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Un décret impérial de 1804 avait déterminé que la décoration de la Légion d'honneur consisterait en une étoile à cinq rayons doubles, dont le centre, entouré d'une couronne de chêne et de laurier, devait présenter, d'un côté, la tête de l'empereur avec cette légende: Napoléon, empereur des Français, de l'autre, un aigle tenant la foudre, avec ces mots : Honneur et Patrie. L'étoile, émaillée de blanc, était d'argent pour les simples légionnaires, et d'or pour les autres membres de la Légion. Par suite il fut décidé que cette étoile serait sus

trente officiers et de trois cent cinquante légionnaires. Les membres de la Légion sont à vie. Art. VII. Il sera affecté à chaque grand officier 5,000 francs; à chaque commandant 2,000 fr.; à chaque officier 1,000 francs, et à chaque légionnaire 250 francs. Ces traitements sont pris sur les biens affectés à chaque cohorte.

Art. VIII. Chaque individu admis dans la Légion jurera, sur son honneur, de se dévouer au service de la république, à la conservation de son territoire dans son intégrité, à la défense de son gouvernement, de ses lois et des propriétés qu'elles ont consacrées, de combattre par tous les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise tendant à rétablir le régime féodal, à reproduire les titres et qualités qui en étaient l'attribut; enfin, de concourir de tout son pouvoir au maintien de la liberté et de l'égalité.

Art. IX. Il sera établi, dans chaque chef-lieu de cohorte, un hospice et des logements pour recueillir soit les membres de la Légion que leur vieillesse, leurs infirmités ou leurs blessures auraient mis dans l'impossibilité de servir l'État, soit les militaires qui, après avoir été blessés dans la guerre de la liberté, se trouveraient dans le besoin.

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Art. Ier. Sont membres de la Légion tous les militaires qui ont reçu des armes d'honneur. Pourront y être nommés les militaires qui ont rendu des services majeurs à l'État dans la guerre de la liberté;

Les citoyens qui, par leur savoir, leurs talents, leurs vertus, ont contribué à établir ou défendre les principes de la république, ou fait aimer et respecter la justice ou l'administration publique.

Art. II. Le grand conseil d'administration nommera les membres de la Légion.

Art. III. Durant les dix années de paix qui pourront suivre la première formation, les places qui viendront à vaquer demeureront vacantes jusqu'à concurrence du dixième de la Légion, et, par la suite, jusqu'à concurrence du cinquième. Ces places ne seront remplies qu'à la fin de la première campagne.

Art. IV. En temps de guerre, il ne sera nommé aux places vacantes qu'à la fin de chaque campagne.

Art. V. En temps de guerre, les actions d'éclat feront titre pour tous les grades.

Art. VI. En temps de paix, il faudra avoir vingt-cinq années de service militaire pour pouvoir être nommé membre de la Légion; les années de service, en temps de guerre, compteront double, et chaque campagne de la guerre dernière comptera pour quatre années.

Art. VII. Les grands services rendus à l'État dans les fonctions législatives, la diplomatie, l'administration, la justice ou les sciences, seront aussi des titres d'admission, pourvu que la personne qui les aura rendus ait fait partie de la garde nationale du lieu de son domicile.

Art. VIII. La première organisation faite, nul ne sera admis dans la Légion qu'il n'ait exercé pendant vingt-cinq ans ses fonctions avec la distinction requise.

Art. IX. La première organisation faite, nul ne pourra parvenir à un grade supérieur qu'après avoir passé par le plus simple grade.

Art. X. Les détails de l'organisation seront déterminés par des règlements d'administration publique : elle devra être faite au 1er vendémiaire an XII, et, passé ce temps, il ne pourra être rien changé que par les lois.

pendue à une couronne impériale; elle se portait à gauche, attachée à la boutonnière par un simple ruban rouge moiré (1).

La cérémonie pour l'inauguration de l'ordre de la Légion d'honneur fut une des cérémonies les plus imposantes de l'Empire; elle eut lieu le 14 juillet 1804, jour anniversaire de la fédération, dans l'église de l'Hôtel des Invalides, où reposent aujourd'hui les cendres de l'homme prodigieux qui dirigeait alors les destinées de la France.

Voici comment le Moniteur universel en rend compte:

<< Sa Majesté l'empereur s'est placée sur le trône ayant derrière elle les colonels généraux de la garde, le gouverneur des Invalides et les grands officiers de la couronne. Aux deux côtés et à la seconde marche du trône se sont placés les grands dignitaires, plus bas et à droite les ministres, à gauche les maréchaux d'empire; aux pieds du trône le grand maître et le maître des cérémonies; en face du grand maître le grand chancelier et le grand trésorier de la Légion d'honneur. Les aides-de-camp de l'empereur étaient debout en haie sur les degrés du trône; à droite de l'autel, le cardinal-légat s'est placé sous un dais et sur un fauteuil qui lui avaient été préparés; à gauche de l'autel le cardinal-archevêque de Paris avec son clergé.

<< Derrière l'autel, sur un immense amphithéâtre, étaient rangés sept cents invalides et deux cents jeunes élèves de l'École polytechnique.

<< Toute la nef était occupée par les grands officiers, commandants, officiers et membres de la Légion d'honneur.

« Le grand maître des cérémonies, ayant pris l'ordre de Sa Majesté, a invité M. le cardinal-légat à officier, et S. E. a commencé la célébration de la

messe.

« Après l'évangile, le grand maître des cérémonies, ayant pris de nouveau les ordres de Sa Majesté, a conduit sur les degrés du trône le grand chancelier de la Légion d'honneur.

« Le grand-chancelier a prononcé un discours éloquent sur les souvenirs que rappelait cette grande journée, sur le malheur des troubles politiques et sur la reconnaissance due au héros dont le génie a su conserver les principes qui ont commencé la révolution, et terminer les maux qui l'ont suivie. L'orateur a noblement tracé les devoirs qu'imposait l'institution de la Légion d'honneur à tous ses membres : il a développé avec force les nombreux avantages qui devaient résulter de cette réunion des plus illustres soutiens du gouvernement et de la patrie.

(1) L'institution de la grande décoration de la Légion d'honneur n'eut lieu que le 29 janvier 1805. Le nombre des grands-aigles (nommés depuis grands'-croix) fut fixé à 60.-Alors on régla que les grands-aigles porteraient la décoration suspendue en écharpe de droite à gauche à un large ruban moiré rouge, avec une plaque brodée en argent sur le côté gauche de l'habit et du manteau; que les grands officiers auraient une plaque pareille sur le côté droit de l'habit, mais plus petite, et qu'ils continueraient en outre à porter la simple croix en or à la boutonnière; enfin que les commandants porteraient la décoration en sautoir autour du cou avec un ruban moiré rouge.

« Après ce discours, les grands officiers de la Légion, appelés successivement par le chancelier, se sont approchés du trône et ont prêté individuellement le serment prescrit.

« L'appel des grands officiers fini, l'empereur s'est couvert, et, s'adressant aux commandants, officiers et légionnaires, a prononcé d'une voix forte et animée ces mots :

« Commandants, officiers, légionnaires, citoyens et soldats, vous jurez sur << votre honneur de vous dévouer au service de l'empire et à la conservation « de son territoire dans son intégrité; à la défense de l'empereur, des lois de « la république et des propriétés qu'elles ont consacrées; de combattre par tous << les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise qui « tendrait à rétablir le régime féodal; enfin, vous jurez de concourir de tout « votre pouvoir au maintien de la liberté et de l'égalité, bases premières de nos « constitutions? Vous le jurez! »

<< Tous les membres de la Légion, debout, la main élevée, ont répété à la fois: Je le jure. Les cris de Vive l'empereur! se sont renouvelés de toutes parts.

« Ces derniers mots, prononcés avec l'accent d'une énergie profonde, ont porté dans toutes les âmes une vive émotion dont elles ont longtemps été pénétrées.

« Il est difficile de décrire la sensation que ce moment a produite. Les monuments de la gloire française, suspendus aux voûtes de la nef dans laquelle étaient réunis les plus braves guerriers; ces rangs nombreux de vieux soldats blessés, et ces jeunes gens, offrant par leur réunion la gloire et l'espérance de la patrie, enfin l'appareil religieux des autels, concouraient à exalter puissamment l'imagination, et à faire présager la durée la plus glorieuse à une institution formée sous de tels auspices.

« La messe finie, les décorations de la Légion ont été déposées, aux pieds du trône, dans des bassins d'or.

« M. de Ségur, grand maître des cérémonies, a pris les deux décorations de l'ordre, et les a remises à M. de Talleyrand, grand chambellan. Celui-ci les a présentées à S. A. I. monseigneur le prince Louis, qui les a attachées à l'habit de S. M.

«De nouveaux cris de Vive l'empereur! se sont fait entendre à plusieurs reprises.

« M. le grand chancelier de la Légion a invité MM. les grands officiers à s'approcher du trône, pour recevoir successivement des mains de S. M. la décoration que lui présentait, sur un plat d'or, le grand maître des cérémonies.

<«< Ensuite M. le grand chancelier a appelé d'abord les commandants, puis les officiers, et enfin les légionnaires, qui sont tous venus aux pieds du trône recevoir individuellement la décoration des mains de l'empereur. »

Napoléon, après avoir inauguré d'une manière aussi solennelle aux yeux de la France à Paris le nouvel ordre de chevalerie qu'il venait de fonder, voulut l'inaugurer d'une manière non moins imposante, au camp de Boulogne, aux yeux de l'armée. Il choisit le 15 août, jour anniversaire de sa nais

III.

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sance et de sa fête, pour cette imposante solennité. 80,000 hommes des camps de Boulogne et de Montreuil furent réunis sous les ordres du maréchal Soult pour assister à cette cérémonie splendide. Le lieu choisi pour la fête offrait l'aspect d'un théâtre antique, dont les gradins demi-circulaires étaient figurés par des mouvements de terrains. Vingt colonnes d'infanterie de 60 hommes de front sur une hauteur indéterminée représentaient les spectateurs; les intervalles des colonnes représentaient les vomitoires, et le sommet des collines, couronné par la cavalerie, les loges des théâtres anciens. L'espace conservé vide était destiné à contenir les états-majors généraux et les drapeaux des corps; plus en avant, des légionnaires qui devaient prêter le serment; au centre, s'élevait le trône de l'empereur; à ses côtés étaient placées la garde impériale et sa musique.

Le trône était posé sur un tertre, tel que dans les camps romains on en élevait aux césars lorsque ceux-ci voulaient haranguer les soldats. Ce tertre se terminait en une plateforme carrée entourée d'étendards et de drapeaux surmontés d'aigles d'or. Au centre, élevé sur deux gradins, le siége antique du roi Dagobert était adossé à un trophée d'armes composé de drapeaux, d'étendards et de guidons pris dans les batailles de Montenotte, de Lodi, d'Arcole, de Rivoli, de Castiglione, des Pyramides, du Mont-Thabor, d'Aboukir et de Marengo. Au milieu du trophée était l'armure en pied des électeurs du Hanovre, et le tout était surmonté d'une immense couronne de laurier en or, sur laquelle flottaient les queues peintes en rouge des drapeaux pris aux beys d'Égypte.

Les décorations qui devaient être distribuées aux légionnaires avaient été placées dans le casque de Du Guesclin et dans le bouclier de Bayard, portés par des adjudants généraux et des colonels d'état-major.

Le 15 août, le camp de Boulogne se réveilla au bruit des fanfares de guerre et des roulements de tambours pour assister à cette solennité unique dans nos annales militaires. Le soleil était éclatant et radieux. A midi, toutes les troupes étaient sous les armes et rangées en colonnes, suivant le programme arrêté. L'empereur sortit de sa tente accompagné d'un cortége de généraux. Deux mille tambours battirent au champ, et l'artillerie des forts et de la flotte fit retentir au loin les échos du rivage. Napoléon prit place sur le trône; les grands dignitaires de l'empire étaient placés autour de lui dans un ordre imposant. Des colonels d'état-major vinrent lui apporter les décorations, et les légionnaires se rangèrent en colonnes devant les deux trophées de drapeaux et d'étendards conquis aux ennemis. Napoléon répéta la formule du serment que devaient faire les membres de l'ordre nouveau. Ceux-ci s'écrièrent: Nous le jurons, et une immense acclamation du peuple et de l'armée accompagna ce serment. Puis les légionnaires s'approchèrent successivement du trône et reçurent individuellement la décoration.

Au moment où la cérémonie finissait et où les colonnes s'ébranlaient pour défiler devant l'empereur, on signala tout à coup sur la mer une division de 50 voiles. C'était l'avant-garde de la flottille du Havre, que le capitaine Daugier conduisait dans le port. Heureuse conjoncture, qui semblait faire croire

que l'Océan venait, lui aussi, payer son tribut à l'homme de la destinée. Le soir, un beau feu d'artifice éclaira tout à coup les côtes de la mer et attira l'attention des croisières ennemies et des populations de Douvres. 15,000 hommes en bataille exécutaient des feux de file avec des cartouches à étoile pour honorer celle de la Légion d'honneur qui allait briller désormais sur la poitrine des braves de la grande armée.

Une cérémonie militaire non moins imposante eut lieu au Champ-de-Mars lors de la distribution des drapeaux.

Napoléon, en fondant une dynastie, comme Pépin le Bref, voulut comme lui être sacré par le pape, et, nouvel Étienne III, le pape Pie VII traversa les monts pour venir placer la couronne impériale sur le front de ce plébéien, élu de la France. Étrange destinée de cette nation qui venait de détruire de fond en comble les principes politiques et religieux de ses quatorze siècles de monarchie, et qui, le lendemain d'une révolution qui avait ébranlé l'Europe, ressuscitait, par l'ascendant d'un seul homine, les cérémonies féodales des vieux siècles. Mais, en même temps que le pape sacrait le nouvel empereur dans l'église métropolitaine de Paris, l'empereur, lui, sacrait les drapeaux de son armée au Champ-de-Mars. Tous les corps y étaient représentés par une députation. « Soldats, dit-il, voici vos drapeaux. Ces aigles vous serviront toujours de point de ralliement; elles seront partout où votre empereur les jugera nécessaires pour la défense de son trône et de son peuple; vous jurez de consacrer votre vie pour les défendre et les maintenir par votre courage sur le chemin de la valeur, vous le jurez? Nous le jurons!» répétèrent d'un cri unanime les présidents de collége et les officiers de l'armée; puis les députations de chaque régiment s'avancèrent et reçurent, au milieu des plus vives acclamations, ces drapeaux qui ne devaient rentrer dans la patrie que noircis par la fumée de vingt batailles et mis en lambeaux par les balles ennemies.

Maintenant ouvrons les bulletins de la grande armée, et suivons le vol audacieux de ces aigles qui vont guider nos bataillons dans leur marche à travers les capitales de l'Europe, et froisser sous leurs ailes les étendards russes, anglais et prussiens, les drapeaux de l'étranger. L'Angleterre ne tarda pas à violer le traité d'Amiens en refusant de rendre Malte. Bonaparte répondit à cette violation de la foi jurée par l'occupation de l'électorat de Hanovre. Mortier, avec les 15,000 hommes qu'il commandait en Hollande, reçut l'ordre de s'emparer des états héréditaires du souverain de la Grande-Bretagne. L'expédition de Hanovre fut une promenade militaire. L'armée se mit en marche le 25 mai 1803; le 5 juin, elle occupait l'électorat tout entier. Le 4 juillet suivant, l'armée hanovrienne mettait bas les armes, abandonnant à nos soldat son artillerie, ses bagages et tous ses cheveux. Toutefois Mortier respecta l'honneur de cette armée et consentit à laisser la liberté aux soldats, après avoir exigé d'eux le serment de ne point porter les armes contre la France pendant toute la durée de la guerre. « L'armée hanovrienne étant réduite au désespoir, écrivit Mortier au premier consul, elle implorait votre clémence. J'ai pensé qu'abandonné par son roi, vous voudriez la traiter avec bonté. »

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