Page images
PDF
EPUB

« nul, encore que les légataires soient parents ou filleuls du tes

<tateur ».

Voici comment les jurisconsultes justifiaient cette jurisprudence. Ecoutez Henrys, le célèbre jurisconsulte du Forez, dont l'autorité était si grande : « Puisque les anciens appelaient les médecins sauaveurs, au rapport de Lucien, il ne faut pas douter du grand pou« voir qu'ils ont sur les hommes. Tant il y a qu'un malade considéa rant son médecin comme son sauveur, et s'imaginant que c'est de « là que dépend sa guérison, il ne lui peut rien refuser. Il est le « maître de la dernière volonté qui est l'âme du testament (1).

M. l'avocat général cite encore Ferrières (2), Furgole (3), Ricard (4). Il continue ainsi :

« Vous remarquerez que si énergique que soit la présomption, elle n'est pas absolue; qu'elle peut être détruite. Le médecin peut se défendre, et s'il prouve que ni lui ni son art n'ont déterminé, même aux approches de la mort, les libéralités, il peut profiter de ces libéralités.

« Les plus grands magistrats se divisaient sur l'empire et sur l'étendue de cette règle d'incapacité... Les arrêts reproduisent très fidèlement cette variété d'opinions et de doctrines, qui tantôt s'attachaient à la règle pour la faire triompher, tantôt se montraient plus favorables à l'exception. C'était la conséquence naturelle de cette incapacité fondée sur une présomption de captation qui n'excluait pas la preuve contraire...

« On trouve la jurisprudence exactement résumée par Ferrières (5): « Les dispositions testamentaires faites aux médecins, apothicaires et « chirurgiens par les malades pendant leur dernière maladie, sont « aussi nulles, si ce n'est pour quelques circonstances particulières ». « Je touche presque au rédacteur de l'article 909, en plaçant sous vos yeux l'opinion d'un jurisconsulte qui était bien un homme d'école, mais qui y joignait l'avantage d'être un juge aussi. Je veux parler de Pothier. Vous y verrez naître l'article 909. Pothier dit (6) : « Il « y a des personnes à qui le testateur ne peut rien léguer, quoiqu'elles « soient capables de recevoir des legs de toute autre personne. « Telles sont les personnes qui ont quelque pouvoir sur la personne « du testateur, ce qui pourrait faire craindre la suggestion. C'est • pour cette raison que l'ordonnance de 1539, article 131, déclara nulles ⚫ toutes donations entre-vifs et testamentaires faites au profit des « tuteurs et autres administrateurs, ce qui a été étendu par la « Coutume de Paris aux pédagogues, et par la jurisprudence, aux « médecins, chirurgiens, apothicaires, opérateurs qui gouvernaient le malade dans le temps qu'il a fait son testament, aux direc@teurs et confesseurs du testateur, au procureur dont le testateur a était le client ».

(1) T. 2, p. 929, quest. 99, 1.

(2) Sur l'article 276 de la Coutume de Paris.

(3) Des testaments, chap. V, sect. 1re, no 11, et chap. VI, sect. 2, no 76, et Donations, quest. 32.

(4) Donations, part. 1re, chap. III, sect. 9, no 494.

(5) Nouvelles institutions coutumières, art. 63.

(6) Traité des donations testamentaires, ch. III, sect. 2, art. 3, no 148.

« Grâce à l'étude du droit antérieur, on arrive aisément à reconnaître que le législateur de 1804 a voulu imposer aux juges l'incapacité du médecin sous cette double condition, laissée à leur jugement, de la dernière maladie et du traitement. Il a voulu couper la racine des procès, comme disait Talon, et enlever aux juges l'appréciation des circonstances. Il a créé une incapacité tirée d'une présomption qu'il n'a, dans aucun cas, permis de détruire. Il n'a pas voulu se fier aux juges, et il a cru qu'il épuisait la matière en faisant une part à l'amitié et aux services rendus, dans les legs rémunératoires, une à la parenté, en faisant fléchir la règle pour les parents au quatrième degré. Est-ce bien, est-ce mal? Ne suffisait-il pas, comme autrefois, d'avertir le juge de surveiller l'influence du médecin, d'en détruire les effets abusifs et injustes, d'assurer une protection aux familles, en cas d'abus? Etait-il juste, était-il tout à fait nécessaire d'interdire au mourant dont la vie se prolonge par les soins de son médecin, devenu son ami, de donner ses biens à cet ami, en l'absence d'héritiers réservataires? Si j'écrivais un livre, comme M. Troplong, je serais bien tenté de contredire cette loi dans son excès de réglementation. Je le ferais plus aisément qu'ici, et cependant, Messieurs, la Cour de cassation elle-même a laissé percer ce sentiment de contradiction, le jour où elle a validé le testament fait par une femme à son mari médecin qui l'avait soignée dans sa dernière maladie (1). Elle a, ce jour-là, introduit une exception nouvelle dans la loi, parce que la loi blessait la raison. Juridiquement, je ne saurais accepter cet arrêt, et je n'en parle que parce qu'il montre l'excès de la loi.... mais c'est la loi, et il faut s'y soumettre.

« J'ai bien, je le crois, déterminé son esprit. Ecoutez ceux qui ont eu à l'interpréter les premiers. » — M. l'avocat général lit des passages de Malleville (2) et de Grenier (3). - Parmi les auteurs modernes, il invoque M. Demolombe (4).

« J'ajouterai, dit ensuite l'organe du ministère public, pour compléter cette partie du débat, que M. Demolombe, cherchant à bien fixer le caractère de cette disposition, dit ailleurs : « Ce n'est pas « que le législateur ait présumé que toute libéralité qui serait faite « par un mineur à son tuteur, durant la tutelle, ou par un ex-mineur « a son ex-tuteur avant la reddition du compte, serait nécessairement « toujours le résultat d'un abus coupable de cette autorité. Nous sa«vons bien que l'on a souvent, dans notre ancien droit et dans notre << droit nouveau, expliqué ainsi l'incapacité du tuteur, de même que « l'incapacité prononcée par l'article 909 contre les médecins et les « ministres du culte..... Mais cette explication peut paraître excessive « et injustement blessante pour une classe très honorable de per«sonnes. Ce que le législateur a voulu, c'est précisément écarter de <«< ces situations les soupçons injurieux de ce genre. Il a considéré « que ces libéralités, lors même qu'elles seraient l'expression libre de « la volonté du disposant, pourraient paraitre plus ou moins suspec

[ocr errors]

(1) Cassat. 30 août 1808.

(2) Anal. de la discuss. du Code, 3e édit., t. 2, p. 320.

(3) Donat. et testam., t. ler, no 126.

(1) Donat, et testam., t. ler, no 499.

«tes; qu'il y avait là d'ailleurs des abus possibles qu'il importait « de prévenir dans l'intérêt et pour l'honneur de tous; et sa disposition ainsi entendue, comme elle doit l'être, à notre avis, « est, en effet, préventive tout au moins que répressive (1).

« C'est un mur d'airain que l'article 909 dresse devant le juge. Dès lors il importe peu que les circonstances soient favorables ou défavorables au médecin gratifié. On ne pourra céder au désir, si impérieux qu'il soit, de proclamer que l'induction de la loi est détruite par les faits de la cause. C'est ce que la Cour de cassation a reconnu par son arrêt du 7 avril 1863, en des termes qui sont décisifs (2).

Mais le pouvoir du juge s'exercera sur les conditions dans lesquelles cette incapacité n'existe pas. Que la disposition ait été faite pendant le cours de la maladie dont meurt le disposant, c'est là un membre de cette incapacité. Que le médecin ait traité le malade pendant cette maladie, c'est l'autre membre de cette incapacité. Qu'entend-on juridiquement par dernière maladie ? par traitement ?

« La première condition, c'est que la libéralité ait été faite pendant la maladie dont on décède. Quelle sera cette maladie ? Commencera-t-elle, pour les phthisiques, avec le germe qui les tuera? Non, à coup sûr. Ici je ne suis pas d'accord avec la Cour de Toulouse, ah ! pas du tout. Quand bien même la maladie aura été persévérante dans son cours et fatale dans son issue, comme le dit l'arrêt Lacordaire (3), ce ne sera la dernière maladie qu'à des conditions juridiques que l'ancien droit détermine bien mieux que le nôtre, mais que le nôtre a tacitement acceptées. Vous savez que les textes des Coutumes caractérisaient la maladie dont on meurt, au point de vue des actes de dernière volonté. Ces textes décidaient que les donations faites entre-vifs par les malades gisants au lit et malades de la maladie dont ils décédaient, seraient considérées comme à cause de mort. Voici la Coutume du Nivernais : « Donation est censée et réputée à « cause de mort quand elle est faite par malade de maladie dont il « meurt après, ou de maladie vraisemblablement dangereuse de « mort, et même quand elle est faite par personne étant en vraisem« blant danger de mort (4) ». Et la Coutume de Paris, précisant « encore, dans son article 277 : « Toutes donations, encore qu'elles soient entre-vifs, faites par personnes gisants au lit malades de a la maladie dont elles décèdent, sont réputées faites à cause de mort et testamentaires, et non entre-vifs ». Pothier (5) et Ferrières, sur l'article précité, se demandent si ces mots gisants au lit malades, sont sacramentels, et ils répondent négativement, en faisant remarquer qu'on peut être très malade de la maladie dont on va mourir, sans être gisant au lit, qu'il suffirait d'ailleurs de se lever

(1) Op. cit., loc. cit., n. 470.

(2) Pal. 1863. 737.

(3) Toulouse, 12 janv. 1864. Pal. 1864. 724.

(4) Chap. 37, Des donat., art. 5.

(5) Donat. entre-vifs, sect. 1re, art. 1, n. 15.

DUBRAC.

6

pour éluder la loi. Pothier ajoute que la personne hydropique notamment meurt presque toujours sans être au lit.

« Mais, en revanche, tous les jurisconsultes exigent que la maladie ait un trait prochain à la mort. Ils n'exigent pas cet affaiblissement des derniers jours qui diminue beaucoup la volonté; ils se bornent à exiger que la maladie ait un trait prochain à la mort, et alors ils indiquent les limites fixées par les Coutumes. C'est quarante jours dans quelques Coutumes, moins dans d'autres. Ils prévoient les difficultés qui peuvent naître, sur ce point, du caractère des maladies. Pothier prévoit même le cas de phthisie: « Que si la mala« die, lors de la donation, était mortelle de sa nature, mais qu'elle « n'eût trait qu'à une mort éloignée, et n'empêchât pas le donateur « de pouvoir espérer encore plusieurs années de vie, telle qu'est, « par exemple, une pulmonie qui n'est pas encore parvenue à une « certaine période, en ce cas, la donation ne sera pas réputée à cause « de mort. »

« Les arrêts suivent ces règles. Le 20 août 1663, l'avocat général Bignon fait confirmer une donation, « sur ce que la maladie n'était << pas pressante et n'avait pas trait à la mort ».

«Quand il s'agissait d'une maladie incurable, les principes du droit et de la raison voulaient que la limite ne fût pas trop reculée. Un arrêt du 23 janvier 1672 confirme une donation faite huit mois avant sa mort par une fille malade d'un chancre à l'œil.

<< Ainsi ce qu'exigent les auteurs, comme la jurisprudence, c'est que la maladie ait un trait prochain à la mort.

« Après avoir déterminé où commençait juridiquement la dernière maladie, déterminons maintenant ce que la loi entend par traitement, car elle ne frappe d'incapacité que le médecin qui a traité le malade dans cette dernière maladie.

« Pothier disait : « celui qui entreprend une cure ». Mais ce caractère du traitement ne saurait être absolu. Ce sera là sans doute le caractère le plus ordinaire; mais pourra-t-il en être de méme pour les maladies incurables? Et alors que toute cure est impossible, dira-t-on que ce que la loi appelle traitement ne peut y trouver place? Non. Mais ce qu'il faut, de toute nécessité, c'est que ce traitement n'ait pas été purement accidentel et passager. On doit écarter ce que la jurisprudence a appelé « l'intervention momentanée du médecin ». C'est bien ainsi que M. Demolombe entend l'article 909, et nous nous rangeons à son opinion. « C'est, dit-il, par la «< continuité même de ses soins que l'homme de l'art acquiert, sans « le vouloir le plus souvent et même sans le savoir, une influence << toute-puissante sur l'esprit du malade, auquel il finit par devenir « nécessaire. » Et la jurisprudence a consacré la même doctrine dans les arrêts des 12 octobre 1812 et 9 avril 1835 (1).

«Telles sont, à l'égard du traitement, les appréciations juridiques qu'il ne faut pas perdre de vue, dont il faut se pénétrer.

« Et maintenant il ne me reste plus, ou plutôt il me reste encore, avant d'arriver aux faits, à examiner la question de la coincidence. L'honorable et savant professeur qui a prêté à cette question l'appui

(1) Pal. chron.

de son autorité, ne méritait pas les reproches qui lui ont été adressés. Il n'est pas l'inventeur de la thèse qu'il a développée dans la consultation, et quand il le serait, la valeur de cette thèse n'en serait pas diminuée. Oui, cette doctrine de M. Valette est très ancienne; je la trouve contredite par le sommaire d'un arrêt du Parlement de Bretagne du 15 juillet 1632. J'extrais ce sommaire d'un recueil d'arrêts très connu, réunis par M. Sébastien Frain, et cité par Ricard : • Donation du malade à son médecin nulle, quoiqu'elle soit faite par testament et en l'absence du médecin ». A propos de l'incapacité du tuteur, de l'administrateur, elle a été discutée par de grands jurisconsultes. Montholon, plus tard Duplessis, sur la Coutume de Paris, tenaient pour la coincidence, et leur grande raison était que l'effet ne pouvait pas survivre à la cause. Mais d'autres juriscon→ sultes la combattaient, Ricard, par exemple, et nous trouvons dans son Traité des donations (part. 1re, no 47) en quelque sorte le compterendu de toute cette querelle : « Jacques de Montholon, dit-il, donne ⚫ une résolution notable à ce sujet pour servir de limitation à l'ordonnance, savoir qu'elle ne doit pas avoir d'effet lorsque le mineur ⚫ fait son testament en un lieu éloigné de son tuteur; de sorte que les conjectures de suggestion qui ont servi de motifs à l'ordon⚫nance cessent, et que l'on ne puisse pas présumer que la volonté du « mineur eût été violentée ni excitée par aucune induction de la part du tuteur; cette question est importante et susceptible de raison de part et d'autre. Car, d'un côté, on peut dire que la loi, en faisant cette prohibition, a considéré le mineur comme étant en l'ad⚫ministration et sous la puissance de son tuteur, et, en ce faisant, sujet à des persuasions, et non pas en cas qu'il soit hors de sa con« duite, en un lieu éloigné, en sorte qu'il ne puisse y avoir aucune e suggestion de sa part. Le dessein de l'ordonnance n'a pas été de faire passer les tuteurs au rang des indignes, mais seulement de • prévenir les suggestions, lors que le tuteur a le pupille en sa puissance et qu'il est en état d'en pouvoir abuser... L'autre opinion a << aussi ses raisons, qui ne semblent pas moins considérables que « celles de la première. En effet, outre que l'ordonnance parle généralement et sans exception, on peut dire que la persuasion d'un « tuteur, quoique éloigné, ne laisse pas d'être à craindre, parce qu'il ne s'agit pas tant d'un effort violent, qui, en vérité, ne peut être « exercé que quand les objets sont présents, mais qui a moins souvent « son effet, vu qu'il y a plusieurs moyens de le prévenir, que d'une • persuasion qui s'insinue facilement dans l'esprit d'un jeune homme, et dont les fondements étant jetés quand le tuteur le tient en sa puissance, se conserve aisément pour avoir effet lorsque l'occasion ⚫ s'en présente, etc... >>

La question a été traitée aussi par Pothier, et je m'empresse de dire que, dans l'ancien droit, qui ne frappait pas les médecins d'une incapacité légale, c'est-à-dire dans des circonstances juridiques dont vous verrez bientôt la différence profonde avec celles de l'article 909, Pothier n'aurait pas hésité à être de l'avis de M. Valette. Voici ce que dit Pothier sur l'article 296 de la Coutume d'Orléans : « Observez que les legs faits à des personnes à qui il est défendu de léguer par une loi précise, telles que sont un tuteur, une épouse, sont

« PreviousContinue »