Page images
PDF
EPUB

169. Une circulaire du ministre de la justice, du 16 août 1842, prescrit à chaque Cour d'appel « de faire choix à l'avance d'hommes expérimentés dans chaque partie des sciences médicales et se les attacher, de manière à être assuré de les retrou<ver au besoin. » Elle recommandait aux magistrats du ministère public de choisir aussi à l'avance, dans chaque canton, les médecins les plus dignes de leur confiance et de les désigner à leurs auxiliaires.

Ces instructions sont, en général, exécutées, surtout à Paris, où les magistrats n'ont qu'à choisir parmi les hommes les plus éminents dans la science médico-légale. Aussi, les personnes qui savent avec quelle scrupuleuse et minutieuse attention sont faites les expertises à Paris, ont-elles dû s'étonner des critiques du docteur Cornil dans l'affaire Danval et supposer qu'elles étaient dictées par des raisons fort étrangères à la médecine légale.

On comprend aussi que les honorables médecins chargés habituellement des expertises aient cru devoir protester contre des paroles prononcées à la Cour de Paris, le 3 novembre 1880, et qui semblaient être un écho de ces critiques imméritées (1).

170. Quant aux analyses chimiques, nous conseillons, pour les affaires capitales, de les faire faire soit à Paris, soit dans les villes de province où se trouvent des écoles de pharmacie. Les experts de Paris, surtout, ont, pour ces sortes de travaux, des connaissances pratiques et une expérience de manipulation que l'on

(1) Dans l'audience solennelle de rentrée de la Cour d'appel de Paris, le 3 novembre 1880, M. le Procureur général Dauphin avait prononcé la phrase suivante :

Les expertises se font sans lui (l'accusé) par des hommes pour qui leurs « opinions scientifiques personnelles, des négligences inévitables dans les opé<rations sans contrôle et la trop longue fréquentation des chambres d'instruc<tion sont autant de causes d'erreurs. D

Les médecins et les chimistes experts près la Cour de Paris et le tribunal de la Seine, se sentant atteints dans leur dignité professionnelle et dans leur probité scientifique, avaient déclaré qu'ils s'abstiendraient désormais de prendre part aux operations médico-légales.

Dans le numéro du Droit et de la Gazette des Tribunaux du 14 novembre, on lit la note suivante, qui donne satisfaction à MM. les experts et leur a permis de reprendre au Palais leurs anciennes fonctions.

Monsieur le Procureur général nous fait la communication suivante, avec prière d'insérer :

Le Procureur général près la Cour de Paris a appris que MM. les médecins et chimistes chargés à Paris des expertises dans les affaires criminelles et <correctionnelles ont considéré une phrase du discours prononcé par lui à l'audience de rentrée de la Cour comme impliquant une critique de la manière dont ils accomplissent leur mission. Il tient à repousser cette interprétation tout à fait contraire à sa pensée et à l'opinion qu'il professe sur le savoir, l'impartialité et le dévouement consciencieux de MM. les experts. Il a voulu sculement, dans une étude théorique, reprocher à la législation criminelle de ne pas placer, à côté des expertises, un contrôle qui garantisse contre toutes causes d'erreurs. »

rencontrera difficilement autre part, outre qu'ils possèdent, dans leurs laboratoires, l'outillage spécial le plus complet. On trouve aussi les plus grandes garanties auprès des écoles de pharmacie de province. Nous ne voulons pas dire que l'on ne rencontre pas souvent ailleurs des chimistes expérimentés; mais quand la vie d'un homme dépend du résultat d'une analyse chimique, il est bon que la conscience publique soit rassurée par la notoriété qui s'attache au nom de l'expert.

171. Mais l'expert de la localité n'en doit pas moins recueillir avec le plus grand soin tous les éléments, tous les matériaux nécessaires, et fournir dans un rapport clair, précis, détaillé, les indications qu'il juge de nature à guider l'expert chimiste dans son opération.

172. Un sieur V...., demeurant dans l'arrondissement de Confolens, était fortement soupçonné d'avoir empoisonné, à l'aide de l'acétate de cuivre, une vieille tante, dans le but de jouir plus tôt de sa succession. Le 28 janvier 1862, il fut procédé à l'exhumation et à l'autopsie du cadavre de la femme C..........., décédée le 21 septembre 1856, c'est-à-dire depuis plus de cinq ans.

Le docteur Dumas, qui procéda à cette première opération, après avoir fait toutes les constatations nécessaires pour établir l'identité du cadavre, recueillit, avec toutes les précautions possibles, les matières qu'il put trouver dans les cavités thoracique, abdominale et pelvienne, ainsi que des matières fibreuses prises entre les cuisses. Il joignit à ces matières, placées dans des bocaux soigneusement bouchés et étiquetés, de la terre recueillie en dessus et en dessous du cercueil, et enfin un chapelet trouvé sur le cadavre.

MM. Félix Boudet, membre de l'Académie de médecine, et Roussin, professeur agrégé de chimie et de toxicologie à l'Ecole du Val-de-Grâce, furent chargés d'analyser les matières recueillies. Il résulta des opérations très complètes auxquelles ils durent se livrer que, dans la terre prise tant au-dessus qu'au-dessous du cercueil, il n'existait aucune trace de composé cuivreux, mais que, dans les débris extraits des cavités thoracique, abdominale et pelvienne, ils avaient découvert une notable quantité de cuivre. Il ne s'en trouva point dans les matières fibreuses adhé rentes à la partie interne des cuisses.

Néanmoins, le chapelet trouvé sur le cadavre étant composé de boules de bois reliées entre elles par un fil de laiton, les experts ne purent affirmer que le cuivre trouvé dans les matières

analysées fût dû à un empoisonnement et ne provînt pas de ce chapelet, bien qu'il en eût été retrouvé en quantité relativement considérable.

Indépendamment de l'expertise, l'instruction avait révélé contre le sieur V... les charges les plus graves. Il est donc certain que si le médecin chargé de l'autopsie n'eût pas recueilli le chapelet ou au moins signalé sa présence sur la poitrine de la veuve C..., les conclusions des chimistes auraient dû être différentes, et que, selon toute probabilité, V... eût été condamné, tandis que le doute émis par les experts sur la provenance du cuivre trouvé dans leur analyse motiva un arrêt de non-lieu par la Chambre des mises en accusation.

173. Aux termes de l'article 44 du Code d'instruction criminelle, les officiers de police judiciaire doivent, dans les cas de mort violente, se faire assister d'un ou deux officiers de santé.

D'un autre côté, l'article 81 du Code civil dit que, s'il y a des indices de mort violente lors de la constatation d'un décès, l'inhumation ne peut avoir lieu avant les constatations légales que doit faire l'officier de police judiciaire, assisté d'un docteur en médecine ou en chirurgie.

On s'est demandé s'il n'y a point contradiction entre ces deux dispositions de loi. La question mérite à peine d'être posée.

La loi emploie habituellement l'expression officiers de santé comme terme générique, pour désigner toute personne qui se livre légalement à l'art de guérir. Le mot officier signifie toute personne revêtue d'un caractère légal. On dit : les officiers de police judiciaire, les officiers publics, les officiers de l'état civil, les officiers ministériels, et l'on dit de la même façon, les officiers de santé. La loi dit souvent: les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé. (Articles 160, 317, 378 du Code pénal.) Il ne faut donc pas entendre par là seulement les personnes pourvues du diplôme restreint conféré en vertu des articles 15 et suivants de la loi du 19 ventôse an XI. Mais il ne faut pas non plus exagérer les dispositions de l'article 81 du Code civil et décider qu'on ne doit appeler que des docteurs.

174. Un étranger non naturalisé Français, mais reçu docteur dans une Faculté de France, peut-il être nommé expert?

Pour la négative, on fait remarquer que les étrangers ne jouissent pas, en France, des droits civils, que le droit d'être expert constitue assurément un droit civil, ainsi que cela résulte implicitement de l'article 42 du Code pénal; que les experts

remplissent un ministère légal et public, puisque leur signature imprime un caractère d'authenticité à leur rapport, et que, pour remplir un office public, en France, il faut être Français (1).

Mais l'opinion contraire paraît prévaloir par ce motif que le droit d'être expert ne serait pas un droit civil; que l'argument tiré de l'article 42 du Code pénal est sans valeur, l'incapacité d'être expert provenant, dans ce cas, de l'indignité qui résulte de la condamnation et non de la privation des droits civils; qu'enfin l'expertise n'est que l'accomplissement d'un mandat ordinaire, qui peut être confié à toute personne que la loi n'en déclare pas indigne (2). Aussi a-t-il été jugé, en matière criminelle notamment, qu'un étranger peut procéder à une expertise et en faire le rapport en justice (3).

Les expertises peuvent donc être confiées soit à des docteurs, soit à de simples officiers de santé, français ou étrangers. Sans doute on doit toujours, ainsi que nous l'avons dit, désigner, autant que possible, ceux qui offrent les plus grandes garanties de savoir et d'expérience; mais il peut se présenter bien des cas où, dans les communes ou cantons ruraux, le choix n'est pas possible et où les officiers de police judiciaire sont contraints de prendre le premier officier de santé qui leur tombe sous la main. Les premières constatations sont souvent très urgentes; le maire ou le juge de paix ne peut pas toujours attendre, pour y faire procéder, que les magistrats du parquet aient été avertis, et qu'un docteur du chef-lieu d'arrondissement ait pu se rendre sur les lieux. L'officier de santé qu'ils s'adjoignent doit procéder avec beaucoup de soin et de prudence, et recueillir principalement les indications qui pourraient promptement disparaître. Le procureur de la République, immédiatement averti par son auxiliaire, arrivera sur le lieu du crime avec le médecin habituel du parquet. Ce dernier devra, autant que possible, opérer en présence de son confrère, déjà chargé des premières recherches, afin de recueillir toutes les indications de nature à éclairer son travail. Les deux rapports se compléteront d'ailleurs l'un par l'autre.

175. Le 6 février 1867, le ministre de la justice adressait aux procureurs généraux une circulaire qui a peut-être été un peu perdue de vue aujourd'hui ; nous ne pouvons qu'engager les magistrats du parquet à la méditer. Elle était ainsi conçue :

(1) Guichard, Traité des droits civils, p. 54 et 55, no 42. Carré, q. 1163. Bioche, v Expert., no 61.

(2) Dalloz, Rép., vo Droits civils, no 218.

(3) Cassat. 16 décembre 1847. D. P. 47. 1. 238. Aff. Pey.

[blocks in formation]

« Monsieur le Procureur général, depuis longtemps la Chancellerie constate que les expertises ordonnées, tant en matière criminelle qu'en matière correctionnelle, donnent lieu à de nombreux et graves abus. La lenteur mise par les experts à rendre compte des missions qui leur sont confiées augmente considérablement la longueur des détentions préventives, et, d'autre part, les sommes réclamées pour rais d'expertise s'élèvent à des chiffres souvent exorbitants, qu'une bonne administration du budget des frais de justice ne permet pas de passer en taxe.

« J'ai dû rechercher les causes de ce regrettable état de choses et les moyens d'y porter remède. En formulant, dans cette circulaire, quelques-unes des règles qu'il me paraît convenable de suivre désormais, j'appelle toute votre sollicitude sur cette importante partie du service judiciaire.

Choix des experts. D'abord, en ce qui concerne le choix des experts, je ne puis mieux faire que de reproduire les sages dispositions de l'article 17 de l'instruction générale du 30 septembre 1826 :

Les expertises exerçant toujours une grande influence sur la solution que les tribunaux donnent aux questions qui leur sont « soumises, il est important de ne les confier qu'à des hommes capaables et expérimentés; car, si on a recours à des experts peu instruits, on s'expose à des erreurs, à des méprises trop souvent irréparables, puisqu'on peut se trouver dans l'impossibilité de refaire ce qui a été mal fait dans le principe; et quand bien même a l'erreur est réparable, on a encore le grave inconvénient d'augmenter, dans de notables proportions, les frais de justice. Je ne saurais « donc trop insister pour qu'on apporte le plus grand soin dans le choix des experts.

Il faut n'en nommer qu'un seul, et au plus deux. Sous prétexte d'arriver à une plus grande certitude, de porter une conviction plus entière dans les esprits, les magistrats se montrent beaucoup trop faciles à requérir, de prime abord et sans distinction, deux et même trois experts. C'est là une tendance regrettable contre laquelle il faut réagir. En définitive, l'expertise ne lie ni les magistrats ni la défense, et le nombre, qui retarde toujours la solution des questions posées, n'est pas une garantie de la valeur du travail.

Il me parait évident, en effet, que les expertises tirent leur force probante, beaucoup moins du nombre des hommes spéciaux consultés, que du mérite, de la science et de l'intégrité bien connue de l'expert. Il arrive même souvent qu'un rapport offre d'autant plus de garanties qu'il est signé par un seul expert, parce que la responsabilité en retombe sur lui seul ; qu'il a dû vérifier tout par lui-même, et qu'aucune opinion n'est énoncée en vertu d'une sorte de compromis ou de transaction.

C'est donc, je le répète, en sachant bien choisir l'expert auquel on confie une mission, et non en en multipliant le nombre, qu'on assure à ce complément de l'information, nécessaire dans bien des cas, toute l'importance qu'il doit avoir.

[ocr errors]

Médecine légale. Le Code d'instruction criminelle a d'ailleurs lui-même tracé cette règle dans les articles 43 et 44, qui ne s'appliquent pas seulement au cas de flagrant délit, mais dont les indica

DUBRAC.

13

« PreviousContinue »