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87. La responsabilité des médecins pour les actes de leur profession a divisé depuis longtemps la doctrine et la jurisprudence. Nous envisagerons cette importante question en nous plaçant d'abord au point de vue du droit civil, et ensuite au point de vue du droit criminel.

Dans le langage du droit civil, le mot délit a une signification différente de celle qu'on lui donne en droit criminel. En droit civil, il désigne, disent MM. Aubry et Rau, toute action illicite par laquelle une personne lèse sciemment et méchamment les droits d'autrui. En droit criminel, il désigne toute infraction défi

nie et punie par la loi pénale (1). Au civil, on confond souvent le

délit et la faute.

Le principe qui domine toute la matière est posé dans les articles 1382 et 1383 du Code civil. Ils sont ainsi conçus :

Article 1382 « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui « un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le « réparer. »

L'article 1383 répète le même axiome en d'autres termes :

Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seu«<lement par son fait, mais encore par sa négligence ou son impru« dence. >>

38. Il suit de là qu'il n'y a de responsabilité pour l'auteur d'un fait qu'autant qu'il y a eu un préjudice, un dommage causé, et que le fait qui a causé ce préjudice était illicite et constituait une faute de la part de son auteur. Nemo damnum facit nisi qui id facit quod facere jus non habet (2). Il ne suffit pas qu'un fait dommageable ait eu lieu, il faut encore, pour que la responsabilité de l'auteur soit engagée, que cet acte constitue une faute (3).

89. Et il en est ainsi d'un fait négatif comme d'un fait positif, de l'omission comme de la commission. Pour que l'omission entraîne la responsabilité et la réparation, il faut qu'elle soit imputable à l'auteur et qu'elle soit illicite, c'est-à-dire que l'acte omis ait été commandé par la loi, sans cela l'omission ne constituerait plus une faute.

On a écrit, il est vrai, que celui-là est tenu de réparer un dommage qui, pouvant empêcher ce dommage, ne l'a pourtant pas empêché (4). C'est là une erreur; il ne suffit pas qu'on ait pu empêcher le mal, il faut aussi qu'on l'ait dû. M. Marcadé observe qu'il s'agit ici de faits soit positifs, soit négatifs, qui présentent la violation d'un devoir.

« C'est de la violation d'un devoir proprement dit qu'il s'agit, d'un de ces devoirs généraux existant au profit de toute personne, et non du devoir existant spécialement de telle personne à telle autre personne déterminée, ce qui constituerait l'obligation prévue aux articles 4146 et 1155 du Code civil (5). »

La théorie des fautes, comme leur division en faute lourde,

(1) Aubry et Rau, t. 4, 2 443.

(2) L. 151, ff. De reg. juris.

(3) Cassat. 12 décembre 1873. P. 1874. 435.

(4) Toullier, XI, no 117.

(5) Marcadé, t. V, p. 282.

faute légère et faute très légère, adoptée par les anciens auteurs, est ici sans application, parce qu'en matière de délits et de quasidélits, c'est-à-dire dans les cas prévus par les articles 1382, 1383 et suivants du Code civil, la faute, quand elle existe, est toujours une faute lourde entraînant la responsabilité de son auteur.

<< Toutes les pertes, tous les dommages, disait Domat, qui peuvent arriver par le fait de quelque personne, soit imprudence, légèreté, ignorance de ce qu'on doit savoir, ou autres fautes semblables, si légères qu'elles puissent être, doivent être réparées par celui dont l'imprudence ou autre faute y a donné lieu. C'est un tort qu'il a fait, quand même il n'aurait pas eu l'intention de nuire. »

90. Tels sont les principes généraux que nous devons appliquer à notre sujet.

L'exercice de l'art de guérir peut-il donner lieu à la responsabilité civile ?

La loi du 19 ventôse an XI a seulement prévu, ainsi que nous le verrons plus loin, le cas où, contrairement à ses prescriptions, un officier de santé aurait pratiqué une grande opération chirurgicale sans l'assistance d'un docteur, et où il en serait résulté des accidents graves. Dans ce cas, la victime de ces accidents aurait une action en indemnité contre l'officier de santé (article 29).

91. Quant à la responsabilité des docteurs, la loi de l'an XI n'en parle pas ;on en a conclu qu'ils ne devaient jamais répondre d'aucun acte de leur pratique, et on a voulu restreindre même la responsabilité des officiers de santé aux accidents graves dont parle l'article 29. Cette théorie a été longtemps celle de l'Académie de médecine. Consultée en 1834 sur un projet de loi réglant l'exercice de la médecine, elle proposa d'y introduire un article ainsi conçu :

«Les médecins et chirurgiens ne sont pas responsables des erreurs « qu'ils pourraient commettre de bonne foi dans l'exercice conscien«cieux de leur art. Les articles 1382 et 1383 du Code civil ne leur « sont pas applicables dans ce cas. »

Messieurs les docteurs Bouillaud, Maingault et Marc voulaient même qu'il fût décidé que les médecins ne pourraient, dans au cun cas, être poursuivis en justice. M. Adelon, professeur de médecine légale, combattit seul cette proposition. Si elle était admise, disait-il, la société se trouverait désarmée contre les dangers résultant de la négligence, de l'inattention et de l'imprudence des médecins. L'Académie n'aurait pas cependant persisté dans sa première opinion. D'après MM. Briand et Chaudé, une mère de famille étant morte en 1850, par suite

d'une erreur commise dans l'administration d'un médicament par un médecin et un pharmacien, ces derniers auraient été poursuivis, et l'Académie aurait décidé que le fait rentrait dans le droit commun et qu'elle n'avait pas à s'en préoccuper (1).

Quand elle émettait la première opinion, l'Académie était dans l'erreur; les médecins sont assurément soumis aux principes généraux sur la responsabilité civile, et on doit seulement rechercher quels sont les faits de leur pratique qui peuvent la leur faire encourir.

92. Nous ne trouvons, dans l'ancien droit, qu'un petit nombre de documents sur cette question. Les lois romaines prévoyaient seulement le cas où un médecin aurait occasionné la mort d'un esclave par des soins inintelligents et donnés mal à propos (2) ; mais elles étaient sévères au point de vue pénal, elles punissaient de la peine capitale le médecin, quand son impéritie avait causé la mort de son client (3).

L'ancienne jurisprudence française était divisée. Un arrêt du Parlement de Bordeaux, de 1596, condamnait à 450 livres de dommages-intérêts les héritiers d'un les héritiers d'un chirurgien qui avait blessé un malade en le saignant. Le Parlement de Paris, par un arrêt du 22 juin 1768, condamnait aussi un chirurgien à 15,000 livres de dommages-intérêts, somme énorme pour l'époque, envers un jeune homme à qui il fallut couper le bras, parce que ce chirurgien l'avait mal opéré.

Et pourtant, le même Parlement de Paris avait décidé, en 1696, que les chirurgiens n'étaient pas responsables, tant qu'on ne pouvait leur imputer que de l'ignorance ou de l'impéritie, quia agrotus debet sibi imputare cur talem elegerit; et, le 6 avril 1710, le Parlement de Bordeaux rejeta une demande formée contre un chirurgien, par ce motif qu'il n'y avait eu ni dol ni malice. 93. Ce n'est point dans la législation moderne qu'il faut chercher la solution de la question; nous ne la trouverions même pas, ainsi que nous venons de le dire, dans la loi du 19 ventôse an XI. Quant à la doctrine et à la jurisprudence, elles paraissent aujourd'hui mieux fixées.

Nous dirons avec les auteurs, notamment MM. Trebuchet (4) et Coffinières (5), et en appliquant les principes que nous venons de

(1) Briand et Chaudé, Manuel de méd. lég., 10 édit., p. 75.

(2) L. 8, ff. Ad., leg. Aquil.

L. 9, ff., § 5, Locati.

(3) L. 6, ff., 5, De officio præsidis.

4 Jurisprudence de la médec. et de la pharmac., p. 186 et s. (5) Encyclopédie du droit, vo ART DE GUÉRIR, nos 61 et s.

DUBRAC.

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rappeler, que les médecins ne peuvent échapper, dans certaines limites, à la responsabilité de leurs actes.

L'étudiant en médecine est astreint par la loi à subir des épreuves multipliées, et le diplôme obtenu par lui après de longues et laborieuses études, toujours surveillées, contrôlées par les hommes les plus éminents dans cette science difficile, présente à la société les garanties de capacité les plus sérieuses. Le diplôme une fois obtenu, l'exercice de l'art de guérir n'est plus soumis à aucune surveillance particulière et, pour la sûreté de son diagnostic, comme pour l'efficacité des moyens curatifs qu'il emploie, le médecin n'est, en principe, justiciable de personne. En lui conférant son titre de docteur, la Faculté n'a pu, hélas! le rendre infaillible, et, dans l'application des principes scientifiques qu'il connaît, il peut se tromper. L'art de guérir est fort conjectural, il serait téméraire aux tribunaux de juger, d'apprécier le plus ou moins d'opportunité d'un traitement thérapeutique. La loi pouvait-elle faire plus qu'elle n'a fait, quand elle a imposé les conditions auxquelles l'obtention du diplôme est soumise, et les tribunaux peuvent-ils ajouter aux dispositions de la loi une responsabilité qui obligerait le médecin à guérir son malade ou à l'indemniser en cas d'insuccès, comme la Convention obligeait, sous peine de mort, les généraux à vaincre l'ennemi? Personne n'oserait le soutenir.

D'un autre côté, il n'est pas possible d'admettre que les médecins ne soient pas soumis, comme tous les citoyens, aux conséquences de leurs fautes. Le titre de docteur ne peut être un saufconduit qui leur permette de commettre impunément toutes les imprudences volontaires ou involontaires. Par cela même que la loi les investit d'un monopole, qu'elle leur garantit l'exercice exclusif de leur art, ils sont astreints à une plus grande circonspection.

94. Ainsi donc la responsabilité existe, mais il lui faut une limite; comment la tracer ? C'est là qu'est la difficulté et, il faut bien le reconnaître, elle est grande.

Le médecin est responsable, suivant les principes généraux, quand il a commis une faute, une négligence, une imprudence manifestes. Si le fait dommageable était étranger à l'art de guérir, il est inutile de dire que la responsabilité ne pourrait faire aucun doute, comme le cas où un médecin, après une opération grave, aurait tout à coup et sans motifs suffisants abandonné son malade et qu'il en fût résulté des accidents; le cas où une opération n'aurait pas réussi, parce que le chirurgien qui l'aurait pratiquée était en état d'ivresse.

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