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cales que sous la surveillance et l'inspection d'un docteur en médecine, ajoute qu'en cas d'accidents graves arrivés à la suite d'une opération exécutée hors de cette surveillance, il y aura recours en indemnité contre l'officier qui s'en sera rendu coupable;

a Que cet article ni aucun autre de nos lois n'absout le médecin ou l'officier de santé qui blesse ou tue par une faute lourde démontrée à sa charge;

« Qu'il suit seulement de ses dispositions que l'officier de santé assez téméraire pour entreprendre seul une grande opération chirurgicale est en faute par ce fait et responsable, même sans maladresse ou faute grave, des accidents sérieux qui arrivent et qu'auraient prévenus peut-être un concours éclairé et une opération plus parfaite;

«Que la loi du 19 ventôse an XI ainsi écartée, les articles 319 et 320 conservent tout leur empire, et qu'à la généralité de leurs termes, vient se joindre un nouveau motif tiré de l'esprit qui a dû animer le législateur;

« Qu'en effet, dans la société civile, toutes les professions, même les plus élevées, même celles dont l'exercice est précédé d'épreuves et accompagné de diplômes, sont assujetties par la loi à une responsabilité sévère, et qu'on ne concevrait pas que l'art du médecin, si honorable et si utile, mais qui tient de si près à la vie des hommes, jouirait seul du privilège inoui d'une irresponsabilité absolue; et que, là où la négligence et la maladresse offrent le plus de danger, l'impunité, quelque inexcusables qu'on les suppose, serait par avance, et dans tous les cas, plus invariablement assurée ;

« Mais que si le législateur n'eût pu sans péril désarmer à ce point la société, on doit reconnaître aussi que les tribunaux doivent user avec prudence et modération des pouvoirs que la loi pénale leur confère; qu'ils ne sont point juges compétents des théories, des opinions, des systèmes; qu'ils ne peuvent apprécier l'opportunité, l'exactitude plus ou moins parfaite d'une opération chirurgicale, la valeur d'un procédé comparée aux résultats d'un autre procédé, parce qu'ils ne sauraient jamais être convertis en conseils médicaux supérieurs, distribuant le blâme avec la peine et indiquant la route qu'il faut suivre ;

«Que leur action ne peut donc s'exercer dans cette région réservée à la science, mais qu'elle commence là où, pour tout homme de bon sens, et indépendamment des théories sujettes à discussion, il y a eu, de la part du médecin, faute lourde, négligence, maladresse visible, impéritie ou ignorance des choses que tout homme de l'art doit savoir, et qu'il a ainsi compromis les jours du malade ou converti son opération en une véritable blessure;

Que cette distinction, conforme à la jurisprudence, concilie la liberté nécessaire à l'art et à l'opération avec les justes garanties dues à la société tout entière (1). »

109. Nous avons cité, à l'occasion de la responsabilité civile

(1) Besançon, 18 déc. 1844. P. 1845, 2, 317.

DUBRAC.

9

(page 100), l'affaire du docteur Hélie qui, chargé d'opérer un accouchement, crut l'enfant mort et amputa les bras, alors que cet enfant vivait encore et survécut même à l'opération. Ce cas n'est malheureusement pas le seul où l'opération de la brachiotomie, pratiquée sans réflexion et avec une précipitation coupable, ait entraîné la responsabilité de l'accoucheur.

Le 22 mai 1880, le docteur X... était appelé dans un village voisin de sa résidence pour opérer l'accouchement d'une femme Pagès. L'opération offrait des difficultés; la femme Pagès était primipare, et l'enfant se présentait par le bras.

Dès son arrivée, le docteur X..., en constatant les conditions anormales de l'accouchement, déclara que l'enfant était mort et qu'il fallait lui couper le bras pour pouvoir opérer l'accouchement. Les personnes présentes lui firent observer que l'enfant devait être vivant, que la mère venait de le sentir remuer un instant auparavant, et la mère confirma ce dire. Le docteur X... n'en persista pas moins à soutenir que l'enfant était mort, et il précisa que la mort remontait à quatre heures, et qu'il ne pouvait opérer qu'en lui coupant le bras. Il prit des ciseaux et opéra en effet l'ablation du bras, puis il procéda à l'accouchement, qui eut lieu alors sans difficulté. L'enfant ne donna pas, tout d'abord, signe de vie ; le docteur X... le plia dans un linge, puis, considérant ce corps comme un cadavre, il le déposa dans un coffre dont il rabattit le couvercle.

Une demi-heure après, alors que le docteur donnait encore des soins à l'accouchée, on entendit des vagissements. Le docteur X... se précipita vers le coffre, l'ouvrit et en retira l'enfant parfaitement en vie. Il lui donna alors les soins que nécessitait son état et le baptisa. L'enfant vécut encore vingt-quatre heures. mais finit par succomber, victime de l'opération dont il avait été l'objet.

Le docteur X... fut, pour ce fait, traduit en police correctionnelle devant le tribunal du Puy. La prévention lui reprochait

1° De ne s'être pas assuré, en présence des affirmations de la mère et des personnes qui l'entouraient, si l'enfant était réellement vivant. Il n'avait rien fait dans ce but, il n'avait fait aucune auscultation et s'était contenté de dire d'une façon affirmative qu'il était mort depuis quatre heures ;

2o De n'avoir pas, une fois cette vérification faite, ou même seulement en présence des affirmations que l'enfant était vivant,

tenté d'opérer la version, sauf à la suspendre si, après des tentatives infructueuses, il avait acquis la conviction qu'elle était impossible ou qu'elle présentait un danger sérieux pour la mère.

Le docteur X... n'est pas un médecin à ses débuts ; il est âgé et a, dans son canton, une grande réputation comme accoucheur. Il alléguait pour sa défense qu'il ne pouvait agir autrement qu'il ne l'a fait, sous peine de compromettre l'existence de la mère; que le bras de l'enfant présentait un aspect violacé qui lui a fait croire qu'il était mort, et que dans tous les cas, s'il ne s'est pas assuré si l'enfant était vivant ou mort, c'est qu'alors même qu'il ne l'eût pas cru mort, il ne pouvait agir différemment, à moins de s'exposer à tuer la mère qui était, disait-il, en proie à un épanchement sanguin et menacée d'une attaque d'éclampsie.

Il fut procédé à l'autopsie du petit cadavre, et trois médecins furent nommés comme experts pour apprécier, d'après les éléments fournis par l'information, la responsabilité que pouvait avoir encourue le docteur X...

Deux d'entre eux se prononcèrent nettement contre lui. Le troisième, tout en étant d'accord avec ses confrères sur la constatation des faits, pensa que la conduite du docteur X... peut trouver son excuse dans la crainte qu'il avait de voir la mère en proie à une attaque d'éclampsie, crainte dont lui seul pouvait être juge par les symptômes qui pouvaient se manifester dans la physionomie de celle-ci.

Le tribunal du Puy rendit le jugement suivant:

« Attendu que le docteur X... est prévenu d'avoir, par sa négligence ou son imprudence, causé la mort de l'enfant dont la femme Pagès est accouchée le 22 mai 1880 ;

« Attendu qu'en arrivant auprès de la femme Pagès, le sieur X... aurait dù tout d'abord s'assurer si l'enfant était mort ou vivant, et qu'en ne le faisant pas, en concluant à la mort d'après son premier diagnostic qui n'offrait aucun caractère de certitude à l'aspect violacé et tuméfié du bras, alors que les dires de la mère et des personnes présentes à l'accouchement lui imposaient le devoir impérieux de vérifier l'exactitude de ses premières constatations, il a commis une faute lourde qui a entraîné de funestes conséquences;

• Attendu que l'enfant étant vivant, le docteur X... aurait dû tenter d'en opérer la version;

« Qu'il résulte cependant des témoignages entendus et des aveux mėmes du docteur X... qu'il n'a fait aucune tentative et qu'il n'a essayé aucun des moyens usités en pareil cas;

Que cependant rien ne prouve que la version fût impossible et que le docteur X... n'avait pas le droit de croire à cette impossibilité qu'après des essais qu'il n'a même pas tentés;

« Attendu que le docteur X... n'aurait été autorisé à pratiquer la brachiotomie sur un enfant vivant et avant tout essai de version, que s'il y avait eu urgence à délivrer la mère ;

« Qu'à cet égard le docteur X... a allégué: 1o un épanchement sanguin, 2o la crainte d'une attaque d'éclampsie ;

« Attendu que l'épanchement sanguin allégué par le docteur X... n'a jamais existé que dans son imagination; que les médecins appelés à donner leur avis repoussent unanimement cette hypothèse;

« Attendu que la crainte d'une attaque d'éclampsie n'est pas plus sérieuse; que le docteur X... n'a fait part à personne, au moment de l'accouchement, d'une pareille crainte qu'il n'aurait pas manqué de manifester;

« Que son attitude après la délivrance de la mère et les paroles par lui prononcées dénotent qu'il n'a jamais eu de crainte à cet endroit ;

« Que de tout cela il résulte qu'en pratiquant la brachiotomie sur l'enfant de la femme Pagès, le docteur X... a agi sous l'empire de cette idée que cet enfant était mort, et que c'est là seulement ce qui explique qu'il n'ait fait aucune tentative de version;

« Attendu que, dans de telles circonstances, le docteur X... doit être déclaré coupable d'homicide par imprudence;

« Attendu que le fait reproché au docteur X... tombe sous le coup de l'article 319 du Code pénal;

« Attendu qu'il y a lieu d'admettre en faveur du prévenu des circonstances atténuantes, à raison de ce que, suivant les probabilités les plus nombreuses, l'enfant ne fût pas venu au monde, même en supposant que la version eût été opérée;

«Par ces motifs, le tribunal déclare le prévenu atteint et convaincu du délit d'homicide par imprudence qui lui est imputé. et, pour réparation, vu les articles 319 et 463 du Code pénal, condamne le sieur X... à 200 francs d'amende et aux dépens (1). »

Le tribunal, en disant que « le docteur X... n'aurait été autorisé à pratiquer la brachiotomie sur un enfant vivant ET AVANT TOUT ESSAI DE VERSION, que s'il y avait eu urgence à délivrer la mère », tranche implicitement l'importante question de savoir si le devoir de l'accoucheur l'oblige à tuer l'enfant pour sauver la mère. Nous n'avons pas l'intention de discuter ici la doctrine émise par le tribunal du Puy; nous reconnaissons d'ailleurs qu'elle se justifie par de sérieuses considérations d'intérêt social, mais nous faisons des réserves en ce qui concerne l'essai de version. Il faudrait que l'urgence fût bien absolue et bien démontrée pour que cet essai ne fût tenté.

pas

110. Pour qu'une peine soit appliquée, il faut aussi que non seulement la faute soit bien caractérisée, mais encore qu'elle ait évidemment été la cause de la mort ou de la maladie.

(1) Trib. du Puy, 31 janvier 1881. Gazette des Tribunaux, 9 février 1881.

Une dame Saugeron mourut à Evreux, le 23 mai 1845; cette femme était dans la force de l'âge, d'une robuste constitution, et sa maladie n'avait duré que fort peu de jours. Cette mort surprit les habitants et éveilla l'attention des magistrats. On sut bientôt que la dame Saugeron n'avait pas voulu voir de médecin ; que lorsque ses parents, effrayés des progrès du mal, avaient, malgré ses défenses, appelé un homme de l'art, elle avait refusé de se conformer à ses prescriptions. Une visite à son domicile y fit découvrir un grand nombre de fioles vides ayant toutes contenu des purgatifs ou des vomitifs Leroy, et le sieur Saugeron annonça que sa femme, depuis plusieurs années, se soignait ellemême d'après cette méthode que lui avait conseillée un docteur en médecine de Paris, le sieur Signoret, qui l'avait encore prescrite dans la dernière maladie de la dame Saugeron, qu'il traitait par correspondance et à laquelle il écrivait sans cesse de prendre son remède Leroy résolûment, courageusement et sans crainte.

Il fut procédé à l'autopsie, et trois médecins experts constatèrent que la dame Saugeron avait originairement été atteinte d'une fièvre typhoïde, mais que cette maladie était peu grave et ne pouvait être la cause de la mort; que cette mort était au contraire le résultat d'une inflammation très aiguë de l'estomac et des intestins, et que cette inflammation avait été produite ellemême par l'usage immodéré et abusif du remède Leroy. Le docteur Signoret fut traduit, à raison de ces faits, en police correctionnelle, et condamné par le tribunal d'Évreux à trois mois d'emprisonnement et 600 francs d'amende. Mais, sur l'appel du prévenu, la Cour de Rouen infirma le jugement par ce motif: <qu'il est assez difficile pour les médecins, même les plus habiles, d'affirmer avec une certitude entière, que, dans tel ou tel cas donné, c'est l'action des remèdes et non celle de la maladie qui a causé la mort (1). »

Cet arrêt pourrait assurément être discuté en ce qui concerne la possibilité de reconnaître les causes de la mort. Les rapports produits chaque jour par les médecins légistes dans une multitude d'affaires criminelles, et qui servent de base aux décisions judiciaires les plus importantes, démontrent au contraire avec une grande clarté que s'il est assez difficile d'affirmer la cause de la mort, cela pourtant est très possible. Nous voulons seulement retenir de la décision de la Cour de Rouen ce principe que le médecin ne peut être rendu responsable d'un décès qu'autant

(1) Rouen, 4 décemb. 1845. P. 1846, 1, 660.

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