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L'Académie de médecine, consultée en 1857 par le ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics, avait émis le vœu de voir la mesure rendue partout obligatoire. On objectait les dispositions précises de l'art. 77 du Code civil, qui confie expressément à l'officier de l'état civil le soin de se transporter au domicile de la personne décédée pour s'assurer du décès. Mais on répondait avec raison que, sans rien changer aux dispositions de la loi, on pouvait bien subordonner l'autorisation d'inhumer à la production d'un certificat de médecin constatant la réalité de la mort et en indiquant la cause.

La loi oblige l'officier de l'état civil à s'assurer du décès. A moins qu'il ne soit médecin lui-même, il n'est pas souvent apte à reconnaître la réalité de la mort ; pourquoi ne pas lui fournir les moyens d'en acquérir la certitude en lui adjoignant un homme de l'art? Le maire se transportera près du défunt, ou bien, à ses risques et périls, il négligera cette partie de sa mission; mais, au moins, la société trouvera, dans le concours du médecin, les garanties qui lui sont dues (1).-Si la mesure n'a pas été généralisée, c'est, croyons-nous, par la difficulté de se procurer, dans les campagnes, des médecins vérificateurs. Dans les villes, c'est ordinairement le médecin traitant qui rédige le bulletin de décès; mais les paysans, dans certaines contrées, meurent souvent sans avoir vu le médecin; il faudrait donc que le maire de la commune dans laquelle il ne se trouve pas de médecin allât en requérir un à de grandes distances pour se transporter au domicile de la personne décédée ; on serait exposé à des refus de la part des officiers, de santé et, pour les prévenir, il faudrait une loi assortie d'une sanction pénale. On voit donc les difficultés qui pourraient se présenter. C'est pourquoi on a préféré laisser à l'autorité municipale le soin d'organiser, par des règlements particuliers, l'institution des médecins-vérificateurs des décès, tout en laissant subsister la responsabilité des officiers de l'état civil.

47. Le danger des inhumations précipitées a préoccupé depuis longtemps les législatours et a fait l'objet de vœux souvent émis par plusieurs conseils généraux. Une intéressante discussion eut lieu sur ce sujet au Sénat en 1866. Des cas assez nombreux de personnes enterrées vivantes furent cités par plusieurs sénateurs, notamment par MM. Tourangin et le vicomte de Barral. Monseigneur le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, émut singu

(1) Annales d'hyg, et de méd. leg., 2e série, t. 9, 1858.

lièrement la haute Assemblée lorsqu'après avoir cité, à son tour, un fait analogue dont il avait été le témoin, il ajouta :

« C'était en 1826, par une des journées les plus chaudes et dans une église entièrement pleine : un jeune prêtre fut pris, en chaire, d'un étourdissement subit. La parole expira sur ses lèvres; il s'affaissa sur lui-même, on l'emporta et, quelques heures après, on tintait son glas funèbre ; il ne voyait pas, mais il entendait, et tout ce qui arrivait à son oreille n'était pas de nature à le rassurer. Le médecin déclara qu'il était mort, et après s'être enquis de son âge, du lieu de sa naissance, il fit donner le permis d'inhumation pour le lendemain. Le vénérable évêque, dans la cathédrale de qui prêchait le jeune prêtre, était venu au pied de son lit réciter un De profundis ; déjà avaient été prises les dimensions du cercueil; la nuit approchait, et chacun comprend les inexprimables angoisses d'un être vivant dans une pareille situation. Enfin, au milieu de tant de voix qui résonnent autour de lui, il en distingue une dont les accents lui sont connus : c'est la voix d'un ami d'enfance. Elle produit un effet merveilleux et provoque un effort surhumain...... Le prédicateur reparaissait le lendemain dans sa chaire! Il est aujourd'hui, Messieurs, devant vous, vous priant, après quarante ans écoulés depuis cet événement, de demander aux dépositaires du pouvoir non seulement de veiller à ce que les prescriptions légales qui regardent les inhumations soient strictement observées, mais à en formuler de nouvelles pour éviter d'irréparables malheurs ! »>

Le Sénat renvoya au gouvernement la pétition au sujet de laquelle cette discussion avait eu lieu, et le ministre soumit la question au conseil de salubrité du département de la Seine. Une commission composée de MM. Beaude, Baube, Guérard, Larrey, Lasnier, Tardieu, Vernois et Devergie, élabora un rapport dans lequel elle reconnaissait que la législation actuelle est suffisante, que le délai de 24 heures fixé pour l'inhumation à partir non de l'heure indiquée par les témoins comme étant celle du décès, mais de l'heure de la déclaration faite à la mairie, ne devait pas être étendu. Enfin la commission examina les signes de mort les plus certains et signala, comme étant à la portée de tous, la putréfaction et la rigidité cadavérique. En conséquence, le ministre de l'intérieur publia, le 24 décembre 1866, une circulaire que l'on trouvera dans chaque mairie, au Bulletin des actes officiels des préfectures, et dans laquelle sont indiquées les mesures à prendre pour éviter les inhumations précipitées (1).

48. Le délai de 24 heures fixé pour l'inhumation par l'article 77 du Code civil peut être abrégé en cas de nécessité (putréfaction, maladie contagieuse, etc...); c'est au médecin à constater

(1) Annales d'hyg. et de méd, leg., 2o série, t. 27, 1867, p. 293.

cette nécessité. S'il y a danger à conserver un cadavre pendant ce délai de 24 heures, il doit en avertir la famille et l'autorité. L'article 358 du Code pénal punit:

« D'un emprisonnement de six jours à deux mois et d'une amende « de seize francs à cinquante francs ceux qui, sans autorisation préa«<lable de l'officier public, dans les cas où elle est prescrite, auront << fait inhumer un individu décédé. La même peine est appliquée à «< ceux qui ont contrevenu, de quelque manière que ce soit, à la loi « et aux règlements sur les inhumations précipitées. »

Ce dernier paragraphe se réfère évidemment à l'article 77 du Code civil et au délai qu'il prescrit.

49. L'acte de décès doit-il indiquer l'heure de la mort ? Cette indication, si elle pouvait être authentique, serait fort utile, dans certains cas, pour régler l'ordre des successions; mais l'acte ne peut faire foi sur ce point, parce qu'il se borne à reproduire la déclaration des témoins. Pour qu'il pût avoir une force probante, il faudrait que l'officier public eût assisté à la mort, ce qui n'est pas possible. Dans un grand nombre de cas, le médecin lui-même n'est pas présent au moment du décès. Néanmoins il est toujours bon d'indiquer, autant que possible, l'heure de la mort; bien que cette énonciation ne fasse pas foi, elle peut avoir son utilité comme renseignement. Nous sommes donc loin de penser, comme M. Demolombe (1), que l'indication de l'heure du décès, n'étant pas exigée, est par cela même interdite, par ce motif les actes de l'état civil ne doivent contenir que ce que que la loi a formellement prescrit. Au surplus, le médecin appelé à constater le décès ne pourra fournir cette indication d'une manière précise qu'autant qu'il aura assisté lui-même aux derniers moments du défunt; dans le cas contraire, il devra s'abstenir de fournir une indication qu'il tiendrait de témoignages peut-être incertains.

50. L'article 81 du Code civil est ainsi conçu :

« Lorsqu'il y aura des signes ou indices de mort violente, ou d'au<< tres circonstances qui donneront lieu de la supposer, on ne pourra <«< faire l'inhumation qu'après qu'un officier de police, assisté d'un « docteur en médecine ou en chirurgie, aura dressé procès-verbal « de l'état du cadavre et des circonstances y relatives, ainsi que des << renseignements qu'il aura pu recueillir sur les prénoms, nom, « profession, lieu de naissance et domicile de la personne décédée. » Ce n'est point, en général, l'officier de l'état civil chargé de constater le décès qui reconnaît l'existence de signes ou indices (1) No 304.

de mort violente ; ainsi que nous l'avons dit, il ne s'assure presque jamais par lui-même de la réalité des décès qui lui sont déclarés, et le fit-il d'ailleurs que, fort souvent, il ne remarquerait pas des indices de violence qui n'échappent pas à l'œil exercé du médecin. La constatation du décès par les hommes de l'art est donc, à ce point de vue encore, très utile.

Quand le médecin a reconnu sur un cadavre ces signes de mort violente, son devoir l'oblige à en informer l'autorité, sauf dans les cas où il est assujetti au secret professionnel, ainsi que nous le verrons plus loin.

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51. Nous venons de voir que, pour recueillir une succession, il faut être vivant et viable au moment où s'ouvre cette succession, et nous avons examiné quelques-unes des difficultés que soulève la question de la viabilité; nous avons maintenant à voir ce qui doit être décidé quand deux personnes appelées à la succession l'une de l'autre périssent dans le même accident. L'art. 720 du Code civil est ainsi conçu :

« Si plusieurs personnes respectivement appelées à la succession l'une de l'autre périssent dans un même événement, sans qu'on « puisse reconnaître laquelle est décédée la première, la présomption de survie est déterminée par les circonstances du fait et, à leur « défaut, par la force de l'âge ou du sexe. »

Art. 721. - « Si ceux qui ont péri ensemble avaient moins de quinze ans, le plus âgé sera présumé avoir survécu; s'ils étaient tous au-dessus de soixante ans, le moins âgé sera présumé avoir • survécu.

Si les uns avaient moins de quinze ans, et les autres plus de soixante, les premiers seront présumés avoir survécu.

Art. 722. « Si ceux qui ont péri ensemble avaient quinze ans accomplis et moins de soixante, le mâle est toujours présumé avoir survécu, lorsqu'il y a égalité d'âge, ou si la différence qui existe ⚫ n'excède pas une année. »

52. Il résulte des termes de ces articles que c'est seulement dans le cas où les juges ne trouvent pas dans les faits de la cause des éléments de preuve qu'ils doivent recourir aux présomptions établies par la loi, et c'est à celui qui réclame l'exercice d'un droit subordonné à la survie d'une personne à une autre qu'il appartient de prouver cette survie. Les présomptions légales tombent devant la preuve contraire.

Le 10 octobre 1870, sur la pointe du rocher de Penmarck,

dans le département du Finistère, cinq personnes étaient assises en deux groupes, faisant face à la mer, distants l'un de l'autre de quatre mètres environ, et composés : le premier, de Mme Levainville, assise, sur laquelle s'appuyait la jeune Dresch, sa nièce, et du jeune Dresch, couché sur le rocher et la tête appuyée sur la main droite; le second, de Mme Bonnemain et de Mile Levainville. Une lame venant de Talifern se brisa d'abord de toute sa force sur le premier groupe qui avait déjà disparu sous la vague, quand l'eau répandue sur le rocher, après ce premier choc, entraîna le second groupe sans le recouvrir entièrement. Les cinq personnes périrent.

Un malheur si affreux ne devait pas se borner, pour M. Levainville, à la perte de sa femme et de sa fille. Des dissentiments de famille suscitèrent un procès dont le point de départ devait être la question de savoir laquelle des deux victimes avait survécu à l'autre. Un jugement du tribunal de Quimper, du 19 août 1872, se fondant sur ce que rien ne pouvait faire supposer que l'une des deux eût survécu plutôt que l'autre, décida qu'il y avait lieu de suivre les présomptions légales des art. 721 et 722 du Code civil, et qu'en conséquence la mère avait survécu à sa fille, qui était âgée de quinze ans.

En appel, la Cour de Rennes ordonna une enquête, et le docteur Ambroise Tardieu fut consulté par l'une des parties. Le célèbre médecin légiste n'hésita pas, au vu de l'enquête, à décider que la mère, dont le cadavre avait présenté de graves lésions, notamment à la tête, avait succombé avant sa fille, dont le corps était parfaitement intact. Les trois cadavres du premier groupe, dans lequel se trouvait la mère, étaient violemment meurtris; ceux du second ne l'étaient nullement. La lame avait dû frapper les trois premières personnes et les lancer contre la roche, puis, en se retirant, elle avait entraîné les deux autres. Dans ces conditions, il était bien vraisemblable que les dernières, n'ayant succombé qu'à l'asphyxie, avaient dû survivre aux premières qui avaient reçu d'aussi graves blessures. La Cour de Rennes, par son arrêt du 20 août 1873, adopta l'opinion du docteur Tardieu et réforma le jugement de Quimper. Cet arrêt fut confirmé par la Cour de cassation, le 31 avril 1874 (1).

Cette décision est conforme aux principes enseignés par tous les commentateurs du Code civil.

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