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« Soldats! ce succès est dû à votre confiance sans bornes dans votre empereur, à votre patience à supporter les fatigues et les privations de toute espèce, à votre rare intrépidité.

<< Mais nous ne nous arrêterons pas là : vous êtes impatients de commencer une seconde campagne.

« Cette armée russe, que l'or de l'Angleterre a transportée des extrémités de l'univers, nous allons lui faire éprouver le même sort.

« A ce combat est attaché plus spécialement l'honneur de l'infanterie française: c'est là que va se décider, pour la seconde fois, cette question qui l'a déjà été une fois en Suisse et en Hollande si l'infanterie française est la première ou la seconde de l'Europe.

« Il n'y a pas là de généraux contre lesquels je puisse avoir de la gloire à acquérir; tout mon soin sera d'obtenir la victoire avec le moins possible d'effusion de sang. Mes soldats sont mes enfants. »

Cette première campagne terminée, Napoléon fit ses dispositions pour marcher sur Vienne. Aussitôt tous les corps de troupes se mettent en mouvement, à l'exception de ceux d'Augereau et Ney, seuls chargés de détruire les corps restés au Tyrol.

Le 21, Napoléon était à Munich. Le 28 au soir, tout était prêt pour le passage de l'Inn. Bernadotte, soutenu de Marmont, passa à Wasserbourg et se dirigea sur Salzbourg. Le général Kutusow, de son côté, s'avançait à marches forcées. Son armée s'élevait à 50,000 hommes; elle fut bientôt renforcée de 15,000 Autrichiens. C'était bien peu pour s'opposer à la marche de nos divisions victorieuses. Mais il s'approchait du Danube dans l'espérance d'y faire sa jonction avec l'armée du général Mack. Il ignorait encore la prise d'Ulm. En apprenant cet événement, il se hâta de se retirer, mais lentement, pour attendre les réserves qui lui arrivaient par la Bohême et la Moravie, et pour donner à l'archiduc Charles le temps de passer en Autriche. Rien ne pouvait plus sauver Vienne. Napoléon, après avoir franchi l'Inn, se porta sur la Traun, ayant le Danube à gauche et les Alpes à droite, et protégé dans ses manoeuvres par Bernadotte et Marmont à Salzbourg, et par Ney dans le Tyrol. Il avait avec lui les maréchaux Davoust, Murat, Soult et Lannes. Il dirigea Lannes sur Lintz, Davoust et Soult sur Wels. Murat les précédait avec sa cavalerie. La garde suivait avec le quartier général. Marmont reçut l'ordre de rejoindre à Wels. La grande armée marcha ainsi sur Lambach, qui fut pris après de faibles engagements d'avant-garde. Le 5 novembre, Napoléon établit son quartier général à Lintz. De là, il dirigea son corps d'armée sur l'Ens, et fit de nouvelles dispositions pour continuer sa marche offensive, car il avait toujours à craindre sur ses flancs le corps du Tyrol, commandé par l'archiduc Jean, et celui d'Italie, commandé par l'archiduc Charles. Il est vrai qu'en attirant à lui dans sa marche sur Vienne l'archiduc Charles, il attirait aussi Masséna qui le suivait; mais le prince Charles pouvait se dérober à Masséna, pénétrer en Bavière et se réunir aux Austro-Russes. Il redoubla de précaution. Il envoya le corps de Marmont à

Léoben, afin d'y donner au besoin la main à Masséna. Davoust occupa SaintPolten. Bernadotte fut rappelé de Salzbourg, et Mortier, avec deux divisions, manœuvra sur la rive gauche du Danube, que Napoléon avait négligée jusqu'alors. En même temps il créa une flottille chargée de vivres et de munitions et qui liait les deux armées.

C'est ainsi que le conquérant le plus audacieux avançait avec précaution sur Vienne. A Amstetten, les Russes, qui se retiraient à mesure que les Français avançaient, livrèrent un combat d'arrière-garde pour sauver leurs bagages. Quelques régiments de dragons et les grenadiers d'Oudinot les culbutèrent après une rude mêlée. A Saint-Polten, l'armée russe tout entière s'était rangée en ordre de bataille; mais elle se retira bientôt, et, traversant le Danube à Krems, ils laissèrent libre la route de Vienne. Murat, impatient d'y entrer le premier, partit au galop de sa cavalerie et ne s'arrêta qu'à deux lieues de Vienne. Cependant le passage de l'armée russe sur la rive gauche avait compromis le corps de Mortier. Kutusow, s'étant aperçu de l'existence de ce corps isolé, résolut de l'accabler.

Mortier, entraîné par le mouvement imprudent de Murat, avait laissé l'intervalle d'une marche entre la division Gazan, qu'il avait avec lui, et les divisions Dupont et Dumonceau qui devaient le rejoindre. Pour comble de fatalité, la flottille était restée en arrière.

Le 11 novembre, Mortier venait de franchir Dirnstein, lorsqu'il rencontra l'avant-garde russe. Croyant n'avoir affaire qu'à un faible rideau qui masquait la retraite de Kutusow, il prend l'offensive sans attendre l'arrivée de Dupont, pousse l'ennemi jusqu'aux portes de Stein, et lui fait des prisonniers. Ce succès faillit causer la ruine de sa division; car, tandis qu'il s'éloignait de plus en plus de ses communications, une colonne de 10,000 Russes, descendant des hauteurs de Dirnstein, lui fermait le défilé, et Kutusow venait d'envoyer de nouvelles réserves au corps que Mortier avait devant lui. Dans cette position, il n'y avait pour le maréchal d'autre alternative que de s'ouvrir un passage à la baïonnette ou de mourir. Mortier n'hésite pas. Il fond à la baïonnette sur les Russes, mais ceux-ci sont inébranlables. Le carnage est affreux. La division française, à moitié détruite, n'a plus de munitions, et déjà la nuit couvre de ses ombres cet affreux champ de bataille. Heureusement Dupont arrive à son secours, et se précipite si résolument sur les ennemis qu'il les culbute. En voyant leurs libérateurs, les grenadiers de la division Gazan se jettent dans les bras des soldats de la division Dupont, en leur disant : Braves camarades! nous vous devons la vie! Cette scène se passait au pied de la tour où Richard Coeur-de-Lion fut retenu prisonnier.

En ce moment la flottille ayant rejoint, Mortier passa sur la rive droite avec son corps d'armée. Napoléon s'avançait vers Vienne. Cette capitale n'avait jamais été prise par une armée européenne. Les Turcs seuls s'étaient approchés de son enceinte, mais, grâce à Sobieski, ils ne l'avaient pas franchie. Napoléon devait, le premier, faire tomber ce prestige d'inviolabilité. Bâtie dans le superbe bassin du Danube, Vienne est une des plus grandes villes de l'Europe. C'est,

après Constantinople et Naples, une des plus heureusement placées. Elle contenait alors 100,000 habitants, mais elle était mal fortifiée.

L'empereur François en quittant sa capitale avait recommandé qu'on ne fit aucune résistance au vainqueur. En conséquence, le 13 novembre, la capitulation fut signée, et le général Sébastiani entra le premier dans la ville, puis Murat, puis Lannes. Murat avait reçu l'ordre de s'emparer des ponts du Danube et de traverser la ville au galop. L'empereur y arriva la même soirée, mais sans faste et sans appareil. Il établit son quartier-général à Schoenbrun, que les filles de l'empereur venaient d'évacuer la veille.

Murat, après avoir traversé la ville, se porta sur le grand pont du Danube. Les Autrichiens n'avaient pas osé défendre Vienne, mais ils avaient résolu de nous arrêter au passage du fleuve, et en effet, ils avaient pris position sur la rive gauche, et leur artillerie était disposée de manière à pouvoir enfiler le pont et à le croiser par le feu de plusieurs batteries. En outre, chacune des arches de ce pont était minée, et pour rendre la destruction parfaite, de dix pas en dix pas étaient disposés des barils de poudre. Pendant quelques pourparlers entre Murat, Lannes, le général Bertrand et les parlementaires autrichiens, les grenadiers et les carabiniers effectuaient le passage du pont, conduits par Oudinot, qui, selon son habitude, marchait à leur tête avec son état-major. Toutà-coup le mot feu retentit dans les rangs autrichiens. Aussitôt, et par une inspiration subite, Oudinot s'élance avec son état-major, arrache la mèche du mineur, fait battre la charge, s'empare des batteries, et, à la tête des grenadiers réunis et des carabiniers qui ont traversé le pont au pas de course et sans qu'un seul coup de canon ait été tiré, s'empare du village de Spitzen, dans lequel il trouve un parc d'artillerie de 180 pièces de canon et de 300 caissons.

La joie de Napoléon fut grande en apprenant ce succès. Il fit aussitôt avancer les corps de Murat, de Lannes et de Soult à la poursuite de Kutusow. Le général Clarke fut nommé gouverneur de Vienne. Napoléon y resta peu de temps; il voulait terminer la guerre; il savait que les réserves russes étaient arrivées dans la Moravie, et il avait hâte de les détruire. Les événements se succédaient avec un bonheur incroyable. Ney avait fait la conquête du Tyrol et chassé l'archiduc Jean en Hongrie, et Masséna avait poursuivi et constamment tenu en haleine l'archiduc Charles, et l'avait forcé également à se jeter en Hongrie. En ce moment, il donnait la main à Marmont, placé à Léoben. Les deux archiducs se trouvaient ainsi éloignés de cent cinquante lieues de l'armée russe. Napoléon avait deux fois le temps de la battre avant leur arrivée. En conséquence, il rapprocha Masséna du général Marmont sur la route d'Italie à Vienne; Davoust fut placé autour de la capitale; Bernadotte reçut l'ordre de passer le Danube à Krems et de suivre Kutusow, en se liant avec Marmont; enfin, les maréchaux Lannes, Murat et Soult se dirigèrent vers la Moravie. Napoléon espérait ainsi couper la retraite au général russe; mais celui-ci parvint à s'échapper à Hollabrün en faisant proposer un armistice à Murat. L'empereur,

furieux en apprenant ces événements, fit de graves reproches à Murat, Napoléon se rendit à Brünn, capitale de la Moravie; il y arriva le 20 novembre. Les empereurs de Russie et d'Autriche s'étaient réunis à Olmutz, et avaient résolu d'aller attaquer Napoléon à Brünn.

Le 29 novembre, Napoléon fait sa jonction avec l'armée d'Italie, et, le 1er décembre, il est en face de l'armée alliée, qui se développe dans les plaines d'Austerlitz. Cette armée comptait 95,000 hommes à peu près; elle s'avançait avec une confiance extrême; c'était au point que Napoléon, ayant fait demander à Alexandre une entrevue, celui-ci, au lieu de se rendre à ses désirs, s'était contenté de lui envoyer son aide-de-camp, le jeune prince Dolgorouki. Ce jeune homme avait trouvé Napoléon au rendez-vous, et, après l'avoir traité en officier de fortune avec lequel il voulait bien se commettre, mais jusques auquel un Romanoff ne pouvait descendre, avait fini par proposer au vainqueur d'Ulm de déposer la couronne de fer, de rendre la Belgique et d'évacuer à l'instant même l'Autriche et la Bavière. Le ton modéré de Napoléon n'avait fait que confirmer les envoyés de l'empereur de Russie dans la pensée que la position des Français était on ne peut plus critique, et que cette armée tout entière allait être prise. On assure que quelques vieux généraux autrichiens, qui avaient fait plusieurs campagnes contre le général Bonaparte, prévinrent le conseil que ce n'était pas avec cette confiance qu'il fallait marcher contre une armée qui comptait tant de vieux soldats et d'officiers du premier mérite. Ils disaient qu'ils avaient vu ce général, réduit à une poignée d'hommes, ressaisir la victoire par des opérations rapides et imprévues et détruire les armées les plus nombreuses; que cependant ici on n'avait obtenu aucun avantage, qu'au contraire toutes les affaires d'arrière-garde de la première armée russe avaient été en faveur des Français. Mais à cela les officiers russes opposaient la bravoure de leurs 80,000 soldats, l'enthousiasme que leur inspirait la présence de leur empereur, et, ce qu'ils n'osaient probablement pas dire, leur talent, dont ils étaient étonnés que les Autrichiens voulussent bien méconnaître la puis

sance.

Dès la veille, Napoléon avait deviné les projets des ennemis et reconnu la faute qu'ils avaient faite en concentrant toutes leurs forces dans le village d'Austerlitz. Leur projet était évidemment de tourner la gauche des Français. Vers le milieu du jour, il monta à cheval avec les maréchaux Soult, Bernadotte et Bessières, et, parcourant les rangs de l'infanterie et de la cavalerie de la garde, qui étaient sous les armes dans la plaine de Schlanpach, il s'avança jusque sur la ligne des tirailleurs de la cavalerie de Murat, qui échangeaient quelques coups de carabine avec les tirailleurs de l'ennemi. De là il avait observé, au milieu des balles, les mouvements des diverses colonnes, et, par une de ces révélations subites qui étaient une des facultés de son génie, il avait deviné le plan entier de Kutusoff. Dès ce moment, l'armée russe fut battue dans sa pensée, et, en rentrant dans sa tente dressée sur un plateau qui dominait la plaine, il dit, en jetant un dernier regard sur l'armée ennemie : « Avant de

main soir, toute cette armée sera à moi. » En effet, du haut de son bivouac, il apercevait avec une joie indicible l'armée russe commençant, à deux portées de canon de nos avant-postes, un mouvement de flanc pour tourner sa droite, lui enlever la route de Vienne, et, se plaçant entre lui et les étangs, le forcer à déposer les armes. C'était le comble de la présomption ou plutôt de l'ignorance de l'art de la guerre. Vers les cinq heures de l'après-midi, la proclamation suivante fut mise à l'ordre de l'armée :

<< Soldats, l'armée russe se présente devant vous pour venger l'armée autrichienne d'Ulm: ce sont les mêmes bataillons que vous avez battus à Hollabrün, et que, depuis, vous avez poursuivis jusqu'ici; les positions que nous occupons sont formidables, et pendant qu'ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc.

« Soldats, je dirigerai moi-même vos bataillons. Je me tiendrai loin du feu si, avec votre bravoure accoutumée, vous portez le désordre et la confusion dans les rangs ennemis; mais si la victoire était un moment indécise, vous verriez votre empereur s'exposer aux premiers coups, car la victoire ne saurait hésiter dans cette journée, surtout où il y va de l'honneur de l'infanterie française, qui importe tant à l'honneur de toute la nation.

« Que, sous prétexte d'emmener les blessés, on ne dégarnisse pas les rangs, et que chacun soit bien pénétré de cette pensée qu'il faut vaincre les stipendiés de l'Angleterre, qui sont animés d'une si grande haine contre notre nation.

« Cette victoire finira notre campagne, et nous pourrons reprendre nos quartiers d'hiver, où nous serons rejoints par les armées qui se forment en France, et alors la paix qui se fera sera digne de mon peuple, de vous et de moi. »

Les ennemis étaient animés d'un sentiment bien différent; ils se présentaient devant nos grand'gardes à portée de pistolet et défilaient par une marche de flanc sur une ligne de quatre lieues, en prolongeant l'armée française, qui paraissait ne pas oser sortir de ses positions. Ils n'avaient qu'une crainte, c'était que l'armée française ne leur échappât. On fit tout pour les confirmer dans cette idée. Le prince Murat faisait avancer de petits corps de cavalerie dans la plaine, puis il les rappelait précipitamment, comme s'il eût été étonné des forces immenses de l'ennemi.

Le soir, Napoléon voulut visiter, à pied et incognito, tous les bivouacs. La nuit était froide et sombre; mais il avait à peine fait quelques pas, qu'il fut reconnu. Les soldats se levèrent spontanément, et, pleins d'enthousiasme, ils firent entendre le cri mille fois répété de: Vive l'empereur! Un des grenadiers de l'armée, voulant éclairer ses pas, ramassa la paille de son bivouac et en forma une torche enflammée qu'il mit au bout de son fusil. Ses camarades imitèrent son exemple, et, en quelques minutes, on vit briller sur le vaste front d'une armée de 80,000 hommes cette singulière illumination. Napoléon traversa les lignes françaises à la lueur des fanaux et recueillit l'expression de confiance et de joie de son armée. Les uns lui promettaient la victoire pour

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