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à l'entretien et à l'éducation des enfants (1). Et enfin l'article 1448 dispose que:

«La femme qui a obtenu la séparation de biens doit contribuer proportionnellement à ses facultés et à celles du mari, tant aux frais du ménage qu'à ceux d'éducation des enfants communs. Elle doit supporter entièrement ces frais, s'il ne reste rien au

‹ mari. »

Nous n'hésitons pas à penser que les frais d'un traitement médical fourni à l'un des époux ou à leurs enfants font partie des frais du ménage. En conséquence, les médecins et les pharmaciens ont une action directe contre le mari pour le paiement de leurs mémoires, parce qu'il est toujours le chef du ménage, et ils peuvent en outre poursuivre le remboursement de leurs créances sur les biens de la femme, dans les cas prévus par l'article 1448 du Code civil.

275. Le tribunal de la Seine a pourtant jugé que les frais de maladie d'une femme séparée de biens ne peuvent donner lieu à une action contre le mari.

Mme Jouanneau, veuve d'un médecin qui avait donné des soins à Mme Blanc, réclamait au mari, M. Blanc, une somme de 95 fr. pour honoraires. Le défendeur, cité devant le juge de paix du 9o arrondissement de Paris, répondit que c'était une dette incombant aux héritiers de sa femme, laquelle était décédée depuis, et demandait reconventionnellement 150 fr. de dommages-intérêts.

Mme veuve Jouanneau répliquait que le mari et la femme, quel que soit le régime sous lequel ils sont mariés, se doivent aide, secours et assistance; que M. Blanc était donc personnellement débiteur de la somme réclamée.

Le juge de paix rendit une sentence conforme à ces dernières conclusions.

Sur l'appel, le tribunal, considérant que l'article 212 du Code civil ne peut conférer aux tiers une action contre l'époux séparé de biens, pour l'exécution des obligations consenties par son conjoint; que, dans l'espèce, les sommes pouvant être dues à la succession Jouanneau pour soins donnés à la dame Blanc pendant sa dernière maladie, et alors qu'elle était séparée de biens d'avec son mari, constituent une dette de la succession de cette dame, dont le recouvrement ne peut être poursuivi contre le mari, alors qu'il n'est justifié d'aucun engagement personnel par lui con

(1) Article 203.

tracté, a infirmé la sentence rendue par le juge de paix et déclaré la dame veuve Jouanneau mal fondée en sa demande (1).

276. La doctrine consacrée par cette décision nous paraît fort discutable. En effet, s'il est vrai que l'article 212 ne peut conférer aux tiers une action contre l'époux séparé de biens, pour l'exécution des obligations consenties par son conjoint, encore fautil que les obligations dont le tiers demande l'exécution aient été consenties personnellement par ce conjoint pour qu'elles ne puissent pas donner naissance à une action contre l'autre.

Or est-ce bien le conjoint malade seul qui contracte l'obligation de payer le médecin qui le soigne ? L'article 212 n'est rien, ou il oblige le mari qui voit sa femme en danger de mort, à appeler un médecin pour tenter de la soulager. Et l'on dira ensuite que ce mari, en appelant le médecin, n'a pu prendre envers lui aucun engagement!

Les frais d'un traitement médical, ayant pour but de conserver la vie à l'un des époux, incombent assurément au ménage; l'autre époux ne peut se désintéresser à ce point de ce qui touche à l'exis tence même de son conjoint qu'il ait le droit de ne pas participer aux frais du traitement. Comment! l'époux, même séparé de corps, aura, suivant les circonstances, une action pour se faire payer par l'autre une pension alimentaire, les mémoires du boulanger et du boucher pourront être à la charge de ce dernier, et ceux du médecin et du pharmacien ne seront pas payés!...

Il s'agissait, il est vrai, dans l'espèce, des frais de dernière maladie, mais il n'y a point de distinction à faire ce sujet; ces frais seraient à la charge de la communauté, si elle existait encore au moment du décès de l'époux (2), et si la com nunauté a été dissoute antérieurement, c'est une charge du mér ge dont chacun des époux est tenu solidairement (3).

277. Au surplus, la jurisprudence est assez favorable à l'action des médecins en paiement de leurs honoraires. La Cour de cassation a décidé que l'intermédiaire qui a pris l'initiative de l'appel d'un médecin auprès d'une femme malade peut tre considéré comme s'étant par là obligé solidairement avec le mari de cette malade au paiement des honoraires de l'homme de l'art.

Un jugement du tribunal civil de Narbonne, du 22 janvier 1872, fait suffisamment connaître les faits; il est ainsi conçu :

(1) Tribun. de la Seine, 7° ch., 19 mars 1878. 1878.

Gazette d's Tribun., 5 avril

(2) Marcadé, Explication du Code civil, t, v., p. 503. (3) Voir le jugement qui suit, dans ses motifs.

« Considérant que les défendeurs ne contestent ni les soins donnés par Alphonse Duprat, en sa qualité de médecin, à la femme Courbet, pendant la maladie dont elle était atteinte jusqu'à son décès, ni le nombre des visites simples, ni le nombre des visites accompagnées d'opérations chirurgicales, ni le salaire de chaque visite, ni les frais de déplacement; que chacun d'eux se borne à contester l'obligation de payer les honoraires des médecins, Courbet rejetant cette obligation sur Fabre, et Fabre rejetant l'obligation sur Courbet;

« Considérant que Courbet est tenu de payer les honoraires du médecin en vertu d'une obligation naturelle et en vertu des dispositions de l'art. 214 du Code civil; qu'il n'est pas tenu comme maitre de la communauté qui a existé entre lui et sa femme, mais en sa qualité de mari, comme conséquence de la puissance maritale et de Tobligation imposée à la femme d'habiter avec le mari et de le suivre partout où il jugera à propos de résider;

Considérant que, dans la comparution personnelle, Courbet a avoué qu'il avait eu connaissance des visites faites par Alphonse Duprat, du traitement que le médecin avait imposé, du voyage fait par la femme Courbet, accompagnée de sa fille, à Carcassonne, pour se mettre à la disposition du médecin et pour recevoir ses visites de plus près; qu'il a eu connaissance des voyages faits par Alphonse Duprat à Narbonne, pendant la dernière période de la maladie ; qu'il a vu le médecin entrer dans la chambre de sa femme; qu'il n'a pu ignorer pour quel objet il y entrait, et n'a manifesté aucune opposition;

« Considérant qu'il suit de là que, si Courbet a ignoré les premières visites du médecin, il n'a pas ignoré la suite du traitement, il l'a ratifié pour le passé et l'a autorisé pour l'avenir; que, dès lors, il est obligé de satisfaire à sa demande ;

« Considérant, en ce qui concerne Fabre, que s'il nie plusieurs circonstances de la cause, malgré la notoriété publique la plus constante, il a du moins avoué, dans sa comparution personnelle, qu'il était présent à Lézignan, lorsque la femme Courbet s'y est rendue pour se soumettre aux visites et au traitement d'Alphonse Duprat ; que, lorsque la femme Courbet a séjourné à Carcassonne, près de son médecin, ledit Fabre y a séjourné aussi pendant plusieurs jours; qu'il a assisté aux visites, sinon aux opérations; qu'il est allé luimême prendre les médicaments chez le pharmacien et les a payés; qu'à l'occasion du traitement, il a lié des relations étroites avec le médecin; qu'il s'est chargé de lui écrire de Narbonne, pour lui faire connaitre l'état de la malade et le succès du traitement; qu'il a adressé au sieur Duprat trois dépêches télégraphiques, en son propre nom, pour le faire venir; qu'il l'a reçu à Narbonne ; qu'il l'a fait manger à sa table et qu'il a assisté à toutes les visites que le médecin a faites pendant les trois voyages;

Considérant qu'il résulte de ces aveux que Fabre a appelé le médecin; qu'il a pris l'initiative de l'appel et s'est obligé de payer les honoraires du médecin solidairement avec le mari, dont l'insolvabilité devait être suspecte à l'homme de l'art;

«Par ces motifs, etc... >>

Pourvoi en cassation par le sieur Fabre. Violation et fausse appli

cation des art. 1119, 1120 et 1202 du Code civil, en ce que le jugement attaqué a condamné le demandeur comme obligé solidairement avec le sieur Courbet envers le défendeur, alors que le sieur Fabre s'étant borné à servir d'intermédiaire entre le sieur Duprat et la dame Courbet, n'avait pris envers le sieur Duprat aucun engagement personnel.

Dans le contrat qui s'établit entre le malade et le médecin qui le traite, a-t-on dit, il est certain qu'en principe, c'est le malade seul qui est obligé envers le médecin. Par exception, des tiers peuvent également être obligés; mais, pour cela, il faut un texte de loi ou un engagement personnel. C'est ainsi qu'un père est obligé pour le traitement donné à ses enfants, un mari pour le traitement de sa femme. Or, dans l'espece, le demandeur ne se trouve point dans un cas d'exception légale ou contractuelle. C'est en vain qu'on se fonde sur ce qu'il a parfois servi d'intermédiaire complaisant entre la malade et le médecin, pour en faire découler une obligation de sa part. Une telle solution est repoussée par tous les principes. En effet, elle présume une obligation qui doit être prouvée contre celui auque! on l'oppose. Et même en concédant que les présomptions soient admissibles en pareil cas, on sait qu'il est de règle que la présomption a lieu de eo quod plerumque fit. Or, dans l'usage, celui qui appelle un médecin pour un malade, l'appelle au nom de ce malade, comme negotiorum gestor ou mandataire de celui-ci ; et, dans notre droit, le negotiorum gestor et le mandataire obligent le géré et le mandant sans s'obliger eux-mêmes.

Si l'obligation mise par le jugement à la charge du demandeur ne peut se justifier, la solidarité prononcée par le même jugement est plus injustifiable encore, puisque l'art. 1202 du Code civil dispose que la solidarité ne se présume pas et doit être expressément stipulée. Or, il est impossible de trouver dans les faits de la cause aucune stipulation de ce genre.

Arrêt « La Cour, Attendu que le jugement attaqué a retenu dans ses motifs les faits avoués par le demandeur en cassation dans sa comparution personnelle à l'audience, et qu'il a tiré de ces aveux. souverainement appréciés, la preuve que ce demandeur s'était obligé de payer les honoraires du médecin, solidairement avec le mari, puisqu c'était lui qui avait pris l'initiative de l'appel de l'homme de l'art que cette décision, conforme à l'art. 1371 du Code civil, n'a rien de contraire aux autres articles du même Code invoqués par le pourvoi.....

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« Rejette, etc... » (4).

L'arrêt est parfaitement fondé en droit. Quant au jugement qui était déféré à la Cour suprême, c'était évidemment ce qu'au palais on appelle une décision d'espèce, dont il ne faudrait pas exagérer la portée; le commissionnaire chargé d'appeler le médecin près d'un malade n'est pas tenu de payer les frais de la visite; mais ce qu'il faut retenir du jugement,c'est que le médecin

(1) Cassation, 4 décembre 1872 P. 1872. 1139.

une action contre la personne qui l'a appelé, quand cette personne paraît avoir eu un intérêt quelconque à la guérison du malade, et qu'enfin elle a contracté l'obligation tacite de payer les honoraires.

273. Pour que le médecin ait une action contre les tiers pour les soins donnés à un malade, il faut que l'obligation de ce tiers résulte clairement, soit de la loi, soit des circonstances.

Lejeune Meu,apprenti depuis deux ans dans les ateliers des sieurs Privat et Guignard,de Bordeaux, fut obligé, pour son service, de passer sur des fers à T et fit, le 11 octobre 1875, une chute grave qui occasionna une carie de l'os de la jambe et nécessita l'amputation. Cette opération fut pratiquée, dans le courant du mois de mai 1876, par le docteur Lande, assisté des docteurs Chapelle et Hirigoyen. MM. Chapelle et Lande,qui avaient donné des soins au jeune Meu, intentèrent une action contre les sieurs Privat et Guignard pour le paiement de leurs honoraires qu'ils fixaient, le docteur Lande à 1750 fr., et le docteur Chapelle à 1,950 fr. Ils fondaient cette demande sur ce que Guignard aurait écrit, le 28 avril 1876, à la dame Meu, mère du jeune malade, une lettre par laquelle il annonçait que, le lendemain, il se rendrait chez elle, avec son médecin, pour que celui-ci examinât, avec le docteur Chapelle, ce qu'il convenait de faire.

Ils prétendaient aussi que, dans le mois de février 1876, les sieurs Privat et Guignard avaient chargé leur médecin, le docteur Hirogoyen, de s'entendre avec le docteur Chapelle sur le traitement à suivre; que des consultations avaient eu lieu avec ce dernier en présence de Guignard lui-mê re, qui se serait chargé d'amener la famille à consentir à l'opération

La Cour de Bordeaux a jugé que ces faits ne pouvaient établir suffisamment l'obligation, de la part de Privat et Guignard, de payer les honoraires des médecins, et que d'ailleurs, dès le mois de novembre 1875, la famille Meu avait déjà fait appeler le docteur Chapelle, qui donnait des soins au blessé depuis six mois, quand la lettre du 28 avril 1876 avait été écrite, et qu'il ne s'était pas préoccupé jusque-là de savoir si c'était Privat et Guignard qui devaient acquitter ses honoraires (1).

279. Nous avons vu comment les médecins sont rétribués lorsqu'ils sont requis par l'autorité judiciaire ou administrative pour procéder à des expertises, pour donner leur avis, pour faire des rapports; mais il peut arriver aussi qu'ils soient appelés par

(1) Bordeaux, 24 novembre 1879.

DUBRAG.

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