'il y ait aujourd'hui parité de raisons pour décider dans le même sens. Qu'induire, dit-il, de cette jurisprudence sous la loi actuelle? Absolument rien, à notre avis. Toute la question était de savoir si on devait réunir à la demande principale la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par le défendeur, et la jurisprudence avait consacré une distinction entre les dommages-intérêts antérieurs et postérieurs à la demande principale.

Mais, sous la loi actuelle, cette distinction ne peut plus être faite : le législateur a proscrit le principe de la réunion, il a établi, au contraire, l'appréciation séparée des deux demandes: d'où il suit que, dans le sens de la loi, elles forment, l'une et l'autre, des demandes principales et nou des demandes accessoires; elles sont, ainsi que le dit M. Liedts dans son rapport, deux demandes distinctes et séparées, c'est pourquoi le législateur a voulu qu'on les envisageât isolément.

Ainsi la loi actuelle n'a pas adopté les errements de la jurisprudence antérieure, comme elle a fait en ce qui concerne les dommagesintérêts réclamés par le demandeur;

Cette loi n'est donc pas muette sur la question, puisqu'elle parle des demandes reconventionnelles en général : notre disposition est donc applicable, à moins qu'on ne prétende que les dommages-intérêts réclamés par le défendeur, sur l'action qui lui est intentée, ne constituent pas une demande reconventionnelle, ce qui nous paraît insoutenable. » (Comm., no 279.)

La cour de Gand admet l'opinion de M. Cloes par un arrêt du 8 août 1854 (Pas., 54, 2, 340). La cour commence par établir qu'en droit, les dommages-intérêts produits par le défendeur et dont la cause est puisée dans l'action elle-même sont une demande reconventionnelle et doivent être pris en considération pour fixer le ressort. Mais l'arrêt finit par conclure que, dans l'es

pèce, la demande de dommages-intérêts était basée sur des faits antérieurs à la demande. L'arrêt développe des raisons analogues à celles énoncées par M. Cloes. Il expose de plus en ces termes les inconvénients qui résulteraient de la doctrine contraire: Attendu que, de son côté, la disposition de la loi française peut offrir de graves inconvénients dans son application; qu'en effet, une demande reconventionnelle déclarée fondée pourrait souvent entraîner la ruine du demandeur qui succombe, sans que celui-ci pût avoir recours à l'appel; que le résultat contraire peut être aussi fatal aux défendeurs, lorsqu'une affaire est mal appréciée par le premier juge, et qu'il s'est agi, par exemple, d'une action principale qui a porté une grave atteinte au crédit d'une maison de commerce; qu'il est vrai qu'il arrivera plus souvent que les défendeurs chercheront à prolonger les procès par des appels non fondés; mais au législateur seul appartient, comme il a été établi, d'admet tre cette exception, s'il la croit utile... »

Cet arrêt de la cour de Gand est resté isolé. Malgré les motifs spécieux qui la soutenaient, l'opinion de M. Cloes n'a pas prévalu en jurisprudence.

846. Réfutons rapidement les arguments présentés à l'appui de sa thèse.

Nous avouons, avec la cour de Gand, qu'il peut, dans certains cas, y avoir danger à re pousser l'appel quand il s'agit de demandes en dommages-intérêts n'ayant d'autre base que l'action principale, mais d'une valeur considérable. Mais la cour semble vouloir enlever ellemême toute valeur sérieuse à son objection, en ajoutant que le plus souvent les dommages-intérêts basés sur l'action principale n'ont d'autre but que de retarder la solution du procès.

Tel est, en effet, le danger du système préconisé par M. Cloes. Si les dommages-intérêts présentés par le défendeur peuvent avoir de l'influence sur le ressort, alors même qu'ils n'ont d'autre base que la demande, on peut dire que le défendeur a le moyen de se réserver l'appel dans toutes les affaires possibles. Il lui suffira d'alléguer que le préjudice subi par suite de l'action est d'une valeur supérieure à 2,000 francs. Cette demande étant reconventionnelle entraînera l'appel, même sur la demande principale, aux termes de l'art. 22.

Si le législateur belge avait consacré un tel principe, à quoi serviraient les précautions nouvelles qu'il a eu soin de prendre pour empêcher l'appel dans les affaires peu importantes? A quoi conduirait, par exemple, l'évaluation forcée du litige exigée par les art. 8, 15 et suivants? Nous avons vu que le but de cette évaluation est précisément d'empêcher l'appel pour des causes minimes. Ce que le législateur interdit formellement au demandeur, comment pourraitil le permettre au défendeur par le moyen détourné de la demande reconventionnelle?

L'économie générale de la loi et le but que le législateur de 1841 a constamment poursuivi

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nous interdisent donc tout d'abord de nous rallier à l'opinion de M. Cloes.

Mais le texte de la disposition a-t-il le sens que lui prête ce jurisconsulte?

Les expressions demandes reconventionnelles s'appliquent-elles à des demandes produites par le défendeur, mais n'ayant d'autre base que la réclamation principale?

Les termes mêmes de l'art. 22 nous prouvent que le législateur de 1841 n'a pas voulu consacrer une pareille doctrine. Lorsque à la demande principale, dit la disposition, il est opposé une demande reconventionnelle. La demande opposée à l'action principale doit être une défense à cette demande, un moyen de la repousser. Tel est le caractère véritable de toute demande reconventionnelle. Mais il est impossible de considérer comme opposée à une demande principale, c'est-à-dire comme capable d'anéantir la demande, une réclamation qui ne prend sa source que dans cette demande elle-même. Les dommages-intérêts réclamés par le défendeur ne peuvent en aucun cas avoir la moindre influence sur le fondement ou sur le chiffre de la demande, puisque c'est seulement dans l'hypothèse où la demande est repoussée par le juge que celle en dommages-intérêts produite par le défendeur peut être favorablement accueillie. On peut donc dire que, loin d'être opposée à la demande principale, la réclamation de dommages-intérêts n'apparaît ou du moins ne peut être jugée qu'après que le juge a sa conviction faite sur la demande principale.

Le rapport de M. Liedts à la chambre des représentants corrobore cette interprétation du sens à donner aux mots : demandes reconventionnelles ou en compensation. D'après M. Liedts, qui n'a trouvé d'ailleurs aucun contradicteur dans nos chambres législatives, « les demandes (dont il s'agit dans la disposition) sont tout à fait distinctes et séparées; l'une ne tend pas à augmenter la valeur de l'autre, mais bien plutôt à la diminuer › (supra, no 838).

Ce caractère attribué aux actions reconventionnelles écarte complétement les demandes en dommages-intérêts, qui, loin d'être distinctes et séparées de la réclamation principale, loin de tendre à la diminuer, se présentent, nous l'avons prouvé, postérieurement à la demande, et ne peuvent donc en aucun cas la diminuer.

Ce qui confirme l'interprétation que nous donnons à l'art. 22, c'est la jurisprudence antérieure à la loi de 1841.

Il est incontestable que, avant cette loi, aucun doute ne pouvait exister quant au caractère qui appartenait aux demandes de dommages-intérêts produites par le défendeur et n'ayant d'autre base que la demande principale (supra, no 844). Ces demandes n'étaient pas considérées comme reconventionnelles. Peut-on admettre que, sans un seul mot de discussion sur un objet d'une pareille importance, le législateur de 1841 ait changé le caractère des demandes en dommages-intérêts? L'innovation

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