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53. Le juge de paix serait-il compétent pour donner acte d'une reconnaissance d'écriture?

Mais devons-nous nous étonner que le code de procédure se soit attaché au cas le plus fréquent, celui où la reconnaissance et la vérification d'écritures sera demandée au juge d'arrondissement? Ni l'art. 193, d'ailleurs, ni aucune autre disposition n'interdit au juge de paix de recevoir la reconnaissance d'écriture, et il ne nous est pas permis de nous montrer plus sé

L'art. 14 du code de procédure prévoit le cas où, devant le juge de paix, l'une des parties déclarera vouloir s'inscrire en faux, déniera l'écriture ou déclarera ne pas la reconnaître. Dans ees trois hypothèses le magistrat se borne à parafer la pièce suspectée et à renvoyer la cause devant les juges qui doivent en connaître. Au-vère que la loi elle-même. cune difficulté ne peut exister ici quant au renvoi par le juge de paix. Le texte de l'art. 14 est positif. La seule question qui peut surgir est celle de savoir si, par son renvoi, le juge de paix s'est complétement dessaisi, ou bien si le juge à qui le renvoi a été fait doit, après sa mission remplie, se dessaisir à son tour et laisser le fond à la décision du juge de paix, pour autant bien entendu que la matière soit de la compétence de ce dernier. Sur cette question, que nous ne pourrions traiter sans nous écarter de notre cadre, renvoyons aux différents commentateurs du code de procédure: Carré, annoté par Chauveau, no 55; Boitard, sur l'art. 14; Thomine Desmazures, n° 54; Lepage, Questions, p. 74; Pailliet, sur l'art. 14.

Mais il est une autre hypothèse où la question de savoir si le juge de paix doit prononcer le renvoi peut paraître plus douteuse. Supposons que les parties qui se présentent devant le juge de paix soient d'accord pour lui demander acte de la reconnaissance d'écriture faite par l'une d'elles.

Le juge de paix est-il toujours obligé de prononcer le renvoi, comme dans l'hypothèse prévue par l'art. 14 du code de procédure?

Malgré l'opinion contraire adoptée par M. Cloes (1) dans son Commentaire, et par M. Ernst aîné, dans son cours à l'Université de Liége, nous ne pensons pas que le renvoi soit nécessaire.

De quel droit, en effet, étendre à un cas non prévu par la loi le renvoi réclamé par l'art. 14? Chaque fois qu'une contestation s'élève à propos de reconnaissance d'écriture, il est aisé de comprendre l'utilité de la disposition du code de procédure qui enlève au juge inférieur la connaissance d'un débat difficile à suivre dans ses complications et toujours dangereux à vider. Mais quand, au contraire, l'une des parties ne demande autre chose au magistrat que de recevoir d'elle une déclaration de reconnais sance d'écriture, toute difficulté vient à disparaître et le renvoi de l'article 14 n'est plus qu'une formalité inutile et frustratoire.

On objecte que les art. 193 et suivants du code de procédure traitent de la reconnaissance et de la vérification d'écritures et en attribuent implicitement la connaissance aux tribunaux d'arrondissement.

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La demande de reconnaissance dont s'agit est une action purement personnelle qui appartient au juge de paix par sa nature même, à moins que l'hypothèse prévue par l'art. 14 du code de procédure ne vienne à se réaliser. L'écriture n'étant pas déniée par le défendeur, l'art. 14 devient sans objet, et nous sommes sous l'empire du droit commun, qui donne compétence au juge de paix pour les causes personnelles ou mobilières.

Il nous est donc impossible de nous arrêter à la seconde objection présentée par M. Cloes, objection qui consiste à dire qu'il y a incompétence ratione materiæ pour le juge de paix dans tous les cas de reconnaissance d'écriture. Dans ses observations sur le projet de loi sur la compétence, Delwarde n'hésite pas à adopter notre opinion, qui a rencontré aussi l'appui de Troplong et de Curasson. Le rapport de M. Amilhau à la chambre des députés combattait de même comme inutile une disposition du projet de loi français qui avait pour but de soumettre à la compétence des juges de paix les reconnaissances d'écriture, lorsqu'il ne s'élevait aucune contestation entre parties (2).

54. Nous venons de voir les diverses difficultés qui peuvent naître à propos de la nature des actions déférées aux juges de paix par l'article 1er de la loi de 1841. Il nous faut examiner maintenant quelques questions qui se rapportent au chiffre de la compétence de ces magis

trats.

Le texte de notre art. 1er énonce un principe général qui domine la matière. D'après cet article, les actions personnelles ou mobilières ne sont de la compétence des juges de paix que jusqu'à la valeur de 100 fr., sans appel, et à charge d'appel jusqu'à la valeur de 200 fr.

Il est incontestable que cet article doit être entendu comme s'il portait: Le juge de paix est compétent jusqu'à et y compris la valeur de 100 fr. sans appel, et à charge d'appel jusqu'à et y compris la valeur de 200 fr. Il a été décidé de tout temps que c'est ainsi qu'il faut comprendre les expressions quelque peu ambiguës de l'art. 1er. Henrion de Pansey conclut en ce sens à la compétence du juge de paix pour connaitre d'une demande en revendication d'objets mobiliers, lorsque le demandeur, dans ses conclusions, évalue l'objet à 200 fr. ou à une somme

(1) Cloes, Comm. sur la loi de la compét. civ., no 18,p. 47. | M. Amilhau à la chambre des députés (séance du 6 avril (2) Delwarde, Observations, § IV, p. 5; Troplong, Hy- | 1838); Dalloz, Rép., no 111 de la note p. 105, vo Compepothèques, t. II, no 446; Curasson, t. I, p. 88; rapport de tence civile des tribunaux de paix.

|

texte inutile en présence de ses art. 1 et 8, et des décisions de la jurisprudence.

inférieure (1). Ces derniers mots manifestent clairement sa manière de voir sur la question qui nous occupe. Curasson adopte la même opinion (2). La cour de Bruxelles comprend l'art. 1er de la même manière, puisque, par son arrêt du 29 décembre 1849, elle a décidé qu'il appartient aux juges de paix et non aux présidents des tribunaux civils siégeant en référé, de statuer sur une demande en déguerpissement et payement de loyers qui n'excèdent pas 200 fr. (3).rait inférieure à cette somme. Il sera incompéV. aussi nos observations sur l'art. 14.

55. Sous la législation de 1790 diverses questions venaient à naître sur le point de savoir quel serait le mode de constatation du chiffre de la compétence. Aujourd'hui ces difficultés ne peuvent plus se présenter. L'art. 8 de la loi de 1841 y a pourvu, en faisant au demandeur une obligation stricte et rigoureuse de l'évaluation de sa réclamation. (V. art. 8 et art. 15.) La loi | française de 1838 ne contenant pas de disposition analogue à l'article 8 de notre loi, il en résulte que les difficultés qui existaient sous la loi de 1790, quant à l'évaluation, n'ont pas disparu en France comme en Belgique.

56. Dans le cas où une demande formée par une seule personne contiendra divers chefs qui, séparés seront au-dessous de 200 francs, mais qui réunis excéderont cette somme, le juge de paix sera-t-il oui ou non compétent?

Nous ne croyons pas qu'il soit possible de lui attribuer compétence. Des textes des art. 1 et 8 combinés, il résulte que le demandeur doit porter sa réclamation devant le juge de paix, lorsqu'en évaluant lui-même son action il la trouve inférieure à 200 francs. Dans le cas dont il s'agit, la demande contient divers chefs, mais ces chefs, réunis dans un même exploit, et réclamés par le même demandeur, ne constituent qu'une seule action. Peu importe qu'ils aient des causes différentes. Le demandeur en les confondant dans une seule réclamation, et en les évaluant à une somme supérieure à 200 fr., les a fait sortir tous de la compétence du juge de paix. La loi n'a pas distingué d'ailleurs entre le cas où divers chefs de l'action auraient des causes différentes. Elle s'est arrêtée uniquement au chiffre de la demande tel qu'il est formulé par le demandeur. Le juge ne pourrait chercher une distinction là où la loi elle-même n'eu a pas voulu mettre une (4).

Si la législation belge de 1841 n'a pas consacré par un texte précis la règle que nous venons d'énoncer, c'est évidemment parce qu'elle a jugé ce

(1) Henrion de Pansey, chap. XVI, p. 414. (2) Curasson t. I, p. 261 (2e édition).

(3) Pas., 1850, p. 168. Voy., dans le même sens, Dalloz, Rép., vo Compétence civile des trib. de paix, nos 44 et 45.

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La loi française a été plus précise à cet égard. Voici le texte de son article 9: « Lorsque plusieurs demandes formées par la même partie seront réunies dans la même instance, le juge de paix ne prononcera qu'en premier ressort si leur valeur totale s'élève au-dessus de 100 fr., lors même que quelqu'une de ces demandes se

tent pour le tout si ces demandes excèdent, par leur réunion, les limites de sa juridiction. » L'énonciation de cette règle dans la loi ellemême était devenue indispensable en France, par suite du projet de loi d'organisation judiciaire présenté en 1835. Un article de ce projet donnait en effet compétence au juge de paix, dans le cas où diverses demandes provenant de causes différentes restaient inférieures au taux de la compétence du juge, de paix étant envisagées séparément. Comment aurait été comprise la suppression pure et simple de cet article? Aurait-il fallu l'interpréter comme une adhésion du législateur au principe qu'il renfermait, ou bien comme une protestation contre ce principe? Les observations en sens contraire auxquelles les diverses cours de France s'étaient livrées à cet égard faisaient présager une longue controverse. L'art. 9 de la loi du 25 mai-6 juin 1838 a eu pour objet d'y mettre obstacle, en exprimant nettement la volonté du législateur (5). V. nos observations sur l'art. 14.

57. Si le principe de la loi française a prévalu dans la loi belge, quant à l'incompétence du juge de paix pour le cas que nous venons de voir, il en doit être de même quant à la question de savoir si le juge de paix pronoucera en premier ou en dernier ressort sur une action composée de plusieurs réclamations excédant 100 francs lorsqu'on les réunit. La solution de la première de ces deux questions implique celle de la seconde. Dans le cas que nous signalons, le juge de paix n'aura évidemment le droit de prononcer qu'en premier ressort.

C'est la somme réclamée qui détermine la compétence, et cette somme sera ici globalement supérieure à 100 francs. Il importera peu que cette somme formant l'objet de l'action soit ellemême composée de plusieurs réclamations particulières ayant des causes différentes.

58. Il est naturel que c'est la demande audessus de 200 francs qui enlève la compétence au juge de paix. Si deux demandes inférieures

un jugement en date du 30 mai 1860, inséré an recueil de MM. Cloes et Bonjean, t. IX, p. 921. Ce jugement est suivi d'observations dans le recueil.

(5) Voy. à cet égard le rapport fait par M. Renouard à la chambre des députés de France, le 29 mars 1837. Ce

(4) Henrion de Pansey, chap. XIII, p. 268; Carré, Com-rapport se trouve dans Dalloz, Rép., vo Compét, civile des pétence, t. III, p. 47 et 447; Cloes, Commentaire, p. 38 | trib. de paix, au no 50 de la note 1, p. 96. Voy. aussi les et 39; Delwarde, Observations, no 30, p. 35, 36 et 37. nos 34, 88 et 129 de la même note, p. 93, 103 et 107 du même volume,

Le tribunal de Verviers s'est prononcé en ce sens, par

- DES JUSTICES DE PAIX.

à 200 fr., ayant des causes différentes, étaient formées par le même demandeur, le juge de paix ne deviendrait pas incompétent, quand bien même il lui aurait plu de prononcer sur les deux demandes par un seul et même jugement (1). Ce n'est pas au juge qu'appartient le droit de confondre deux réclamations dans une seule, en changeant par ce moyen les règles de la compétence.

59. Que faut-il décider dans le cas où le demandeur, au lieu d'intenter une action comprenant divers chefs, intente par le même exploit deux actions ayant des bases différentes?

Trois hypothèses peuvent se présenter. Examinons-les successivement.

Prenons d'abord celle où les deux actions sont de la compétence du juge de paix. L'une par exemple est une réclamation personnelle de 200 fr., l'autre est une action en payement de salaire de 500 fr. Séparées, ces deux actions seraient de la compétence du juge de paix en vertu des art. 1 et 7, n° 4, de la loi de 1841. Le magistrat inférieur ne cessera pas d'être compétent parce que le demandeur aura réuni deux réclamations tout à fait distinctes en un seul exploit.

Dans l'hypothèse où les deux réclamations ne sont ni l'une ni l'autre de la compétence du juge de paix, comme si par exemple il s'agit d'une réclamation personnelle de 500 fr. et d'une action réelle de 10,000 francs, il va sans dire que ce sera le tribunal d'arrondissement qui seul aura compétence.

Dans le troisième cas enfin qui peut se présenter, c'est-à-dire quand l'une des réclamations sera de la compétence du juge de paix et que l'autre sera étrangère à cette compétence, lequel des deux tribunaux aura la préférence sur l'autre? Nous pensons qu'une pareille préférence ne pourrait être établie sans offenser le texte de la loi. Le juge de paix ne peut être compétent pour le tout, puisqu'une partie de l'action lui est évidemment étrangère. Il ne peut davantage être déclaré incompétent d'une manière absolue, puisque la loi lui donne juridiction sur une portion de la réclamation. Le parti le plus sage pour le juge de paix est, dans ce cas, de renvoyer au tribunal de première instance l'action dont ce tribunal peut seul connaitre, et de retenir au contraire la demande pour laquelle lui-même a compétence.

Telle est la solution indiquée par M. Curasson (tome II, p. 414 et suiv.) et par M. Cloes (Commentaire, p. 39 et 40). C'est par application du même principe que la cour de Bastia a décidé, le 28 janvier 1856, que la demande en payement de loyers et la demande en réparation de dégradations commises dans les biens loués, ne sont pas indivisiblement liées, ni l'accessoire l'une de l'autre. Si donc le prix annuel du bail

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excède 400 francs, la première demande doit être portée devant le tribunal de première instance (L. 25 mai 1838, art. 3, et L. 2 mai 1855), tandis que la seconde doit être portée devant le juge de paix, seul compétent pour connaître des actions pour dégradations quand le chiffre demandé ne dépasse pas 1,500 francs (L. 25 mai 1838, art. 4 et 5). Bastia, 28 janvier 1856 (S.-V., 1856, 2, p. 213.) (V. infra, no 211). Si, au contraire, la demande pour laquelle le juge de paix est incompétent se présentait comme l'accessoire d'une demande pour laquelle il a compétence, nous croyons qu'il serait compétent pour le tout (V. infra, no 228). 60. Considérons maintenant un autre cas, celui où plusieurs demandeurs réclament par un même exploit une somme supérieure à 200 francs. Il est bien entendu que cette somme partagée en autant de portions qu'il y a de demandeurs, donne pour chacun moins de 200 francs.

Si leur demande n'a pas une cause commune, aucune difficulté ne pourrait se présenter. « Quand différentes personnes, dit M. Cloes, se réunissent pour former une demande par un seul exploit, cet exploit se divise, par la pensée et aux yeux de la loi, en autant d'exploits qu'il y a de parties à la requête desquelles il est signifié. » (Commentaire, p. 40, n° 15).

Mais quand, au contraire, les demandes ten dent à une seule réclamation, doit-on admettre la même décision ? Nous ne le pensons pas, et nous devons nous séparer sur ce point de M. Cloes. Dans le cas où divers demandeurs-basent leurs réclamations sur des causes différentes, il y a en réalité diverses actions soumises au juge. La réunion de plusieurs actions en un seul exploit ne peut nous amener à conclure qu'il n'y a qu'une seule action. Il en est autrement lorsque divers demandeurs s'adressent tous collectivement à un seul défendeur, et que leur réclamation est la même. Quelle est ici la valeur de l'action? Est-ce la part de chaque demandeur dans la somme réclamée ? En aucune manière. La valeur de l'action, c'est la réclamation tout entière. Peu importe que la demande soit faite par un ou par plusieurs demandeurs. Ils n'ont tous qu'un seul but, obtenir la somme qu'ils réclament collectivement. Cette somme, ils veulent l'obtenir par le même moyen; la cause de leur réclamation est la même. Il n'est donc pas possible de distinguer ce que les demandeurs eux-mêmes ont réuni et leurs réclamations contenues dans le même exploit ne forment qu'une seule action aux yeux de la loi. L'unique question est donc de savoir si cette action est oui ou non supérieure à 200 francs.

La difficulté qui se présente ici, quant à la compétence du juge de paix, se retrouve dans les mêmes termes quant à sa juridiction en premier ou en dernier ressort. Dans tous les cas

(1) Cour de cass. de France, 9 mars 1840 (Pas., 1840, où le juge de paix ne peut plus prononcer

2, 328).

lorsque la somme réclamée dépasse 200 francs,

il ne peut prononcer qu'en premier ressort lorsque la réclamation demeure au-dessous de 200 francs, mais dépasse 100 francs.

créancier. Trib. de Liége, 23 juin 1855 (Recueil de Cloes et Bonjean, t. 4, p. 126. · Belg. jud., t. 13, p. 1364).

62. Lorsque, sur une demande de la compé

La même question s'est aussi produite à propos de l'appel des décisions du tribunal d'ar-tence du juge de paix, il s'élève une contestarondissement. Nous y reviendrons à notre ar- tion sur un titre invoqué, le juge de paix cesseticle 14. Il nous suffira pour le moment de t-il d'être compétent? rappeler le texte de la loi interprétative du 27 mars 1853 qui a apporté une solution à la difficulté qui s'était présentée.

ARTICLE UNIQUE. L'article 14 de la loi du 25 mars 1841 est interprété de la manière sui

vante :

Les tribunaux de première instance ne peuvent connaître en dernier ressort d'une action | personnelle, formée par un seul exploit pour le payement d'une dette unique dans le chef du défendeur et supérieure à la somme de 2,000 francs en principal, quoique l'action soit intentée par deux individus subrogés aux droits des deux héritiers du créancier primitif, et que la part de chacun de ces héritiers ou cessionnaires soit inférieure à cette somme. >>

61. Nous venons de voir ce qui doit être décidé dans l'hypothèse où plusieurs demandeurs s'adressent par un même exploit à un seul défendeur; mais il se présente une hypothèse inverse Un seul demandeur réclame une somme supérieure à 200 francs à plusieurs défendeurs, et la part personnelle de chacun de ces défendeurs dans la dette est moindre que 200 francs. Il faut apporter à cette difficulté une solution analogue à celle que nous avons signalée dans notre numéro précédent. L'action intentée par le demandeur est d'une valeur supérieure à 200 francs. Peu importe que le payement doive être fait par diverses personnes : toujours est-il que la réclamation dépasse le taux de la compétence du juge de paix.

C'est ce que le tribunal de Liége a décidé par analogie, d'après la loi interprétative du 27 mars 1853, par son jugement en date du 5 novembre 1853 (Recueil de Cloes et Bonjean, t. 2, p. 925, et la note qui accompagne ce jugement). Le 23 juin 1855, le même tribunal s'est prononcé une seconde fois en ce sens, en décidant que les tribunaux de première instance sont compétents pour connaître de l'action en payement d'une créance unique dans le chef du créancier, quoiqu'il s'agisse d'une dette de la communauté et que l'action soit intentée contre la femme et les héritiers de son mari.

Ceux-ci, quand la créance excède 200 francs, ne peuvent soutenir que, par suite de la division de la moitié de la dette entre eux, ils ne sont tenus que d'une somme inférieure au taux de la compétence du juge de paix, d'autant plus que, comme héritiers du mari, ils sont tenus comme lui de la totalité de la dette vis-à-vis du

(1) De la compétence civile, t. II, p. 282.

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Malgré l'opinion de Carré (1), nous ne pourrions trouver aucune raison sérieuse à une pareille rigueur. La contestation du titre enlèvet-elle à une action sa qualité de purement personnelle? Non sans doute. Mais alors quelle peut être l'influence de cette contestation sur la compétence? Si, dans certains de ses articles, la loi de 1841 exige que le titre ne soit pas contesté, .c'est parce que ces dispositions se rapportent à des cas spéciaux où le juge de paix acquiert une compétence exceptionnelle. Il ne faut donc demander l'interprétation de l'article 1er de notre loi qu'à la règle générale qu'il énonce lui-même, règle qui se trouve d'ailleurs corroborée par l'article 8. D'après cette dernière disposition, c'est au demandeur qu'incombe la fixation de la demande. Ce sont ses conclusions qui déterminent la compétence. Il est donc indifférent à cette compétence que le défendeur oppose au demandeur une exception de contestation de titre. Ayant juridiction pour l'action, le juge de paix aura de même juridiction pour l'exception (2). Cette question a été décidée par deux arrêts de la cour de cassation de France du 11 avril 1836 (Pas., 36, 1, p. 696) et du 15 juin 1842 (Pas., 42, 1, p. 651). V. aussi arrêt de rejet de la même cour du 23 avril 1835 (Pas., 35, 1, p. 946).

Telle est la règle générale qui peut se formu-, ler ainsi : Lorsque la valeur du litige ne dépasse pas 200 francs, il est indifférent pour la compétence du juge de paix qu'une contestation s'élève entre les parties sur la valeur d'un titre produit. C'est ce que notre cour de cassation a décidé dans son arrêt du 15 mars 1849, rendu sur une réclamation de primes d'assurances (Pas. belg., 1849, 1, p. 280 et suiv.). Le tribunal de Bruxelles s'était déjà prononcé dans le même sens dans son jugement du 27 mai 1848 rendu. aussi en matière d'assurances (Belg. jud., t. 6, p. 949) (3).

Il est incontestable d'ailleurs, comme le disent avec raison Curasson (t. 1, p. 195 et 200) et Cloes, dans son Commentaire (p. 29, note 2), que le juge de paix devrait s'abstenir de statuer sur une contestation même inférieure à 200 fr., si son incompétence existait ratione materiæ. Les parties elles-mêmes, nous le savons, ne pourraient couvrir cette sorte d'incapacité du juge. La cour de cassation de France s'est prononcée en ce sens par un arrêt du 22 juin 1842. «Attendu en droit, dit la cour, que les juges

(3) Voy. encore l'arrêt de la cour de cassation belge (2) Voy. Dalloz, Rép., vo Compét. civ. des tribun. de du 31 mars 1859, rendu en matière de loyers (Pas., 1859, pax, no 18; Cloes, Commentaire, p. 28.

1, 287).

« Qu'importe, dit-il, que pour décider si la chose demandée est due, le juge de paix ait à s'élever à l'appréciation de conventions d'une valeur plus importante, sur lesquelles du reste on ne lui demande aucune décision? Toujours est-il que, pour lui, comme pour les parties, cette appréciation ne sera qu'un moyen de preuve ou de vérification de la demande qui lui est soumise, mais nullement l'objet du jugement à rendre. C'est dans cette appréciation qu'il puisera, plus ou moins exclusivement, ses motifs de décision; mais ces motifs ne seront

de paix, dont la juridiction est essentiellement | tence civile des tribunaux de paix, sub no 35). exceptionnelle, ne peuvent connaître des ques- Cet arrêt fait l'objet d'observations très-justes tions qui sont relatives à la propriété, et qu'à cet de la part de M. Devilleneuve dans une note de égard leur incompétence est d'ordre public; la Pasicrisie. attendu en fait, qu'il est constant que l'action civile, portée devant le juge de paix du canton d'Arudy par la veuve Pindat, avait pour objet la réparation du dommage causé à une pièce de terre dont elle se prétendait usufruitière, et que, sur l'appel du jugement qui l'avait condamné à 15 francs de dommages-intérêts, le demandeur en cassation opposa, comme il l'avait fait devant le premier juge, qu'il était devenu adjudicataire de l'usufruit de la veuve Pindat, en vertu d'un jugement sur expropriation forcée, antérieur au fait de pâturage articulé, et qu'ainsi, en supposant qu'il l'eût auto-pas eux-mêmes une décision ou un jugement... risé, il n'aurait fait qu'user de son droit; attendu qu'il naissait de cette question une question de propriété, nécessairement préjudicielle à celle de dommages, soulevée par la demande de la veuve Pindat;... Casse» (Dalloz, Rép., vo Compétence civile des tribunaux de paix, note 1 sub no 31).

63. La règle que nous avons admise plus haut, quant à la compétence du juge de paix nonobstant le débat qui s'engage à propos d'un titre, doit-elle être appliquée lorsque la valeur du titre est supérieure à 200 francs? Il nous faut ici distinguer plusieurs hypothèses?

Supposons d'abord que le demandeur réclame une somme qui rentre dans la compétence du juge de paix, mais en se basant sur un titre d'une valeur supérieure à cette compétence. Le demandeur, par exemple, assigne le défendeur en payement de 50 francs, somme qui reste due d'une obligation de 2,000 francs contractée par le défendeur. Dans un tel cas, l'invocation d'un titre de beaucoup supérieur à la compétence du juge de paix nous parait chose indifférente quant au règlement de la juridiction. Quel est en effet l'objet en litige? Est-ce la somme de 2,000 francs, obligation primitive du défendeur, ou bien est-ce la somme de 50 francs, reliquat de la première? Evidemment, c'est cette dernière somme. C'est donc elle seule qui doit déterminer la compétence.

« Dans le système contraire, continue M. Devilleneuve, qui consiste à peser les moyens de preuve offerts par les parties, au lieu de s'arrêter à l'objet de leur demande, à scruter les motifs de la conviction du juge, pour voir s'il ne s'y rencontre pas quelque considération de fait ou de droit qui dépasse les limites de sa juridiction, on arrive évidemment à enlever aux juges de paix la plus grande partie des causes personnelles et mobilières qu'ils semblaient être appelés à juger. Par suite, on est forcé de renoncer à toute idée de célérité et d'économie dans les contestations du plus mince intérêt, et il faudra bien se résigner à subir toutes les lenteurs, tous les frais de la procédure ordinaire, toute la solennité même d'une discussion en cour royale, si pour dessaisir le juge de paix il suffit à l'une des parties d'alléguer que la demande se rattache à quelque intérêt réel ou immobilier, ou que la somme demandée n'est que le solde ou reliquat d'une créance dont la valeur dépasse la compétence de ce juge... Un tel résultat nous paraît inadmissible; il est du moins en opposition manifeste avec le but que s'était proposé le législateur dans l'institution des juges de paix (1) ».

En 1846 la même question se présenta de nouveau devant la cour de cassation de France (chambre civile), et le 29 novembre 1846, la cour suprême revint sur sa première jurisprudence en décidant conformément à l'opinion de. M. Devilleneuve (Pas., 49, 1, p. 342) (2).

C'est dans ce sens que s'est prononcée la jurisprudence belge. Un jugement du tribunal d'Anvers du 7 août 1852, décide que le juge de paix est compétent pour statuer sur le reliquat d'une dette qui primitivement était au delà de sa compétence (Recueil de Cloes et Bonjean,

Le 17 août 1836, la cour de cassation de France (chambre des requêtes) avait cependant décidé le contraire en cause de Goupil de Préfeln c. de Noirville Considérant, disait la cour, que, quoique le demandeur n'ait conclu, dans son exploit introductif d'instance, qu'au payement de la somme de 50 francs; néanmoins il s'est fondé sur ce que la dame de Noirville s'était engagée envers lui au payement d'une somme de 150 francs, et que le juge de paix a été, par suite, mais nécessairement, saisi de la question de savoir si la dame de Noirville avait contracté cet engagement de payer 150 fr.; (2) L'arrêt de cassation du 17 août 1836 avait été vivequestion qui excédait la compétence du juge dement critiqué par M. Cloes, dans son Commentaire. Ce paix; attendu que le tribunal d'Argenteau, jurisconsulte revient sur la question dans son Recueil de en le jugeant ainsi, n'a commis aucune viola- jugements, à propos d'un jugement du tribunal de Liége tion de la loi, Rejette.» (Dalloz, vo Compé- du 20 mars 1852 (t. I, p. 6).

(4) Observations à la suite de l'arrêt du 17 août 1836 (Recueil de Sirey - Devilleneuve, 36, 1, 699).

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