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bail étant naturellement émané de l'acheteur, et de l'acheteur seul, comment pourrait-on s'en prévaloir contre le vendeur qui exerce l'action en rescision pour fixer sa valeur ?

Ces deux exemples ne sont donc pas très-propres à donner une idée exacte de la difficulté, et ils trahissent tous cette préoccupation dont les esprits n'avaient généralement pu se défendre, que la détermination des revenus pourrait être invoquée par ceux-là mêmes qui n'auraient pas figuré dans le bail. Avant de proposer une hypothèse peut-être plus exacte et plus satisfaisante, nous exprimerons notre sentiment sur les trois systèmes dont la nomenclature précède, et nous dirons sans hésiter que celui de M. CARRÉ nous a paru non-seulement mériter la préférence, mais encore le seul digne d'être sérieusement proposé. Comment en effet soutenir avec M. PIGEAU que l'affaire mixte sera en dernier ressort toutes les fois que la valeur de ces deux éléments considérés d'une manière individuelle sera dans les limites du dernier ressort, sans nous préoccuper du point de savoir si, cumulées, ces valeurs excèdent ces limites? La valeur totale du litige ne se compose-t-elle pas en effet de la somme de ces deux valeurs individuelles? Si cette théorie est illégale, celle de M. Dalloz a de plus l'inconvénient d'être éminemment arbitraire, car on comprendrait difficilement pourquoi il suffirait de prendre pour base de la compétence celle des deux chefs de l'action dont la somme s'élève le plus haut, en ne tenant compte aucun des valeurs comprises dans le chef inférieur.

Il faut donc reconnaître avec M. Carré que les valeurs du chef personnel et du chef réel de l'action doivent être cumulées pour l'appréciation du ressort, et que, si, considérées de cette manière, elles excèdent les limites fixées par la loi, le tribunal ne prononcera qu'à la charge d'appel. Voici l'exemple que nous proposerons pour expliquer cette doctrine, seule juridique, seule rationnelle: Je vous ai concédé à titre de bail à rente un immeuble dont le revenu annuel est déterminé à la somme de 40 fr.; bientôt après j'exerce contre vous une action en rescision, et comme vous avez dégradé l'immeuble, tout en demandant le retrait, je conclus à ce que vous soyez condamné à me payer une somme de 600 fr. à titre de dommages-intérêts. Pour connaître quelle sera la valeur cumulée de mes deux chefs de conclusions dont l'un est réel et l'autre personnel, je convertis d'abord en capital la valeur de l'immeuble arrenté, et comme, d'après les bases de la loi nouvelle, le revenu a été calculé à raison de 4 p. 100, le chef réel de l'action représentera une valeur de 1000 fr. qui, jointe aux 600 fr. du chef personnel, formerait une valeur totale de 1600 fr.: d'où nous conclurons que le tribunal n'a prononcé sur ina demande qu'à la charge d'appel; que si, au lieu de réclamer 600 fr. de dommages, je

n'en eusse réclamé que jusqu'à concurrence de 400 fr., le tribunal aurait été souverain.

Cette opération est à notre avis la seule qui puisse réaliser l'application de la règle sur laquelle tout le monde est d'accord, que les actions mixtes sont susceptibles d'être aussi jugées en dernier ressort. Objecterait-on que nous avons égard ici, pour apprécier le chef réel, au capital de l'immeuble, ce qui contrarie les principes généraux déjà posés? Nous répondrions que si nous apprécions le capital, ce n'est qu'à l'aide du revenu, et que notre point de départ, la base principale de notre système, est alors dans les termes mêmes de la loi.

§ 2. Des actions mixtes dans lesquelles les parties jouent à la fois le rôle de demandeur et de défendeur, ou dans lesquelles des prestations personnelles peuvent être le résultat d'une action principalement réelle.

On sait que nous devons parler sous ce paragraphe des actions mixtes, placées dans notre seconde catégorie, c'est-à-dire des actions en partage d'une hérédité ou d'une chose commune; nous passons sous silence l'action en bornage, puisque nous avons déjà établi que sa valeur étant toujours indéterminée, le tribunal ne pouvait la juger qu'à la charge d'appel.

Nous proposerons d'abord une distinction principale entre le cas où les copartageants procèdent en vertu d'un titre universel, comme celui de cohéritiers,d'associés, de cominuns en biens, d'institués contractuellement, et celui où ils ne procèdent qu'en vertu d'un titre singulier, comme celui de colégataires, codonataires, coacquéreurs, en nous réservant de faire suivre chacune des deux branches de cette division de précisions convenables.

ART. 1.

Du cas où les copartageants procèdent entre eux en vertu d'un titre universel.

Lorsqu'il s'agit de l'action en partage d'une hérédité ou d'une masse de biens dépendante d'une communauté ou d'une société, le jugement qui intervient n'est jamais susceptible d'être en dernier ressort, soit que la contestation roule sur la qualité d'héritier, d'associé, de communiste, soit qu'il s'agisse de déterminer les parts qui compètent à chacun des copartageants dans la masse indivise: la raison en est que l'on ne peut jamais apprécier d'une manière exacte la valeur du litige relatif à un être moral, à un droit incorporel, qui, par sa nature même, est susceptible d'augmentation ou de diminution (1). C'est en ce sens qu'Ulpien disait de l'hérédité : Hæreditas nomen juris est

(1) V. en ce sens divers arrêts de la Cour de Cassation rapportés dans le Journal des Avoués, t. 3, pag. 26, no 24, et t. 19, pag. 93.

quod et accessionem et decessionem in se recepit (1), et que le Code civil, reproduisant les doctrines de Paul (2), a disposé dans son art. 1696: « Celui qui vend une hérédité sans en spécifier les » objets, n'est tenu de garantir què sa qualité d'héritier. »

La contestation porte-t-elle sur la qualité, elle est toujours, en ces matières, un des objets principaux du procès, et comme, d'autre part, l'intérêt qui s'attache à ce point préjudiciel du litige est toujours indéterminé, le tribunal ne saurait être sou

verain.

La contestation porte-t-elle sur les parts qui reviennent à chacun des copartageants ou sur la quotité de leurs droits, la valeur de cette partie du procès est encore indéterminée, car on ne peut la traduire par des chiffres; et notez que les deux premières solutions sont exactes, même dans le cas où il n'y aurait d'hors et déjà dans la masse que des objets mobilièrs ou immobiliers d'une valeur inférieure au taux du dernier ressort, par cette raison que la quotité impose des obligations indéterminées, et que dans les deux cas, d'ailleurs, on peut, après un premier partage, découvrir d'autres objets faisant partie de la masse, et que, par suite, le jugement attributif de la quantité ou de la quotité.des parts serait en définitive préjudiciable ou avantageux aux parties dans des proportions nécessairement indéterminées.

Mais si lorsqu'une première fois les qualités et les droits respectifs des contendants à raison de la part qu'ils ont à prétendre ont été réglés, et s'il est prouvé d'autre part que la masse à partager est inférieure au taux du dernier ressort, les jugements qui interviendraient sur le mode de partage, sur la licitation, seraient souverains, car toute la valeur du litige se concentrerait alors dans la valeur de l'objet à partager.

Il en serait de même pour le cas où il y aurait lieu à une action en supplément de partage et pour toutes autres espèces analogues prévues en thèse par l'art. 975 C. P. C., ainsi conçu : «Si la demande en partage n'a pour objet que la division d'un » ou de plusieurs immeubles sur lesquels les droits des intéres» sés soient déjà liquidés, les experts, en procédant à l'estimation, composeront les lots ainsi qu'il est prescrit dans » l'art. 466 C. C., et après que leur rapport aura été entériué, » les lots seront tirés au sort, soit devant le juge-commissaire, » soit devant un notaire commis par le tribunal. »

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Mais, dans ces dernières hypothèses, comment reconnaître si les objets à partager sont inférieurs au taux du dernier ressort?

Nous appliquerons, selon la nature de ces objets, les principes consacrés dans l'art. 1er de la loi du 11 avril 1838, et s'il y a

(1) Loi 178, § 1, ff. de verb. signif.

(2) Loi 14, § 1, ff. de hæreditale et act. vendit.

dans la même masse des objets mobiliers et immobiliers, les règles tracées dans la dernière partie du § 1er de la section 2 de - ce chapitre.

Toutefois ce n'est pas là le point le plus délicat de cette ma tière; la difficulté la plus sérieuse consiste à savoir s'il faut, dans le cas où la valeur de la chose à partager excède le taux du dernier ressort, considérer la valeur totale de cette chose, ou bien seulement la valeur que chacun des copartageants en particulier prétend dans cette chose. Soit, par exemple, une succession exclusivement mobilière, et se portant à la somme de 4,500 fr. à partager entre trois héritiers qui ne contestent ni sur leur qualité, ni sur leurs droits, qu'ils reconnaissent être égaux. Si vous considérez la valeur totale, le jugement qui interviendra sur le mode du partage sera rendu en premier ressort, tandis que si vous n'avez égard qu'aux droits que prétend chacun des copartageants, le tribunal sera souverain.

Cette question avait été agitée dans le droit romain, et on voit par un fragment du jurisconsulte GAIUS (1) que la solution avait partagé les écoles des Proculéiens et des Sabiniens. Ce fragment est ainsi conçu :

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«Si una actio communis sit plurium personarum, veluti familia erciscundæ, communi dividundo, finium regendorum utrum singulæ partes spectandæ sunt circà juridictionem ejus qui cognoscit; » quod Ofilio et Proculo placet; quia unusquisque de parte sua li tigat? An potius tota res; quia et tota res in judicium venit et vel » uni adjudicari potest quod et Cassio et Pegario placet? Et sane eo» rum sententia probabilis est. »

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En nous maintenant en dehors de l'examen de la controverse qui s'était élevée sur le fragment précité et sur la manière dont il faut entendre la dernière partie d'après sa construction grammaticale, nous nous bornerons à remarquer que Gaius étant disciple des Sabiniens (2), il est vraisemblable qu'il aurait mentionné d'une manière plus nette son dissentiment avec ses maîtres, s'il se fût éloigné de leur opinion. Leur doctrine était d'ailleurs éminemment rationnelle, car l'action en partage mettant en jeu la valeur totale des choses à partager, l'intégralité de la masse indivise, il faut avoir égard à cette valeur pour déterminer le ressort : ainsi nous suivrons, sous l'empire de la loi du 11 avril, les théories des Sabiniens adoptées par Jousse (3), sous le régime de l'édit, et dans l'espèce que nous avons posée, nous déciderons que le montant du mobilier à partager étant

(1) Loi 2, § 2, ff. de jurid.

(2) Dans divers fragments de ses instituts il aime à les appeler ses maîtres, nostri præceptores putant. Comm. 3, § 103 et 141.

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(3) Comm. sur l'édit, pag. 87 et 88. Jousse ne faisait lui-même que marcher à la lueur des explications de Cujas.

supérieur au taux du dernier ressort, le tribunal ne prononcera qu'à la charge d'appel, bien que chacun des cohéritiers ne prétende qu'à une somme de 1500 francs; l'opinion contraire attribuerait au tribunal civil une compétence immodérée, qui serait placée tout à fait en dehors des prévisions de la loi.

ART. 2.

Du cas où les copartageants procèdent en vertu d'un titre particulier.

Les copartageants procéderont, nous l'avons dit, en vertu d'un titre particulier, lorsqu'ils viendront au partage en qualité de colégataires, de codonataires ou de copropriétaires à tout autre titre.

Ici, d'autres règles de compétence doivent prévaloir. Dans tous les cas, c'est la valeur de l'objet à partager qui doit déterminer la compétence, soit qu'il s'agisse de contestations sur la qualité ou sur la quotité du droit à partager, ou bien enfin sur le mode de partager. La raison en est que, s'agissant d'un titre particulier, l'existence de ce titre, la quotité des avantages qu'il est susceptible de procurer ne peuvent jamais être d'une valeur supérieure pour les droits qu'il confère ou les obligations qu'il impose à la valeur de l'objet à partager.

On appliquera d'ailleurs à cette seconde partie de notre subdivision les principes proposés sur la question dont l'examen termine l'article précédent.

DES MATIÈRES SOMMAIRES.

De la manière d'instruire et de juger les affaires susceptibles d'être jugées en dernier ressort, d'après la loi du 11 avril 1838.

Après avoir épuisé l'examen des questions les plus notables auxquelles peut donner lieu le §. 1er de l'art. 1er de la loi du 11 avril 1838, nous passons à l'examen du § 2 du même article, qui régit la manière dont doivent être jugées les affaires susceptibles d'être jugées en dernier ressort; il est ainsi conçu : « Ces actions sont instruites et jugées comme matières sommaires. >>

Ce paragraphe, dont nous avons déjà fait connaître l'historique, renferme une disposition de la plus haute importance, car elle n'est rien moins qu'une véritable révolution dans les règles de la procédure suivies jusqu'ici. Pour comprendre sa portée, il convient d'exposer rapidement quelques aperçus sur cette matière, de mettre en relief les conséquences que cette innovation renferme, et d'en apprécier le mérite en comparant

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