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DES JUSTICES DE PAIX.

L'art. 10 de la loi du 25 mars 1841, instituant le droit d'appel contre les sentences des juges de paix dans les cas d'incompétence, quel que soit le chiffre du débat, il est bien évident que le recours en cassation formerait double emploi avec le droit d'appel, si l'on admettait le premier pour cette même cause d'incompétence.

des actes dans lesquels ces magistrats mécon- | d'une autre autorité judiciaire, doivent être naissaient les bornes de leur compétence, saus portés devant le juge d'appel ;.............. » (Pas., 1841, sortir du cercle du pouvoir judiciaire, n'était 1, p. 207.) pas exclusivement du ressort des tribunaux d'appel, ce doute n'est plus permis aujourd'hui; « Qu'il résulte de l'art. 16 de la loi du 4 août 1832 et de la discussion à laquelle cet article a donné lieu à la chambre des représentants, que c'est à dessein que les mots pour cause d'incompétence de l'art. 77 de la loi du 27 ventôse an vi n'ont pas été reproduits dans cet article, et que les excès de pouvoir dont cet article attribue la répression à la cour de cassation se bornent à ceux dans lesquels les juges de paix excéderaient les bornes du pouvoir judiciaire en entreprenant sur les pouvoirs d'une autre autorité d'où il suit que les excès de pouvoir qui n'ont pas ce caractère, et par lesquels les juges de paix ont seulement méconnu les règles de leur compétence en entreprenant sur celle

La loi française des 25 mai-6 juin 1838 a, par son article 15, déclaré le cas où elle autorise le recours en cassation: « Les jugements rendus par les juges de paix ne pourront être « attaqués par la voie du recours en cassation que pour excès de pouvoir. » La loi française dans son article 14, comme la loi belge dans son article 10, laisse en effet au juge d'appel le soin de prononcer sur les cas d'incompétence du juge de paix.

ARTICLE 2.

Ils connaissent des demandes en payement d'intérêts, d'arrérages de rentes, de loyers et fermages, lorsque le capital réuni aux intérêts formant l'objet de la demande, ou le montant des loyers ou fermages pour toute la durée du bail, n'excèdent pas les limites fixées par l'article précédent.

76. Origine et but de la disposition de l'art. 2.

SOMMAIRE.

77. Disposition de la loi française du 25 mai 1858 à

l'égard des fermiers et locataires. Comparaison
avec la loi belge.

78. Interprétation de l'art. 2.

80. Dans le cas de renvoi de la cause devant le juge de première instance par suite de la contestation du titre par le défendeur, les frais de l'instance devant le juge de paix seront-ils mis à charge du demandeur?

79. Dans quel cas le juge de paix devient incompétent 81. Toute contestation de titre suffit-elle pour que le juge pour les réclamations de loyers et d'arrérages.

de paix doive se dessaisir?

COMMENTAIRE.

76. Le projet présenté par le gouvernement en 1835 allait beaucoup plus loin que la disposition actuelle. Il étendait la compétence du juge de paix aux demandes de loyers et fermages, ainsi qu'aux réclamations d'arrérages de rentes, dans tous les cas où les locations et rentes ne dépassaient pas trois cents francs de revenu annuel. (Art. 2, § 8, du projet.) Il en résultait que devant le juge de paix une somme très-forte pouvait être réclamée du locataire ou du débiteur de la rente, lorsque les loyers ou arrérages n'étaient demandés par le propriétaire qu'au bout d'un certain nombre d'années. Il y avait là un danger pour la bonne administration de la justice, et dans son rapport, M. Liedts le signalait en ces termes : «La commission a été d'avis que le gouvernement a poussé trop loin sa sollicitude pour les intérêts du propriétaire et du crédirentier; il résulte en effet de ce § 8, combiné avec le premier alinéa de l'art. 2, que le juge de paix pourrait condam-loyers pour toute la durée du bail. ner en premier ressort à payer des sommes de deux et même de trois mille francs. Sans doute les demandes en payement de loyers, de fermages ou de rentes ne présentent généralement

que des questions faciles à résoudre; mais il en est de même de presque toutes les causes purement personnelles et mobilières. Nous avons donc pensé qu'il convenait de soumettre ces demaudes à la règle générale de compétence. »

L'art. 2 de la loi qui, avec l'art. 3, est venu remplacer le § 8 de l'art. 2 primitif, s'applique au cas où le titre du bail ou de la rente est mis en contestation. Le litige, dans cette hypothèse, ne se borne pas en effet à une réclamation d'arrérages ou de loyers. Il porte sur la base même de ces redevances, c'est-à-dire sur des sommes qui seront dues plus tard, aussi bien que sur celles qui sont dues et sont réclamées actuellement.

Il est donc naturel que la loi, dans le cas où le titre est contesté, exige pour la fixation du chiffre de la compétence du juge de paix la réunion du capital aux intérêts réclamés, ou bien, s'il s'agit de location, la somme de tous les

Le rapport de M. Liedts établit clairement à cet égard l'intention du législateur.

« Si le titre du bail, du prêt ou de la rente est contesté, comme dans ce cas ce ne sont plus

les loyers, les fermages ou les rentes qui sont en général, il n'est pas donteux que les formes seuls mis en question, mais encore le capital et requises aujourd'hui relativement aux payele sort de tout le bail, et qu'à ce sujet les ques-ments de loyers et expulsions de lieux ne soient tions les plus épineuses d'interprétation et de une cause de ruine pour les propriétaires, résiliation de contrat peuvent s'élever, il con- qu'elles mettent à la merci des locataires. Les vient, pour régler la compétence, de cumuler frais nécessaires pour obtenir un jugement ajoules sommes réclamées avec le capital, ou avec tent à une dette qui seule excède souvent les les loyers et fermages pour toute la durée du moyens du débiteur; la durée du procès l'acbail. Comme ces sommes ainsi accumulées ne croit encore par l'échéance de nouveaux termes. constituent qu'une demande purement person- Pendant ce temps le propriétaire ne peut disnelle et mobilière, il est manifeste que la dis- poser de sa propriété. Aussi en voit-on un grand position de l'art. 2, qui en attribue la connais- nombre préférer l'abandon de leur créance, à sance au juge de paix, n'est autre chose qu'une condition de la retraite immédiate du locataire, application du principe général à un cas parti- à une demande en justice qui, en prolongeant culier, et qu'il serait même inutile d'insérer et aggravant la situation, les laisserait sans gage dans la loi, si cette application n'avait été mal suffisant pour obtenir le payement. Cette situafaite jusqu'ici par beaucoup de juges de paix. tion intolérable ne pouvait se prolonger. Elle est attentatoire aux droits de la propriété; elle favorise la mauvaise foi, et tend à démoraliser les classes inférieures, qu'elle accoutume à se jouer de leurs promesses en se mettant à couvert sous les formes judiciaires faites pour protéger la justice et non la déloyauté (1) › .

L'art. 2 de la loi n'est donc qu'une simple application aux loyers, fermages et arrérages de rentes, de la règle fondamentale inscrite dans

l'art. 1er.

La cour de cassation belge, par son arrêt du 31 mars 1859 (Pasicr., 1859, 1, p. 287), confirme ce principe en déclarant que la contestation du titre, en cas de demande fondée sur un bail, n'a pas pour effet de rendre le juge de paix incompétent. L'art. 2 ne peut d'ailleurs recevoir d'application que dans le cas où le titre est contesté. Dans l'hypothèse contraire, c'est l'art. 3 qu'il faut invoquer. Le texte de cette dernière disposition et le rapport dont il a été l'objet à la chambre des représentants nous en fournissent la preuve. (V. infra, nos 82 et suiv.)

Nous avons vu plus haut une application du même principe, qui se rapproche d'ailleurs beaucoup de celui énoncé dans l'art. 2. Quand une prime d'assurance est réclamée devant la justice, il faut de même joindre la valeur du titre à celle des primes échues dont on exige le payement. Telle est la règle que la jurisprudence a consacrée par plusieurs documents qui nous | paraissent faire application des vrais principes. (Voy, supra, no 65; voy. aussi no 62.)

L'utilité du principe énoncé dans l'art. 2 est du reste bien facile à saisir. I importe que le propriétaire d'un immeuble puisse arriver sans peine à obtenir le payement des loyers qui lui sont dus. Le rapport de M. de Gasparin à la chambre des pairs (sur l'art. 3) fait à cet égard un tableau trop souvent exact de la position difficile où le propriétaire peut se trouver vis-à-vis d'un locataire récalcitrant.

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77. L'étendue du mal, signalé en France avec une grande énergie (2), devait amener la législature de ce pays à admettre un système qui conférât aux juges de paix une juridiction très-étendue. Voici en effet la disposition de la loi du 25 mai 1838, en matière d'actions résultant de loyers et fermages:

Les juges de paix connaissent, sans appel, jusqu'à la valeur de 100 francs, et à charge d'appel, à quelque valeur que la demande puisse s'élever,-des actions en payement de loyers ou fermages; des congés; des demandes en résiliation de baux, fondées sur le seul défaut de payement des loyers ou fermages; des expulsions de lieux et des demandes en validité de saisie-gagerie : le tout, lorsque les locations verbales ou par écrit n'excèdent pas annuellement, à Paris, 400 fr., et 200 fr. partout ailleurs. »

Des différences profondes, nous le voyons, séparent cette disposition de celle consacrée par la loi belge

Tout en conservant le chiffre de 100 francs comme limite du dernier ressort pour la compétence du juge de paix, la loi française laisse à cette compétence en premier ressort une étendue illimitée. Peu importe donc que les loyers se soient accumulés pendant plusieurs années; une pareille circonstance, qui peut porter à une somme très-élevée la réclamation du propriétaire demandeur n'a pas pour effet de faire perdre au juge de paix sa compétence. Mais il ne l'exerce cependant qu'en premier ressort, et le locataire défendeur conserve le droit d'appel, lorsque la réclamation dépasse 100 francs.

(1) Voy. aussi le rapport de M. Liedts à la chambre des M. de Gasparin à la chambre des pairs (19 juin 1837). représentants sur les art. 2, 3 et 4.

(2) Exposé des motifs du projet de loi relatif aux justices de paix (6 janvier 1837). — Rapport de M. Renouard à la chambre des députés (29 mars 1837). - Rapport de

Rapport de M. Amilhau à la chambre des députés (6 avril 1858). Ces divers documents se trouvent dans Dalloz, Rep., vo Compétence civile des tribunaux de paix, 1. XI, p. 90 à 110.

Toutefois, sous l'empire de la loi française, l'action du propriétaire ne peut s'exercer devant le juge de paix que sous deux conditions essentielles :

En premier lieu, il faut que l'action en payement de loyers et fermages soit l'unique objet de la réclamation. Toutes les questions relatives au droit de propriété, comme à l'interprétation des baux, des conventions et des actes, sont conservées à la juridiction des tribunaux ordinaires. (Rapport de M. Renouard sur l'article 4 (3 du projet.)

En second lieu, pour que le juge de paix ait compétence, il faut que le chiffre annuel de la location ne dépasse pas 400 fr. dans Paris, ni 200 fr. dans tout le reste de la France.

Cette règle a pour effet de donner au magistrat le pouvoir de prononcer dans la plupart des cas où il s'agit de baux verbaux ou non, concernant les locations faites par la classe inférieure. Le législateur n'a pas voulu que la patience d'un propriétaire à attendre pendant un certain nombre d'années le payement de ses loyers pût devenir pour lui une cause de frais plus considérables, lorsqu'il se verrait obligé d'attraire son débiteur en justice. Telle est la raison qui a fait prendre pour base de la compétence du juge de paix, non pas le chiffre de la réclamation, mais celui seulement du bail annuel.

En France, le juge ne doit donc avoir égard à la réclamation du demandeur que pour déterminer le premier ressort. Mais il se trouve frappé d'incompétence absolue quand le bail s'élève à 200 fr. hors de Paris, et à 400 fr. dans Paris. La cour de Bordeaux a proclamé cette incompétence du juge de paix, relativement aux actions en payement de loyers, dans le cas où le prix annuel de la location excède deux cents francs. Bordeaux, 12 déc. 1851 (S.-V., 52, 2, 47). Cette incompétence existe, alors même que la demande n'aurait pour objet que le payement d'une partie seulement des termes d'une année, dont la somme se s'élèverait pas à deux cents francs.

La cour de cassation a même décidé que le juge de paix est incompétent pour connaitre d'une demande en payement de loyers et en résiliation de bail, bien que la somme demandée rentre dans les limites de sa compétence, si d'ailleurs il y a contestation sur les conditions et le prix de la location, et s'il est soutenu que ces conditions élèvent le prix du bail au-dessus de la compétence du juge de paix. — Cassation de France, 26 août 1857 (S.-V., 58, 1, 151).

Telle est la loi française, dont le projet primitif de la loi belge se rapprochait dans une certaine mesure.

Malgré l'important changement que, dans les art. 2 et 3 du projet la commission de la chambre des représentants avait apporté au principe de l'art. 2, § 8, du projet primitif, ces dispositions furent adoptées à la chambre et au sénat sans aucune observation de la part des membres de ces assemblées. Le législateur belge s'est, dans cette circonstance comme dans beaucoup d'autres, refusé à apporter à l'état de choses existant une dérogation importante. Il n'a pas voulu sacrifier le principe général de la compétence à une exception, peut-être justifiée, mais qui pouvait en amener d'autres non moins fondées. chaque fois que la facilité de la décision par le juge ne serait pas contestable. Comment accorder à une espèce d'actions personnelles et mobilières un privilége qui aurait été refusé à toutes les autres? En général ces actions provoquent peu de débats et n'offrent guère de difficultés à résoudre. C'est là une raison pour que le législateur les ait dévolues au juge de paix. Mais ce n'est qu'en renversant les principes régu= lateurs des juridictions qu'on eût pu appeler ce magistrat à se prononcer sur certaines actions purement personnelles et mobilières, jusqu'à un chiffre de beaucoup supérieur à celui de sa compétence ordinaire (1).

78. Dans le cas de contestation du titre, la compétence du juge de paix doit se calculer d'après la somme des loyers ou fermages pour toute la durée du bail. Le montant des annuités ne peut évidemment comprendre que les annuités à courir, et non celles qui ont déjà été payées. Tel est le sens véritable de l'article 2, malgré la généralité trop grande de ses termes : toute la durée du bail. Si ces expressions étaient comprises strictement, il en résulterait que co ne serait plus l'objet du litige qui déterminerait la compétence du juge, mais une circonstance parfaitement indifférente au débat, celle du plus ou moins de durée du bail dans le passé. Ainsi, supposons un bail fait pour un terme de vingt années, mais pour la modique somme de 15 fr. par année. Le propriétaire réclame de son locataire le payement de trois années de loyer, la onzième, la douzième et la treizième. Le locataire se refuse au payement et conteste le titre. Si les annuités pour toute la durée du bàil devaient être réunies pour fixer la compétence, il en résulterait que la somme de ces annuités étant 300 fr., le juge de paix serait incompétent. Mais comme au contraire les annuités à courir sont seules à considérer, il s'ensuit que la somme réclamée devant le juge de paix ne doit se calculer qu'à partir de la onzième année du bail, et que par suite le juge est compétent, puisque les dix

Remarquons encore que la loi française ne s'occupe en aucune manière des réclamations ayant pour objet des arrérages de rentes. Elle n'a eu d'autre but que de faciliter les réclamations du propriétaire d'immeubles contre son locataire. C'est là encore une différence essentielle de la loi française avec la loi belge, laquelle, sous le rapport de la compétence, met le débi- (1) Voy. à cet égard les observations de M. Cloes, Comteur d'arrérages sur la même ligne que le débi-mentaire, p. 50, et de M. Delebecque, Commentaire légisteur de loyers. latif, nos 19 et 20.

années de bail qui restent à courir ne donnent qu'un total de 150 fr. Le tribunal de Bruxelles s'est prononcé en ce sens par un jugement du 15 mars 1856 (Maertens, Journal de procédure, 1857, p. 382).

Cette manière de voir est si bien uniquement admissible que c'est dans son application seule que nous trouvons le principe de l'art. 1er de la loi, principe que les articles 2 et 3, nous le savons, se sont contentés d'appliquer à des matières spéciales, sans prétendre innover en aucune façon.

La même règle s'applique aux tribunaux de première instance. La cour de Liége a décidé que pour déterminer le dernier ressort de ces tribunaux, de même que pour la compétence des justices de paix, le montant des annuités à courir devait servir de point de départ. Cour de Liége, 24 juillet 1851 (Belg. judic., t. 11, p. 1277). Citons dans le même sens un arrêt de la même cour du 6 juillet 1850 (Belg. judic., t. 7, | p. 1438).

Que devra donc faire le juge de paix lorsque des arrérages de rente ou des loyers seront réclamés devant lui, et que le défendeur déniera la valeur du titre invoqué?

Quant aux arrérages de rente, le juge n'aura à s'enquérir que du capital de la reute ellemême. Le chiffre de ce capital étant supérieur à 200 francs, le juge devra renvoyer les parties devant le juge de première instance. Si au contraire il s'agit de bail, la première question à résoudre par le juge sera la durée du bail dans l'avenir. Cette question résolue, le magistrat pourra seulement se prononcer sur sa compétence en connaissance de cause. Tel est donc le premier objet dont il aura à s'occuper, et pour décider cette question toute préalable, sa compétence ne peut être mise en doute. Tribunal de Liége, 8 janvier 1848 (Belg. judic., t. 9, p. 669).

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79. Nous avons à peine besoin d'ajouter que si la demande en payement de loyers ou d'arrérages se compliquait de manière à devenir une action mixte, la compétence du juge de paix viendrait à cesser.

Nous avons vu que les actions mixtes lui échappent par leur nature même (supra, no 20). Nous savons, par exemple, quel est le caractère de l'action ayant pour but d'obtenir les arrérages d'une rente foncière. Cette action est mixte lorsqu'elle a pour objet, outre la réclamation d'une somme d'argent, de faire constater l'existence d'un droit immobilier (supra, no 43). Quand, à une action ayant pour objet l'obtention d'arrérages, se joint une réclamation de titre nouvel, la demande peut aussi dans certains cas revêtir un caractère réel (supra, no 45). Il en est ainsi lorsque la demande de titre nouvel implique reconnaissance d'un droit immobilier de la part du défendeur, par exemple lorsqu'il y a contestation entre parties sur la question de savoir quels sont les immeubles hypothéqués. Dans ce cas la demande en titre nouvel com

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prend nécessairement une action hypothécaire, et nous avons vu plus haut (no 48) que l'action hypothécaire est toujours réelle.

SO. Nous venons de voir que l'article 2 de la loi de 1841 s'applique au cas où le titre qui forme la base de l'action est contesté (no 76). Si la somme réclamée devant le juge de paix dépasse sa compétence par suite d'une pareille contestation du titre de la part du défendeur, le magistrat devra nécessairement renvoyer les parties devant le tribunal de première instance. Dans cette hypothèse, qui devra supporter les dépens de l'action intentée devant le juge de paix?

M. Cloes établit à cet égard une distinction. « Si le défendeur, dit-il, décline la compétence du juge de paix et que le demandeur conteste cette exception, le juge de paix se déclarant incompétent par suite de plaidoiries contradictoires, devra condamner le demandeur aux dépens, comme il y condamne toute partie qui succombe, en vertu du principe général de l'article 130 du code de procédure civile.

Si, au contraire, le demandeur reconnaît dès l'abord, par suite de la contestation du titre, l'incompétence du juge de paix, il nous paraît que, dans son jugement de renvoi, ce magistrat devra réserver les dépens sur le sort desquels statuera en définitive le tribunal qui sera saisi ultérieurement de l'action. Ne serait-il pas en effet injuste de punir par une condamnation aux dépens le demandeur qui s'est conformé à la loi en portant sa demande devant le juge qu'elle lui désignait? Si ce juge devient incompétent, ce n'est que par suite d'une exception qu'en général il ne lui aura pas été donné de prévoir; et cette punition doit d'autant moins lui être infligée que plus tard la justice pourrait reconnaître de la mauvaise foi dans les moyens dont le défendeur excipe.» (Cloes, Commentaire, p. 55 et 56.)

MM. Curasson et Delebecque n'établissent ici aucune distinction, mais demandent pour tous les cas la réserve des dépens. La question est traitée par eux à propos de l'art. 7, no 1, de la loi de 1841, où elle se présente dans les mêmes termes. D'après le texte de cette dernière disposition, lorsque les droits de propriété et de servitude ne sont pas contestés, la compétence du juge de paix s'étend à un certain nombre d'actions qui concernent les dommages aux champs, l'élagage des arbres, le curage des fossés, etc. Lorsque, au contraire, les droits de propriété et de servitude sont contestés, le juge de paix cesse d'être compétent à l'égard de ces actions. C'est là ce qui résulte à l'évidence de l'argument a contrario tiré de l'art. 7, no 1. Dans cette hypothèse, la question a été soulevée, de savoir si la compétence du juge de paix était suspendue seulement et devait revivre après que le juge de première instance aurait prononcé sur le droit de propriété ou de servitude, ou bien si le dessaisissement du juge de paix était complet. Nous nous rangeons à cette dernière opinion

par des raisons que nous aurons à exposer à propos de l'art. 7 (infra, no 203). Mais en pronon çant le renvoi, le juge de paix doit-il condamner le demandeur aux dépens? MM. Curasson et Delebecque pensent que non.

Quant aux dépens, dit Curasson (t. 1, p. 369), si le défendeur succombe dans son exception de propriété, il est vrai qu'il serait injuste d'y condamner le demandeur, qui n'a fait que suivre la marche de la loi en saisissant le juge de paix d'une demande qui rentrait dans ses attributions; mais, comme il a été observé plus haut, | il est facile d'éviter cet inconvénient, en réservant les dépens pour y être statué par le juge auquel la cause est renvoyée; ce qui se pratique dans tous les cas de renvoi pour cause de connexité. Voy. aussi Delebecque, no 63, p. 28, et Dalloz, Répert., vo Compét. civ. des tribunaux de paix, no 126 in fine.

Nous ne pouvons nous ranger ni à l'une ni à l'autre de ces deux opinions, et nous pensons que dans toutes les hypothèses le juge de paix devra condamner aux dépens le demandeur évincé pour cause d'incompétence.

Remarquons d'abord que la distinction établie par M. Cloes ne repose sur aucun fondement juridique. Que le demandeur reconnaisse que la contestation du titre est suffisamment sérieuse pour motiver le renvoi, ou qu'il ne le reconnaisse pas, il n'en est pas moins vrai qu'il succombe dans son action dans les deux hypothèses. Sera-t-il maintenant plus coupable, ou de plus mauvaise foi, parce qu'il soutiendra vivement que la contestation du titre n'est pas sérieuse? Mais c'est plutôt le contraire qui sera vrai. Le demandeur qui assigne devant le juge de paix croit évidemment, s'il est de bonne foi, que le titre sur lequel il s'appuie ne peut être sérieusement contesté par le défendeur. Pourquoi la simple contestation du titre par son adversaire | le convaincrait-elle immédiatement de sa propre erreur? Et pourquoi dès lors exiger sa condamnation aux dépens parce qu'il a le courage de soutenir devant le juge ce qu'il a soutenu déjà par son assignation?

L'effet du système de M. Cloes serait d'encourager la faiblesse, et de priver le juge du secours fort précieux d'une discussion sérieuse sur la valeur de la contestation du titre. A défaut de ce débat contradictoire, le juge ne sera-t-il pas trop facilement enclin à accorder satisfaction au défendeur en admettant une contestation de titre qui ne sera qu'un moyen d'échapper à la loi sur la compétence?

L'opinion de MM. Curasson et Delebecque ne nous parait pas non plus pouvoir être adoptée. En premier lieu, le texte de l'art. 130 du code de procédure civile est général : Toute partie qui succombera, dit cette disposition, sera condamnée aux dépens. »

Il est admis, à la vérité, qu'un jugement interlocutoire doit réserver les dépens jusqu'à la décision du fond. Jusqu'à ce moment, en effet, il n'est souvent pas possible au juge de savoir de

quel côté est le bon droit. Mais quand il s'agit d'une demande en renvoi sur décliuatoire, il n'en est plus de même. Le renvoi dessaisit le juge primitif d'une manière complète, et lorsqu'il se déclare incompétent, sa décision a le caractère d'un véritable jugement définitif.

La décision ne laisse pas de doute sur l'opinion du juge, comme dans le cas où une mesure d'instruction est ordonnée par un interlocutoire. Cette opinion au contraire est définitive, et il n'est possible au plaideur d'en corriger les effets qu'en la frappant d'appel. Aussi la plupart des auteurs exceptent la décision sur déclinatoire des jugements dans lesquels le juge doit réserver les dépens. Telle est l'opinion de Lepage, Questions sur le code de procédure, p. 137, de Pigeau, t. 1, p. 516; de Carré et de son annotateur Chauveau, no 554.

Il n'y a d'ailleurs, aucune analogie, quoi qu'en dise Curasson (t. 1, p. 369), entre le renvoi pour cause d'incompétence et celui pour cause de connexité.

On comprend ainsi fort bien que dans le second cas le juge réserve les dépens, tandis qu'il ne peut le faire dans le premier. Quand y a-t-il lieu, en effet, à un renvoi pour cause de connexité?

« Le bon ordre de la justice, dit à ce sujet Boncenne (Théorie de la procédure civile, t. 1, p. 208), ne veut pas qu'une personne soit obligée à plaider pour la même affaire dans deux tribunaux à la fois, et soit exposée à voir rendre deux jugements contraires, qui s'entre-choqueraient et se rendraient inexécutables l'un l'autre.

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Il y a lieu, dans ce cas, à une autre espèce d'exception déclinatoire, à l'exception de litispendance et de connexité.

La litispendance est l'état d'une cause introduite dans un tribunal qui ne l'a point encore jugée : lis pendens...

L'exception de litispendance suppose que le procès existait déjà devant d'autres juges, entre les mêmes parties, pour la même chose, et sur une demande basée sur la même cause.

Le déclinatoire pour raison de connexité n'exige point ces identités parfaites dans les affaires soumises à deux tribunaux différents; il se fonde sur ce qu'elles se lient par des affinités telles, que le jugement de l'une doive indispensablement influer sur le jugement de l'autre, et sur ce que la même instruction leur convient et leur suffit. Ce ne sont plus les rigoureuses conditions sans lesquelles l'exception de litispendance ne saurait se produire; c'est quelque chose de plus mobile et de moins positif'; c'est une appréciation de rapports sympathiques et de certaines convergences que la loi abandonne à la sagesse des magistrats; mais c'est toujours le même but, celui de rendre la justice moins embarrassée, moins coûteuse, et de la faire une, comme la vérité dont elle doit être l'image. »

Tels sont les motifs qui expliquent l'art. 171 du code de procédure : « S'il a été formé précédemment, en un autre tribunal, une demande

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