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INTRODUCTION.

L'HISTOIRE de la pairie en France se lie si étroitement à celle de la monarchie, qu'il est bien difficile de la résumer sans rappeler toutes les modifications qu'a subies le gouvernement du pays, toutes les révolutions qui les ont amenées. Obligés à ne lui consacrer qu'un petit nombre de pages, nous laisserons au lecteur le soin de rapprocher notre écrit des histoires générales pour y puiser la connaissance des faits qui se rattachent au point de vue particulier sous lequel nous envisageons ce sujet. Nous ne nous attacherons ici qu'à faire connaître la pairie, telle qu'elle est venue jusqu'à nous, tour à tour dignité purement nominale, fonction judiciaire, puissance vassale mais modératrice de la royauté, attribution purement honorifique, donnant place au parlement, enfin, chambre législative et partie intégrante du gouvernement. C'est surtout dans son état actuel et dans l'influence qu'elle peut avoir sur nos destinées constitutionnelles que nous la considèrerons. Parlant d'elle avec le respect dû au premier corps de l'État, nous ne considèrerons point

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les individus mais l'institution, et notre conscience n'aura à se reprocher ni les éloges que nous lui donnerons, ni les critiques que nous pourrons faire de l'organisation de notre chambre héréditaire dans ses rapports avec les intérêts de la royauté et les besoins de l'époque.

La dénomination de Pairs de France, qui remonte aux temps les plus reculés de la monarchie, fut bien loin d'avoir sous nos rois, et surtout sous ceux des deux premières races, l'acception qui s'attache de nos jours au pouvoir formé par la réunion des pairs actuels et consacré par les constitutions de l'État. Son origine même a précédé de beaucoup la pairie, considérée comme corps participant à la puissance souveraine, et l'institution de celle-ci n'a commencé à avoir quelque réalité qu'à l'époque où les principaux fiefs de la couronne commencèrent à devenir héréditaires. Elle n'avait même alors que des rapports fort éloignés avec notre chambre haute,

Le terme de Pair, introduit au dixième siècle, s'appliquait aux vassaux du même seigneur, et désignait leur égalité de droits entre eux. D'après un ancien usage des Francs, chaque citoyen libre ne pouvait être jugé que par ses égaux (ses pairs); mais ce droit appartenait plus particulièrement encore aux grands de l'État qui, voulant bien être juges de leurs inférieurs, prétendaient n'être pas eux-mêmes justiciables des tribunaux ordinai

res; par suite de cette faveur, qui ne leur donnait pour juges que leurs égaux, la qualification qui y était appliquée commença à s'attacher d'une manière plus exclusive à leur classe. Les distinctions personnelles étaient alors les seules connues; l'administration de la justice ne formait point un système suivi, et les titres acquis par les armes étant les seuls qui pussent déterminer le rang, déterminaient aussi le choix des juges dans toutes les affaires criminelles ou contentieuses.

La pairie n'existait point comme institution sous les Francs, mais on retrouve dès-lors les traces de son origine qui suit les progrès de l'établissement de la noblesse et plus tard de la féodalité,

Dans l'origine de la monarchie, les charges, les emplois, la noblesse, tout fut personnel: tout devint territorial par la suite; mais alors eurent lieu trois sortes de propriétés. Elles furent d'abord un apanage non transmissible, c'est ce qui caractérise l'époque de la première race; bientôt les propriétés donnèrent à leurs possesseurs certains titres, certains droits, et de leur côté les hommes réagirent sur les propriétés, c'est le propre de l'époque qui finit à Charles le Chauve. Depuis lors jusqu'à l'établissement des communes sous Louis IX, c'est la terre qui seule donne la qualité.

Pendant la première de ces époques on trouve le droit de justice inhérent à la noblesse.

« Le roi commande dans ses domaines par des délégués nommés juges; dans les villes, par des délégués nommés comtes; les vassaux commandent dans leurs bénéfices, les francs dans leurs alleux, les évêques dans leurs églises, les abbés dans leurs monastères (1). »

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Avant comme pendant la majeure partie de ces temps la justice était toute personnelle; en Germanie le droit de justice appartenait à l'assemblée générale. Cet ordre fut maintenu en partie après la conquête des Gaules. Une assemblée générale y décida les contestations; mais à mesure que le territoire s'étendit, le droit de justice se divisa selon les localités et s'attacha au domaine; il put même être cédé et transmis à titre de propriété avec le sol, et les serfs dépendants de l'alleu le furent également avec ce dernier.

Les justices ne s'entendaient pas alors du seul droit des juges; elles comprenaient aussi la perception des cens, l'appel des soldats sous les drapeaux, et d'autres droits encore. Dans tout cela aucune garantie pour le peuple, si ce n'est en matière de jugements, parce que là, l'homme ne dépendait que de ses égaux, des pairs, dont l'élection était au choix des justiciables. Dans le comté les échevins étaient juges, dans les bénéfices les hommes du fief.

Plus tard, et lorsque la féodalité fut tout-à-fait

(1) Mignet, de la Féodalité et des Institutions de saint Louis.

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établie, les justices devinrent toutes seigneuriales à cause de l'indépendance des bénéficiers. « Chacune « d'elles fut servie par les vassaux des fiefs immé«diatement inférieurs. Le roi jugea avec ses ba«< rons, les barons avec leurs vassaux, et ainsi de << suite jusqu'au dernier degré de la féodalité. Les « citations se firent par pairs et les jugements « aussi (1). »

L'établissement des fiefs introduisit dans le gouvernement une nouvelle forme sans en changer l'esprit. Les services rendus à l'État avaient été jusque-là la base du système politique; mais les titres militaires attachés à des terres, formèrent par leur réunion avec elles la récompense de ces services. La pairie devint une dignité attachée à la possession d'un fief qui donnait droit d'exercer la justice conjointement avec ses pairs, dans les assises du fief dominant, car tous en avaient d'autres mouvans de lui. Les possesseurs de ces fiefs secondaires, égaux entre eux, formaient la cour du seigneur suzerain, jugeaient avec lui ou sans lui, et pouvaient euxmêmes récuser toute autre juridiction.

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Des vestiges de cet ancien usage ont survécu longtemps à l'institution de la pairie, telle que nous venons de la présenter: jusqu'à l'époque qui a précédé la révolution, quelques compagnies souve

(1) Mignet.

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