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n'y a pas eu de respiration, parce que la respiration est restée incomplète ;

« Considérant qu'il n'y a pas de vie lorsque la bouche de l'enfant s'est ouverte un instant par un mouvement convulsif et que quelques particules d'air ont trouvé accès dans les poumons; la vie, dans le sens vulgaire du mot, qui est aussi le sens légal, est le jeu spontané des fonctions animales, dont la principale, la plus essentielle, la moins équivoque, est la respiration; or la respiration est un acte complexe qui comprend : 1° l'aspiration spontanée de l'air; 2o l'expiration, lorsque l'air est chassé des poumons qui l'avaient reçu ; il est constant que l'enfant de Rose Taffanel, s'il a aspiré, ne l'a fait que d'une manière très incomplète et qu'il n'a point rejeté par expiration l'air qu'il avait reçu dans ses poumons; l'enfant n'a donc pas accompli cette fonction essentielle à la vie; conséquemment il n'a point vécu et n'a pu constituer une personne juridique, capable de recevoir et de transmettre un héritage (1) ;

«Par ces motifs, sans avoir égard à la preuve testimoniale offerte par Charles Hébraud, déclare l'action dudit Hébraud irrecevable et mal fondé, etc.... >>

Sur l'appel interjeté par Charles Hébraud, la Cour de Montpellier rendit l'arrêt suivant :

« La Cour : Attendu qu'il est constaté par le médecin Janot Aimé, qui a assisté la dame veuve Jacques Hébraud dans sa longue et laborieuse délivrance, que l'enfant dont elle a accouché n'a poussé aucun cri et n'a fait aucun mouvement; que, cédant à ses instances, il a ondoyé cet enfant; que, le saisissant ensuite, il a senti dans tout son corps une secousse électrique qui ne s'est pas renouvelée; qu'il lui a semblé entendre une petite crépitation dans l'arrière-gorge, mais qu'il l'a attribuée au passage de l'air insufflé, à plusieurs reprises, de bouche à bouche, à travers les mucosités de l'arrièregorge;

« Attendu qu'en l'absence de toute autre manifestation de la vie que cette simple secousse, qui pouvait n'être qu'un reste de vie intra-utérine, il déclare qu'il lui est impossible d'affirmer que l'enfant ait vécu d'une vie complète;

« Attendu qu'un simple mouvement ne peut constituer véritablement la vie ; l'enfant nouvellement venu au monde a quelquefois des mouvements convulsifs; c'est par la respiration complète que la circulation du sang s'établit dans le poumon, et qu'il puise dans l'air le principe d'une vie qui lui est propre; ce n'est qu'alors qu'il vit de la vie commune, différente de celle qu'il avait dans le sein de sa mère, où il ne respirait pas, et où le sang ne circulait pas dans son poumon; il ne vivait point de sa vie propre, mais de celle de sa mère ;

Attendu que le législateur exige, par son article 725, comme condition essentielle pour succéder, que l'on existe au moment de l'ou

(1) On s'est souvent élevé, en médecine légale, contre cette assimilation de la vie à la respiration. Voir sur cette question les travaux du docteur Senator de Berlin. (Annales d'hyg. et de méd. lég., 2a série, t. 28, 1867, p. 217.

verture de la succession. Le rédacteur de cet article avait mentionné, parmi les incapables de succéder, les enfants mort-nés, même quand ils auraient donné quelques signes de vie; mais, dans la discussion, on fit remarquer avec raison que cette indication était inutile, puisqu'elle était une conséquence évidente et nécessaire du principe une fois posé que, pour succédér, il faut exister; l'existence, en effet, c'est la vie se produisant non par quelques signes isolés, mais par le jeu des organes essentiels à sa manifestation;

« Adoptant, au surplus, les motifs des premiers juges, confirme, etc..... (1). »

Il est possible qu'au point de vue exclusivement scientifique, la doctrine émise par la Cour de Montpellier puisse être critiquée. Voici maintenant l'opinion des médecins légistes :

M. Ambroise Tardieu définit ainsi la viabilité : « Etre viable, « pour moi, c'est être né vivant, avoir vécu d'une vie autre que « la vie fœtale et présenter un développement et une conforma<<tion non absolument incompatibles avec la continuation de << la vie (2)

».

M. Devergie pense que « l'enfant qui continue de teter pen«dant les premières 24 heures et qui ne succombe même que <«< dans les trois, quatre ou cinq jours de la naissance, sous « l'influence de lésions internes qu'il avait apportées en nais<< sant, n'est poit un enfant viable, en sorte que, en fait de mala<«<dies innées et tant que l'enfant est vivant, il est difficile de juger « de sa viabilité (3) ».

De son côté, M. Collard de Martigny soutient qu'un enfant né vivant, non monstrueux et suffisamment développé pour vivre, est présumé viable. Peu importe la maladie qu'il a pu apporter en naissant, le résultat des maladies étant toujours incertain.

Quoi qu'il en soit, les tribunaux s'en remettent en général, sur ce point, à l'appréciation des médecins experts.

43. Dans la plupart des cas, en effet, on ne pourra qu'invoquer le témoignage des médecins et sages-femmes ayant assisté à l'accouchement. En vain objecte-t-on (4) que ce témoignage pourra être empreint de partialité; écarter ces témoins serait presque toujours rendre la preuve impossible (5). Les autres personnes qui ont assisté à l'accouchement ne déposeront que de faits matériels souvent insuffisants pour que le juge puisse en induire la preuve de la vie, tandis que les gens de l'art éclaireront la

(1) Montpellier, 25 juillet 1872, Pal. 1872. 805.

(2) Annales d'hyg. et de méd. lég., 2e série, t. 37, 1872, p. 121.

(3) Devergie, Méd. leg., 2o édit., t. 2, p. 48.

(4) Nouveau Denizart, vo Grossesse, § 3.

(5) Merlin, Quest. de droit, vo Vie,

justice par les conséquences qu'ils sauront tirer de tous les faits constatés.

44. Dans tous les cas, la preuve de la non-viabilité pourra se faire par tous les moyens possibles, même par l'exhumation du cadavre de l'enfant (1). Cette mesure a été ordonnée dans l'espèce suivante. Le 15 juin 1875, le tribunal civil de Lyon rendit un jugement qui fait suffisamment connaître les faits :

« Attendu que les parties reconnaissent que tout le procès est de savoir si Louis Régnier, enfant légitime du donateur, qui n'a vécu que onze heures, ainsi qu'il résulte de deux actes de l'état civil des 22 et 23 février 1875, versés au procès, était ou non viable, capable de révoquer, par sa survenance, la donation que son père avait faite; « Attendu que les époux Carron, demandeurs, se fondent sur cette si courte existence de onze heures et aussi sur le certificat du médecin Duzéat, remis à l'officier de l'état civil, déclarant que l'enfant dont s'agit est né avant terme, et soutiennent que de ces deux faits résulte une présomption de, non-viabilité, qu'ils demandent à être admis à compléter par témoins;

« Attendu, au contraire, que le tuteur Vallaton, ès qualités, repousse l'offre en preuve des demandeurs, et soutient que la viabilité de l'enfant est complètement démontrée par le fait, qui n'est pas nié, que l'enfant a vécu onze heures.

« Attendu que l'enfant né viable est celui qui est né organisé pour la vie, perfecto natus, suivant l'expression de la doctrine; que s'il est vrai que la vie, quand elle se prolonge, emporte avec elle la preuve de la viabilité, il serait impossible d'accorder cet effet à une existence de onze heures, s'il est démontré que l'enfant est mort par suite des défectuosités de son organisation; qu'il y a donc lieu de réserver, en l'état, toutes les questions juridiques que le procès soulève et de recourir aux lumières d'un homme de l'art pour connaitre l'organisation physique que l'enfant Régnier a apporté en naissant et les circonstances qui ont amené sa mort;

« Qu'il est manifeste que, dans cette délicate matière, qui est essentiellement du domaine de la science médicale, la preuve testimoniale ne saurait apporter à la justice que des renseignements insuffisants; « Attendu que ni l'une ni l'autre des parties n'ayant conclu à l'expertise qui est ordonnée d'office, il est loisible au tribunal, en dehors du consentement des parties, de ne nommer qu'un seul expert ; << Par ces motifs, le tribunal, jugeant avant faire droit, et moyens des parties demeurant expressément réservés, nomme d'office seul expert dans la cause M. Duzéat, docteur-médecin, qui, serment préalablement prêté, dira et rapportera : 1o si l'enfant Louis Régnier qui, d'après les actes de l'état civil sus-énoncés, n'a vécu que onze heures, est mort par suite des défectuosités de l'organisation physique qu'il avait apportée en naissant et quelles étaient ces défectuosités. · Est-il né avant terme? - Quelle a été la durée approximative de la gestation? — 2o Si l'enfant était organisé pour vivre plus

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(1) Limoges, 12 janv. 1813. — Angers, 25 mai 1822.

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Bordeaux, 8 févr. 1830.

longtemps, quel est l'accident qui a déterminé la mort?

Pendant combien de temps, sans cet accident, l'organisation de l'enfant lui aurait-elle permis de vivre ?

« L'expert autorisé à s'entourer de tous les renseignements utiles, et même à entendre des témoins, à la charge de relater exactement leurs déclarations, l'autorise même, s'il le juge nécessaire à l'accomplissement de son mandat, à faire exhumer le corps de l'enfant, en observant les règles sur la matière, etc.... »

Ce jugement fut confirmé en appel (1).

Dans un rapport du 20 septembre 1875, le docteur Duzéat conclut ainsi :

«< D'après toutes ces considérations, nous croyons donc pouvoir affirmer que cet enfant n'est point né viable:

1o Parce qu'il n'avait pas acquis ce développement nécessaire à un enfant parvenu au septième mois, à compter de l'époque de la conception, c'est-à-dire né avant terme;

« 2o Parce qu'il lui manquait les éléments d'équilibre nécessaires à l'existence;

« 3o Enfin parce que l'état pathologique de la mère suffit seul pour expliquer que, dans les conditions où il est venu au monde, sans tenir compte de l'époque nécessaire à la gestation, cet enfant ne pouvait et ne devait pas vivre. »

Les conclusions de ce rapport ayant été fortement discutées, le tribunal rendit, le 13 juin 1876, un second jugement qui commettait de nouveaux experts, MM. les docteurs Bouchacourt, Delore et Lacour, pour donner leur avis sur la viabilité de l'enfant Régnier.

Ces trois derniers experts ne crurent pas devoir renouveler l'exhumation, en raison de l'ancienneté du décès, ils se bornèrent à prendre connaissance des explications écrites et verbales fournies par le docteur Duzeat, et dans leur travail, déposé le 4 décembre 1876, ils affirmèrent que l'enfant Régnier présentait une lésion essentielle existant dans le sang, ayant une cause antérieure à sa naissance et à laquelle sa mort devait être attribuée. Ils n'hésitèrent donc pas à adopter les conclusions du premier expert et à les corroborer de la façon la plus formelle. Le tribunal décida en conséquence que l'enfant n'était pas né viable et que le fait de sa naissance n'avait pu annuler une donation.

Avant d'interjeter appel, les parties intéressées voulurent avoir l'avis de la Société de médecine légale, dont la commission permanente conclut, dans sa séance du 12 février 1877, dans le même sens que les experts de Lyon (2).

(1) Lyon, 24 mai 1876. Pal. 1877. 845.

(2) Annales d'hyg. et de méd. leg., 2e série, t. 47, 1877, p. 535.

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45. Le médecin ne reçoit directement la loi aucune mission quant à la déclaration du décès à faire à l'officier de l'état civil, mais il est chargé, dans un grand nombre de communes, par des règlements municipaux, de constater la mort.

Il est souvent fort difficile de s'assurer de la mort d'un individu, et plus d'une fois les législateurs ont dû se préoccuper des mesures à prendre pour prévenir les inhumations précipitées. Lors de la discussion au conseil d'Etat de l'art. 77 du Code civil, on proposa d'obliger l'officier de l'état civil à se faire assister d'un chirurgien pour s'assurer du décès. La mesure fut rejetée comme impraticable, surtout dans les communes rurales. La loi se borne aux précautions suivantes : elle oblige l'officier de l'état civil à se transporter de sa personne près du défunt et à s'assurer par lui-même du décès. Elle exige que l'inhumation n'ait lieu que vingt-quatre heures au moins après le décès, sauf les cas particuliers, et sur une autorisation délivrée par l'officier de l'état civil. Dans la pratique, ces précautions sont fort négligées; on ne voit guère d'officiers de l'état civil aller eux-mêmes vérifier les décès, et malgré la formule qui, dans l'acte, constate leur visite, il est certain qu'ils s'en rapportent, en général, à la déclaration des témoins.

Dans plusieurs villes, des médecins sont chargés de la constatation et fournissent une attestation écrite de la mort. A Paris, à Marseille, à Tours, et dans un grand nombre de chefs-lieux d'arrondissement, des règlements municipaux portent que le décès sera constaté par des officiers de santé qui dresseront un procès-verbal indiquant les nom et prénoms du défunt, son sexe, son âge, son état civil, sa profession, le jour, le mois, l'heure de la mort, la rue et le numéro du domicile, la nature de la maladie, sa cause, sa durée, les noms des personnes qui lui ont donné des soins. Enfin, le médecin s'assure du décès (1).

46. Ces renseignements, qui ne sont pas tous destinés à figurer dans l'acte de décès, ont pourtant une grande utilité, et il est à regretter que cette mesure ne soit pas généralisée autant que possible, tant pour la régularité des actes de l'état civil que pour prévenir les inhumations précipitées, et enfin pour fournir des documents précieux à la statistique nosologique des décès.

(1) Arrêtés du préfet de la Seine des 27 vendem, an XI et 31 déc. 1821, etc.

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