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« Il faut d'abord, dit M. Zachariæ (1), pour résoudre la question de survie, prendre en considération les circonstances particulières du décès et les présomptions qui résultent de la nature spéciale du cas donné; ce n'est qu'à défaut de ces présomptions qu'il y a lieu de se conformer aux règles suivantes » (celles édictées par les articles 721 et 722).

Et MM. Massé et Vergé ajoutent, note 31 :

En d'autres termes, si la survie est certaine ou probable d'après les circonstances particulières du fait, il n'y a pas lieu de recourir aux présomptions de la loi, qui ne sont faites que pour le cas où l'on ne peut pas savoir lequel des deux individus est décédé le premier. >>

Telle est la doctrine de la plupart des auteurs (2).

53. Quand la mère et l'enfant ont péri pendant l'accouchement sans qu'il soit possible aux personnes présentes de déclarer lequel des deux est mort le premier, l'autopsie pourra fournir des indications utiles au médecin expert; mais si elles sont insuffisantes pour qu'il puisse se prononcer en y réunissant les autres éléments du fait, ce sera le cas d'appliquer les art. 721 et 722. L'enfant sera donc présumé mort le premier, si, comme cela arrivera presque toujours, la mère est âgée de moins de 60 ans.

54. On s'est demandé si ces présomptions s'appliquent au cas où les personnes appelées à se succéder ont péri simultanément, mais par des causes différentes, et non dans un même événement.

La négative, pour nous, ne peut faire ancun doute. En effet, on verra bien rarement deux personnes héritières l'une de l'autre mourir séparément mais exactement à la même heure.

D'un autre côté, deux personnes, ainsi que cela est arrivé, il y a quelques années, à Bordeaux, sont trouvées mortes dans leur chambre, l'une de la rupture d'un anévrisme, l'autre d'une congestion cérébrale, sans qu'on ait pu savoir laquelle des deux était morte la première. Que viendront faire ici les présomptions des art. 721 et 722? Pourquoi supposer que l'une des deux maladies aura conduit plus rapidement que l'autre à la mort, le malade qui en était atteint? On ne pourra, dans ce cas, juger qu'en raison des circonstances révélées (3).

(1) Edit. Massé et Vergé, t. 2., p. 237.

Toullier, id.
Demante,

(2) Chabot, Success., art. 720, no 2.- Vazeille, Success. et Donat. art. 720, no 2. Malpel, Success. no 10. Demolombe, id. t. ler, nos 96 ets. t. 4, no 74. Taulier, t. 3, no 116. Cours analyt. t. 3, no 18 in fine. Laurent, Princip. de dr. civ. t. 2, no et 28. Rambaud, C. civ. t. 2, t. 1, p. 203.

(3) Marcadé, art. 722, no 5. DUBRAC.

Marcadé, art. 720, no 1er.
Mourlon. Rép. écr. 7e édit. t. 2, no 22.
Bernard, Cours comm. t. 2, nos 27
Charrier-Juignet, Code prat.

515.
n° 11.

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55. Les présomptions de survie établies par nos articles ne s'appliquent qu'au cas où les personnes mortes dans le même événement étaient respectivement appelées à la succession l'une de l'autre, et non pas au cas où l'une seulement serait successible de l'autre (1).

56. Ces présomptions ne s'appliquent pas non plus au cas de succession testamentaire ni au cas de donation (2).

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57. Le mariage étant le principe de la famille et ayant pour principal but la reproduction de l'espèce, il est évident qu'il ne peut être contracté qu'entre personnes de sexes différents. Faut-il en conclure que l'on ne peut se marier qu'autant que l'on est apte à la génération?

La question de savoir si l'impuissance est un empêchement prohibitif ne se présentera sans doute pas souvent, mais elle peut pourtant se produire. La victime d'un crime de castration, par exemple, est presque toujours connue, et surtout après le jugement du coupable, la réalité de son infirmité devient publique. L'officier de l'état civil doit-il consentir à la marier?

M. Demolombe (3) enseigne l'affirmative pour plusieurs raisons dont les premières ne nous paraissent pas très concluantes. — On ne peut ajouter, dit-il, aucune condition à celles que la loi exige, il suffit que les futurs soient un homme et une femme ; or on ne peut dire que l'impuissant ou le castrat ne soit positivement ni homme ni femme.

Oui, il suffit que les futurs soient un homme et une femme, mais un homme et une femme, quant au mariage, aptes à atteindre le but de ce grand acte de la vie.

En second lieu, dit M. Demolombe, la procréation des enfants n'est pas la seule fin du mariage, bien qu'elle en soit la principale ; le mariage est aussi une société de secours et d'assistance, un refuge contre les ennuis de la solitude; pourquoi en priver un homme infirme qui trouvera dans cette association une puissante consolation à son malheur?

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Or M. Demolombe vient de dire, à la page précédente, qu'un mariage entre personnes du même sexe n'est pas possible, et que l'idée seule en est ridicule. Et pourquoi donc son association, dans ce cas, ne le serait-elle pas aussi ?

Mais la troisième raison donnée est beaucoup plus grave; le castrat, avant d'avoir été mutilé, a pu avoir un enfant naturel; il ne serait pas juste de lui refuser le droit de le légitimer par mariage. On peut aussi ajouter qu'un vieillard de quatre-vingts ans est assurément impuissant, et que néanmoins on n'a jamais songé à lui interdire le mariage. Ce motif nous paraît sans réplique.

58. L'impuissance n'est donc pas un empêchement prohibitif; mais peut-elle être un empêchement dirimant? Serait-elle de nature à faire prononcer la nullité du mariage?

Trois opinions se sont produites; on a dit : la loi a déterminé les causes de nullité du mariage, elle n'a pas parlé de l'impuissance, on ne peut pas l'y ajouter. Le législateur a même manifesté son intention de l'écarter, puisqu'elle n'a pas été admise même pour le divorce et le désaveu de paternité. L'impuissance ne constitue point une erreur sur la personne, dans les conditions prévues par l'article 180 du Code civil; ce ne serait qu'une erreur sur les qualités physiques, et non sur la personne elle-même, et, au surplus, la constatation de cette impuissance serait scandaleuse; on ne peut donc l'admettre comme cause de nullité (1).

Une autre opinion veut que l'impuissance naturelle ne soit jamais une cause de nullité du mariage, tandis que l'impuissance accidentelle, survenue avant la célébration du mariage, serait toujours suffisante pour le faire annuler.

Enfin l'impuissance, d'après la troisième opinion, est une cause de nullité quand elle se manifeste extérieurement, qu'elle soit naturelle ou accidentelle.

Quant à nous, nous n'hésitons pas à adopter cette opinion, que si l'impuissance naturelle ou accidentelle n'est pas un empêchement prohibitif du mariage, elle constitue une cause de nullité pouvant être invoquée par l'époux de l'impuissant.

On nous objecte d'abord que notre système rend le mariage impossible aux vieillards. Assurément non ; la personne qui épouse un vieillard connaît l'âge de son conjoint, et elle ne pourra s'en plaindre plus tard, de même que si elle avait épousé un jeune homme impuissant connaissant son infirmité, il ne lui serait point

(1) Demolombe, t. 3, p. 398.

permis de demander, pour cette cause, la nullité de son mariage. Chacun est d'accord sur ce point que l'union de deux personnes appartenant au même sexe est impossible. Et pourquoi donc en serait-il ainsi si le mariage n'était qu'une association, qu'un recours contre les tristesses de la solitude? Pourquoi donc exiger la différence des sexes, si le but du mariage n'est pas la propagation de l'espèce? Quels sentiments voulez-vous qu'inspire à son conjoint l'être incomplet auquel il est lié pour toujours ?

« On ne doit pas, nous dit M. Dalloz (1), s'arrêter aux plaintes que feront entendre ces femmes vertueuses qui, comme cela a été plaidé quelque part, ont dû compter légitimement sur des plaisirs légitimes!... » — Croyez-vous donc que les époux, les femmes dont vous parlez ne cherchent dans la maternité que des plaisirs sensuels? Beau plaisir, en effet, pour la femme, qu'une gestation de neuf mois suivie d'un enfantement souvent laborieux, qui peut lui coûter la vie ! Il serait assurément bien à plaindre le jeune couple bien conformé qui, en s'unissant, n'aurait eu d'autre but que la satisfaction d'appétits sensuels.

A part quelques rares exceptions qui, là encore, confirment la règle, le rêve de toute jeune femme, au début de la vie conjugale, est de devenir mère, et nous ne pouvons admettre qu'elle ne se considère pas comme trompée sur la personne de son époux, quand celui-ci est dans l'impossibilité d'atteindre le but du mariage.

Une des principales objections qu'on nous oppose consiste dans la difficulté de faire la preuve. Nous ne méconnaissons pas cette difficulté, mais pourquoi supposer que la seule preuve à fournir devra consister invariablement dans un examen toujours refusé par la partie défenderesse? Ne peut-on pas supposer aussi un consentement? Cela n'est pas si invraisemblable qu'on pourrait le croire, puisqu'on a vu des plaideurs, et même des plaideuses aller au-devant de ce moyen de procédure et se soumettre spontanément à l'examen.

-La dame Q.... forme, devant le tribunal civil de la Seine, une demande en séparation de corps ; elle articule avec offre d'en administrer la preuve, et, par jugement du 19 mai 1879, le tribunal l'admet à prouver les faits suivants : « Bien que la vie <commune ait duré six mois, il est néanmoins constant que, par «< défaut d'attention, par suite de l'abus de liqueurs alcooliques et « de plaisirs solitaires, le sieur Q... (le mari) n'a jamais eu de

(1) Dalloz, Rép. vo Mariage, no 75.

rapports avec sa femme, dont l'état physique est le même qu'avant son mariage (1) ».

Nous demandons par quel moyen la dame Q... pourra administrer la preuve du fait articulé, autrement que par l'examen médical de sa personne.

59. Nous devons reconnaître que la jurisprudence paraît se prononcer contre l'opinion que nous adoptons (2).

Un jugement du tribunal civil d'Alais, du 29 avril 1869, avait statué en ces termes :

« Attendu que le sieur X... n'attaque pas l'acte civil de son mariage parce qu'il y aurait eu erreur dans la personne physique de celle à laquelle il avait voulu s'unir, mais qu'il demande formellement au tribunal de reconnaître et déclarer que ledit acte n'a jamais légalement existé comme mariage, par suite d'un vice radical qui l'a affecté ab initio ; que les dispositions invoquées des articles 180, dernier paragraphe, et 181 du Code civil sont des lois inapplicables dans l'espèce, et qu'ainsi ladite exception doit être simplement rejetée comme irrecevable et mal fondée ;

« Au fond attendu que le mariage est l'union légitime de l'homme et de la femme; qu'il ne peut donc être valablement contracté qu'entre deux personnes de sexes différents; d'où il suit qu'il est essentiellement vicié dans son principe lorsque les conjoints apparents sont du même sexe, ou que l'un d'eux manque absolument des organes naturels constitutifs du sexe même, différent de celui de l'autre, auquel il prétend appartenir;

« Attendu qu'il est articulé par le sieur X..... que la partie de Villaret, avec laquelle il a contracté mariage, le 20 décembre 1866, ne possède aucun des organes naturels distinctifs de la femme; qu'elle n'a ni seins, ni matrice, ni ovaires, ni vagin; que son bassin est conformé plutôt comme celui d'un homme que comme celui d'une femme, et que, quoiqu'âgée de vingt-sept ans, elle n'a jamais eu ni règles, ni douleurs lombaires et abdominales périodiques;

« Attendu que le mérite réel de ladite articulation ne peut être exactement apprécié qu'au moyen surtout d'une expertise préalable, et que, quelque répugnance que l'on puisse éprouver à recourir à l'emploi de cette mesure d'instruction, il y a toutefois lieu de l'ordonner, alors qu'à la différence de la vérification, toujours conjecturale, de l'impuissance naturelle alléguée contre un des époux à raison d'un vice de conformation dans un de ses organes, le résultat de ladite mesure, dans l'espèce, devra nécessairement aboutir à la démonstration certaine du fait purement matériel à vérifier, si la partie défenderesse est ou n'est pas privée de tous les organes naturels distinctifs de la femme, les uns externes et apparents, les autres internes, il est vrai, mais dont l'existence ou la non-existence, pour les gens de l'art, sera non moins facile à constater;

(1) Gazette des tribunaux, 10 juin 1879.

(2) Chambéry, 28 janv. 1867.

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