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à un autre, d'autant plus qu'on ne trouve pas ici les mêmes motifs que pour l'expropriation forcée. C'est du reste en ce sens que la Cour de Cassation s'est prononcée par arrêt du 22 juin 1819. Cette décision importante est appuyée sur des motifs de la plus grande force, et devrait mettre fin à une controverse qu'on est étonné d'avoir vu s'élever. Cependant M. Delvincourt ne se rend pas à l'autorité de cet arrêt, et il pense que la surenchère du quart est admissible. Mais on regrette de voir cet auteur éclairé persister dans une si grande aberration. »

COUR ROYALE DE LIMOGES.

Officier ministéricl. Discipline. - Notaire.

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Non bis in idem.

1° Un notaire peut être poursuivi DISCIPLINAIREMENT à raison de prévarications autres que celles qui sont déterminées par la loi du 25 ventose an 11.

2° Un officier ministériel qui a été l'objet de poursuites criminelles et que le jury a acquitté, peut néanmoins étre poursuivi DISCIPLINAIREMENT, à raison des mémes faits, sans qu'il y ait violation de la règle NON BIS IN IDEM (1).

3o La prescription de 10 ans établie par l'art. 367 C. I. C. ne s'applique pas à l'action disciplinaire.

(Lenoble C. Ministère public.)

Après avoir été l'objet de poursuites criminelles, auxquelles il eut le bonheur d'échapper en 1836 et en 1837, le sieur Lenoble, notaire à Aubusson, fut assigné par le ministère public, agissant disciplinairement devant le tribunal civil d'Aubusson pour voir prononcer sa destitution.

Sur cette action, jugement ainsi conçu :

« LE TRIBUNAL; - Attendu que la loi du 25 ventôse an 11 prononce les peines de l'amende, de la suspension et de la destitution contre les notaires coupables de certaines contraventions ou prévarications déterminées par la loi ;

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Mais que, indépendamment des cas spécialement prévus par cette loi, et des peines qu'elle y applique, il est d'autres cas où l'honneur du corps des notaires, l'intérêt général de la société et les besoins de la sûreté publique exigent qu'il soit pris, à l'égard de certains notaires, des mesures disciplinaires qui suspendent ou fassent cesser le pouvoir de ces officiers: tels sont les cas d'une condamnation qui a rendu le notaire infâme, celui où on peut le convaincre de faits ou d'actes qui, sans avoir le caractère de crimes ou de délits, portent cependant une at

(1) V. suprà, p. 48, l'arrêt de la Cour de cassat. du 27 nov. 1838 et la note.

teinte grave à la considération dont le notaire doit être investi, celui d'une aliénation meutale ou d'un vice invétéré, comme l'ivrognerie, de nature à rendre dangereux le pouvoir de dresser des actes publics et de leur donner foi en justice;

» Attendu que ces cas, et les mesures disciplinaires qu'ils nécessitent, sont implicitement compris dans l'art. 53 de la loi du 25 ventôse an 11, qui investit les tribunaux civils de toute juridiction pour prononcer les suspensions et destitutions encourues par les notaires, et que cet article est ainsi interprété par une jurisprudence généralement reçue, notamment par les arrêts de la Cour de Cassation des 10 décembre 1810, 31 octo-. bre 1811, 13 mars 1824, 13 janvier 1825 et 12 mai 1827;

» Qu'ainsi Jean-Louis Lenoble a pu être poursuivi en destitution pour faits autres que les contraventions spécifiées par la loi du 25 ventôse an 11;

>>Attendu que les suspensions ou destitutions à prononcer hors des cas spécifiés par ladite loi ne sont pas des peines proprement dites, notamment en cas d'aliénation mentale; qu'elles sont seulement des mesures d'ordre ou d'honneur public; qu'ainsi elles peuvent intervenir après une condamnation pour crime et délit, et par suite de cette condamnation, sans blesser la maxime non bis in idem, et sans qu'il y ait aggravation illégale de la peine précédemment prononcée ;

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Mais, attendu que ces suspensions ou destitutions ne peuvent être prononcées que par des décisions juridiques, et qu'elles ne doivent jamais porter atteinte à la chose jugée;

» Attendu que le respect pour la chose jugée est un des premiers principes d'ordre ; qu'il a été admis moins encore dans l'intérêt des droits acquis aux parties que dans celui des juridictions, et pour éviter des contrariétés de décision qui affaiblissent l'autorité de la justice distributive;

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Que ce respect pour la chose jugée est violé toutes les fois que, entre mêmes parties, on remet en question, directement ou indirectement, un point déjà jugé légalement et souverainement;

» Attendu que Jean-Louis Lenoble, acquitté par la Cour d'assises sur deux faits de faux et un fait de subornation, ne peut être poursuivi en destitution à raison des mêmes faits, sans qu'on remette en question ce qui a fait l'objet des verdicts du jury, sans violer le principe de la chose jugée, particulièrement consacré par l'art. 360 C. I. C.;

» Attendu qu'on voudrait vainement restreindre les décisions qui ont acquitté Lenoble à la question de culpabilité, et séparer de cette question la question de fait, qu'on supposerait être restée entière;

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» Cette distinction est inadmissible entre Lenoble et le ministère public, qui étaient tous deux parties dans les arrêts rendus: pour eux chaque verdict du jury est indivisible. Il devait

décider par une seule formule sur la question de fait et sur la question de culpabilité; sa réponse. négative a frappé nécessairement sur les deux questions auxquelles elle devait répondre ;

» Cette doctrine a été d'abord posée dans le nouveau droit criminel de la France par un décret interprétatif du 21 prairial. an 2, et énoncé en ces termes : « Les tribunaux correctionnels » ne peuvent se rendre les juges de la déclaration du jury, ni » par conséquent décider qu'elle n'avait pas été motivée soit » sur ce que le fait n'était pas constant, soit sur ce que le pré» venu était absolument irréprochable;

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» Elle a été appliquée depuis le Code d'instruction criminelle, notamment dans le cas d'un acquittement pour meurtre, après lequel avait été intentée une poursuite correctionnelle pour homicide involontaire. Un arrêt de la Cour de Cassation du 29 octobre 1812 rejeta la seconde poursuite en ces termes : « Attendu » que, sur la question à lui proposée, le jury a déclaré que » Diffis n'était point coupable de meurtre commis sur le gen» darme Menut; que cette déclaration, d'après la généralité de » ses expressions et l'interprétation qu'exige la faveur de tout accusé, doit être censée porter tant sur le fait d'homicide en » lui-même ou sur sa légitimité que sur l'absence de volonté ; » que dès lors il n'existe plus de base à une poursuite quelcon» que contre l'accusé à raison du fait qui a formé l'objet de » son accusation; »

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» Attendu que dans l'espèce particulièrement, on ne pourrait toucher à ce qui a été décidé par la Cour d'assises sans tomber dans le désordre et la confusion;

» En effet, la demande en destitution sur laquelle il est à prononcer reproduit deux faits de faux et un fait de subornation sur lesquels il y a verdicts négatifs, et dont il faudrait cependant déclarer l'existence d'après des preuves quelconques;

>>Quant aux faits de faux:-Si on recherchait les preuves dans l'information faite devant le juge d'instruction, on violerait d'abord une règle essentielle du droit commun en opposant au défendeur une enquête à laquelle il n'a été ni présent ni appelé, et de plus on se trouverait en face de plusieurs dépositions contraires entre elles, desquelles plusieurs même, répétées à la Cour d'assises, ont été arguées de faux, et cependant suivies d'un verdict d'acquittement. Devrait-on prendre comme vraies ou fausses ces dépositions absoutes? - Elles seraient vraies légalement, et peut-être moralement fausses. Légalement vraies, elles infirmeraient les dépositions contraires; moralement fausses, elles mettraient la conviction du juge en opposition avec le jugement qu'il serait tenu de prononcer d'après les règles juridiques;

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» Si on ouvrait des enquêtes nouvelles, non-seulement on recommencerait à instruire la chose déjà jugée, mais encore il

faudrait rappeler des témoins déjà entendus, même les témoins qui ont été déjà poursuivis en faux témoignage sur les faits en question: or ils ne pourraient changer leurs premières dépositions sans s'avouer coupables du crime dont ils ont été acquittés, ou ils pourraient renouveler de fausses dépositions sans craindre d'être remis en jugement pour faux témoignage à raison des mêmes faits;

>>

Quant au fait de subornation, on ne pourrait le constater ou le déclarer avéré sans déclarer préalablement qu'il y a eu faux témoignage. Il n'y a pas de suborneur sans faux témoins. Or cette déclaration d'une subornation constante impliquerait contradiction non-seulement avec le verdict qui acquitte Lenoble, mais encore avec le verdict qui acquitte les témoins jugés avec lui. De pareilles atteintes à la chose jugée porteraient les plus graves perturbations dans l'ordre moral comme dans l'ordre juridique;

» D'après ces motifs, il y a lieu de rejeter du procès actuel les faits se rapportant aux deux accusations sur lesquelles Lenoble a été acquitté par la Cour d'assises;

por

>> Attendu que les ordonnances rendues par la chambre d'accusation et par la chambre du conseil, même lorsqu'elles tent qu'il n'y a lieu à suivre, n'ont pas l'autorité de la chose jugée, et n'affranchissent pas définitivement le prévenu de toutes poursuites à raison des faits sur lesquels elles ont statué;

» Qu'ainsi la demande en destitution peut s'appuyer sur les faits et actes à l'égard desquels la chambre du conseil d'Aubusson et la chambre des mises en accusation de Limoges ont déclaré qu'il n'y avait lieu à suivre criminellement ;

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Mais, attendu que ces faits et actes n'ont pas été vérifiés ni examinés contradictoirement avec Lenoble; que, traduit en justice réglée, et ayant droit, par suite, à la protection des formes juridiques, ledit Lenoble, même en faisant défaut, ne peut être jugé que sur une instruction faite suivant les règles de la juridiction civile;

>>Attendu enfin que plusieurs des actes à apprécier consistent en minutes déposées dans l'étude de Lenoble, et qu'il est nécessaire de faire rapporter au greffe;

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Rejette des faits ou actes présentés par le ministère public à l'appui de la demande en destitution les faits et actes à raison desquels ledit Lenoble a été acquitté par la décision de la Cour d'assises de la Creuse des 28 juillet 1836 et 27 janvier 1837;

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Et, avant faire droit relativement aux autres faits ou actes, ordonne l'apport au greffe des minutes des actes ci-dessous mentionnés..... pour être jugé ce que de droit. »-Appel.

ARRÊT.

LA COUR, Vu l'art. 53 de la loi du 25 ventôse an 11 ainsi conçu :

Toutes suspensions, destitutions, condamnations d'amende et domma›ges-intérêts, seront prononcées contre les notaires par le tribunal civil de leur résidence, à la poursuite des parties intéressées, ou, d'office, à la poursuite et diligence du commissaire du gouvernement; ›

Attendu que, parmi les faits sur lesquels se fonde l'action du procureur général, il en est trois à raison desquels Lenoble, déjà poursuivi par la voie criminelle devant la Cour d'assises de la Creuse, a été acquitté de l'accusation portée contre lui, et qu'il soutient que ces faits ne peuvent servir de fondement à une poursuite disciplinaire, sans qu'il y ait violation de la règle non bis in idem, consacrée par l'art. 360 C. d'inst. crim.;

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Attendu que l'action criminelle et l'action disciplinaire, l'une ayant pour objet la répression des crimes et délits, l'autre étant instituée pour la conservation des sentiments d'honneur et de délicatesse dans une classe d'officiers publics, sont régies par des principes différents, et s'exercent indépendamment l'une de l'autre ; que, suivant l'économie de la loi concernant la position des questions soumises au jury, sa déclaration, en écartant la criminalité du fait, n'exclut pas son existence matérielle, et que si, aux termes de l'art. 360 C. d'inst. crim., l'acquittement de l'accusé éteint à jamais l'action criminelle sur le fait qui servait de fondement à l'accusation, cette accusation ne met point obstacle à l'action du pouvoir disciplinaire, à qui il appartient encore de s'emparer du fait et de l'apprécier, non plus sous le rapport de la criminalité, mais par rapport à l'atteinte qu'il peut porter aux principes de morale et d'honneur sur l'observation desquels repose la considération des fonctionnaires publics;

Mais, attendu que les informations qui ont cu lieu sur ces faits dans la procédure criminelle devant le juge d'instruction ont pu être modifiées par l'instruction orale qui a été faite devant la Cour d'assises, et dont il ne reste trace; qu'ainsi ces informations ne présentent pas à la conscience du juge des éléments sûrs et dignes de sa confiance, et que le ministère public n'ayant pas fait procéder à une nouvelle instruction, ces faits ne peuvent, en l'état, être pris en considération par la Cour, et qu'il y a lieu de passer à l'examen des autres faits qui servent de base à l'action disciplinaire ;

Attendu qu'il résulte d'un jugement du tribunal d'Aubusson du 21 mars 1822 que Lenoble, poursuivi par Petit en paiement d'une créance de 320 francs, imagina d'opposer, en compensation à cette demande, le coût des expéditions d'un grand nombre d'actes reçus dans son étude par son père ou par lui, concernant Petit ou sa famille; expéditions qu'il fit tirer comme si elles eussent été requises par celui-ci, quoique, dans la réalité, Petit ne les eût pas demandées, et que même la majeure partie de ces expéditions fût pour lui sans aucune utilité, un grand nombre des actes expédiés se référant à des droits éteints depuis longues années;

Attendu que.... (suivent les autres faits de prévarication);

Attendu que ces faits constituent de la part de Lenoble des manquements graves aux devoirs du notaire, et aux principes d'honneur et d'intégrité dont il est si essentiel d'assurer le maintien dans l'exercice de cette profession;

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