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soir vint mettre un terme aux hostilités; elles reprenaient le lendemain, lorsqu'on apprit de part et d'autre l'armistice conclu le 3 juillet.

Le ministre des affaires étrangères, le baron Bignon (1), le lieutenant général Guilleminot, chef d'état-major de l'armée, et le préfet de la Seine, le comte de Bondy, furent chargés des pleins pouvoirs du maréchal Davoust pour conclure l'armistice avec les deux généraux en chef des armées anglaise et prussienne. Cet armistice portait en substance que notre armée évacuerait la capitale sous trois jours, et que dans huit elle serait au delà de la Loire. Tout le matériel et l'artillerie nous étaient conservés. Les diverses localités de SaintDenis, Saint-Ouen, Neuilly et Clichy, devaient être remises le 4 à midi, le 5 Montmartre, et le 6 les barrières...

Un accord spécial fut conclu pour la protection des personnes et des propriétés; en cas de rupture, l'armistice devait être dénoncé dix jours à l'avance. Cette convention était commune à toutes les armées alliées, et, en cas de difficulté dans la mise en application, les interprétations devaient se faire en faveur de Paris et de l'armée. Le 8 juillet, Louis XVIII revint à Paris.

Mais il convient qu'avant d'accompagner les derniers pas que fit sur le sol français l'illustre chef de l'armée, vaincu par la coalition européenne, nous jetions un coup d'œil sur quelques-unes des opérations de nos soldats sur le Rhin, dans les Vosges, les Alpes et le Dauphiné. Ces combats, ces résistances furent les derniers efforts d'une armée qui allait disparaître... ou dont les débris devaient tout au moins se transformer dans l'organisation nouvelle que la restauration allait prendre soin de donner à l'état militaire pour dévoyer ses traditions, atténuer ses souvenirs. Ce fut surtout sur nos frontières de l'est et dans les départements voisins que l'esprit national se révéla avec le plus d'élan patriotique. Le général Molitor, mettant habilement à profit ces heureuses tendances, dans le mandat qu'il avait reçu d'organiser le système défensif des départements du Haut et du Bas-Rhin, y avait fait exécuter d'importants travaux. Le général Rapp, à la tête du 5o corps de la grande armée, occupa avec 13,000 hommes d'infanterie et 2,000 hommes de cavalerie toute la ligne de la Lauter. L'ennemi campait à Germesheim. Rapp se disposait à l'y attaquer, lorsqu'il apprit le désastre de Waterloo. Il changea immédiatement ses dispositions, et, se retirant derrière la Lauter, il partagea les troupes dont il disposait entre les diverses places comprises dans l'étendue de son commandement. Mais ces dispositions nouvelles ne s'effectuèrent pas sans combats partiels. Nos avant-postes, attaqués, le 24 juin, sur la Lauter par une colonne de cavalerie wurtembourgeoise, repoussèrent vigoureusement l'ennemi; dans le même temps, un des commandants des divisions de Rapp, le général Rottembourg, chargé de surveiller les bords du Rhin, fut aussi attaqué à Selz par les Autrichiens, qui furent également mis en fuite; mais, au milieu de ces enga

(1) Auteur d'une excellente Histoire de France sous Napoléon, ouvrage qui n'a malheureusement pas été terminé. L'Empereur légua au baron Bignon une somme, qu'il n'a probablement jamais touchée, pour l'indemniser du temps qu'il passerait à écrire cette histoire.

gements épisodiques, Molitor, ayant appris la marche d'une nouvelle armée alliée sur Strasbourg, fit continuer notre mouvement rétrograde pour protéger cette dernière place. L'abdication de Napoléon parvint à l'armée durant cette retraite; un tel événement y jeta d'abord quelque hésitation, bientôt calmée à la voix des chefs. Le 28 juillet, l'armée dut se conformer à l'armistice.

Dans les Vosges, le général Lecourbe, à la tête d'un corps d'observation d'environ 11,000 hommes, auxquels s'étaient joints 4,500 gardes nationaux d'élite, et qui disposait d'un parc de 30 bouches à feu, défendait les défilés du Jura et des Vosges contre l'approche des alliés débouchant par la Suisse, et commandés par le général Colloredo. Ce dernier, ayant conçu l'espoir de couper la ligne française, nous attaqua à la tête de ses Autrichiens, les 26 et 27 juin. Il réussit à s'établir, malgré les efforts du général Abbé, en avant de Besoncourt; mais, sur un autre point, le général Meuzian avait chassé l'ennemi des postes de Courtelevant, Faverois et Rechelz. Vers le même temps, le général Bertrand, vigoureusement attaqué dans le poste retranché de Boulogne, alla prendre position à Montbéliard, où il retrouva la colonne du général Meuzian.

L'ennemi s'efforçait de rompre notre ligne de défense, et, dans ce but, faisait des irruptions en masses sur les points qui lui semblaient les plus faiblement gardés. Une de ces tentatives, la plus menaçante par le nombre, fut repoussée au pont de Sevenans, sur le Doubs, par le général Rambourg, qui culbuta les Autrichiens imprudents.

Pourtant l'ennemi faisait des progrès sur quelques points. Maître de Montbéliard, il serrait de près Béfort; le général Lecourbe accourut pour protéger cette ville. Il était parvenu à la ravitailler, lorsqu'il apprit la rentrée du roi dans Paris. Il fallut déposer les armes.

Quelques jours auparavant, une suspension d'hostilités avait été conclue devant Genève, entre notre armée des Alpes, que commandait le maréchal Suchet, et le général autrichien Frimont. Cet armistice, qui devait durer jusqu'au 2 juillet, fut rompu, trois jours auparavant, par un mouvement de l'ennemi. Des engagements eurent lieu, qui amenèrent les Piémontais jusque sous les murs de Grenoble. Le commandant de cette place, qui n'avait pour toute défense que 200 conscrits, essaya de se défendre avec l'aide des gardes nationaux. Sa résistance énergique amena une trêve. Le même jour, la division Dessaix repoussait les assaillants au lac de Syllant et à Ayonax.

Mais, on le conçoit, ces combats, ces efforts perdaient de leur impulsion par suite des incertitudes sur la politique. Chaque jour, les nouvelles les plus alarmantes arrivaient de l'intérieur et décourageaient nos soldats. Ce fut ainsi que le fort de l'Écluse, tombé au pouvoir de l'ennemi, lui livra un passage pour pénétrer sur notre sol. Le maréchal Suchet, maîtrisé par les grands événements qui s'accomplissaient autour de Napoléon, se vit contraint à faire une convention avec le général autrichien. Bientôt le retour de Louis XVIII

obligea l'armée à abdiquer la cocarde d'Austerlitz, et, sur ce point encore, nous dûmes mettre bas les armes pour laisser passer les alliés, allant occuper Lyon et le département de l'Isère.

Un épisode notable de cette défense paralysée de nos frontières fut l'affaire d'Huningue, place comprise dans le commandement du général Rapp, et que gouvernait le général Barbanègre. D'après un plan de défense arrêté par Napoléon lui-même, cette place devait contenir une garnison de gardes nationaux d'élite. Ils étaient en chemin pour s'y rendre, lorsque la nouvelle de la triste journée de Waterloo les débanda en partie; 15 à 1,800 hommes seulement poursuivirent leur route jusqu'à Huningue, où le brave général, malgré les désastres de nos armes dans le Nord et l'abdication connue de l'Empereur, était décidé à se défendre jusqu'à la mort.

Les alliés arrivèrent; Barbanègre laissa sans réponse les sommations de l'archiduc Jean. Celui-ci, pour intimider le gouverneur, lui fit savoir que, Douai, Lille, Strasbourg ayant ouvert leurs portes, sa persistance lui attirerait les traitements les plus sévères. Le général Barbanègre ne tint compte d'aucune menace. Alors l'ennemi ouvrit la tranchée, et, pendant sept jours, 176 bouches à feu de fort calibre lancèrent la destruction et la mort sur la ville obstinée. Les dégâts furent considérables; mais les édifices croulants, l'incendie allumé sur divers points, rien ne put modérer l'ardeur des soldats et des habitants. L'ennemi, surpris d'une telle défense, recourut aux plus grands moyens de guerre pour y mettre fin de nouvelles batteries firent pleuvoir sur la ville des obus et des bombes, qui achevèrent la ruine des habitations et déterminèrent de si grands incendies, que les assiégés se virent impuissants à les éteindre. Les munitions étaient épuisées... Barbanègre comprit qu'il pouvait très-glorieusement abandonner à l'ennemi ce monceau de cendres et de ruines en flammes. Le général ennemi, frappé d'admiration devant tant d'héroïsme, laissa ces braves se retirer librement; l'héroïque général Barbanègre alla rejoindre les débris de nos armées, déjà retirés derrière la Loire.

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Une singulière insurrection signala à Strasbourg le licenciement de l'armée du Rhin. Le 2 septembre, une cinquantaine d'officiers inférieurs, appartenant à différents corps, se réunirent dans un accord, duquel il résultait qu'ils ne se sépareraient qu'aux conditions suivantes, savoir : qu'ils seraient entièrement soldés, ainsi que leurs sous-officiers (au nombre de 500) et leurs soldats, de tout ce qui restait leur être dû, et que les compagnies emporteraient armes, bagages et munitions. Rapp repoussa un aussi étrange ultimatum. Alors, un sergent du 7° régiment d'infanterie légère, homme rempli d'audace, nommé Dalouzy, accepta la responsabilité de chef de l'insurrection : « Qu'on me promette de m'obéir, dit-il, et nous serons payés dans les vingt-quatre heures! »

Aussitôt il établit sur la grande place de Strasbourg une sorte de quartier général, et créa pour les vivres et pour les finances deux commissions en

permanence. Il décréta en même temps la peine de mort contre tout soldat qui entrerait dans un débit de boissons, ou qui commettrait le plus léger acte de pillage. Les excès ainsi prévus, Dalouzy se fit amener le receveur général du Bas-Rhin, ainsi que l'inspecteur aux revues de l'armée. Quand il eut formé les sommes nécessaires pour équilibrer la solde courante, il convoqua le conseil municipal afin de l'engager à faire au plus vite les fonds nécessaires au règlement de l'arriéré. Le général Rapp avait été arrêté. Dalouzy se rendit auprès de lui pour lui exposer ses moyens fiscaux : Rapp repoussa tout accord; mais le conseil municipal intimidé engagea les habitants à fournir les sommes exigées. La répartition put enfin avoir lieu au milieu d'une discipline incroyable établie par ce hardi personnage. L'ordre qu'il avait, comme chef temporaire de l'armée, imposé à tous les soldats, était tel qu'un corps ennemi qui campait sous les murs de la ville n'osa point mettre à profit cette crise bizarre pour attaquer Strasbourg. Le sergent Dalouzy quitta le commandement qu'il s'était si audacieusement arrogé par une proclamation à l'armée, proclamation qui lui valut peut-être une partie de l'indulgence que les agitations du moment firent apporter à cet acte de rébellion inouïe.

Le maréchal Macdonald venait d'être chargé par Louis XVIII du soin de licencier l'armée; c'était au commencement de septembre. Ce grave événement s'accomplit au milieu de la tristesse et du découragement de nos glorieux débris. Peu de temps après, le duc de Richelieu, président du conseil des ministres du roi, signa le mémorable traité (20 novembre) par lequel la France cédait perpétuellement aux alliés les places de Landau, Sarre-Louis, Philippeville, Marienbourg et Versoix. Nous rendîmes la Savoie au Piémont, et aux Pays-Bas le territoire sauvé du premier traité de Paris. Nous dûmes raser les fortifications d'Huningue, et souffrir pendant cinq ans les alliés dans nos places de Condé, Valenciennes, Bouchain, Cambrai, Le Quesnoi, Landrecies, Avesnes, Maubeuge, Givet avec Charlemont, Rocroi, Sédan, Mézières, Montmédy, Thionville, Longwy, Bitche et la tête de pont du fort Louis. 150,000 hommes occupèrent ainsi notre pays.

En 1792, la France avait, comme aujourd'hui, quatre-vingt-six départements. Les conquêtes de la république lui donnèrent, en deux ans, le Rhin et les Alpes pour frontières. De 1794 à 1800, le nombre des départements fut porté à cent cinq. Les traités que nous venons d'analyser nous réduisirent à nos anciennes limites de 1790; de plus, on nous enleva Marienbourg, Philippeville et Landau, que nous possédions.... ́

Une seule bataille perdue dans des circonstances extrêmes, solennelles, nous enleva le fruit de vingt années de victoires immortelles, d'efforts héroïques, de sacrifices incommensurables: 1815 nous laissait une France plus petite qu'en 1790.

Et quatre millions et demi d'hommes (que de nations ne s'élèvent pas à ce

chiffre par leurs populations!) sont tombés sur tous les champs de bataille de l'Europe pour réduire la France à cet état (1)!

Et ajoutons à ces mers de sang versé la somme de 700 millions de francs, pour indemnité de guerre, payée par la France aux puissances alliées, et qui était exigible jour par jour, par portions égales, dans le courant de cinq années, au moyen de bons au porteur sur le trésor royal; plus, 490 millions pour l'entretien de la garnison étrangère; plus, enfin, une multitude d'indemnités diverses, le tout s'élevant à près de deux milliards....

Revenons à l'Empereur.

Retiré d'abord à la Malmaison, le 25 juin il en data, pour l'armée, une proclamation ainsi conçue :

<< Soldats! je cède à la nécessité qui me force à m'éloigner de la brave armée française; j'emporte avec moi l'heureuse certitude qu'elle justifiera, par les

(1) Voici le produit net des vingt années de guerre représentées par les périodes républicaine et impériale :

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Napoléon, pour sa part, a prélevé par la conscription 2,476,000 hommes. Les appelés qui partaient n'étaient jamais libérés du service. M. Daru, dans son rapport au corps législatif sur la conscription, en fait l'aveu. (Moniteur du 30 floréal an X.)

L'Espagne fut le tombeau de la plupart de nos vieux soldats; ce qui en restait périt presque entièrement dans les neiges de la Russie.

L'armée de 1813 était composé de recrues de 18 à 20 ans.

Les maladies, les fatigues, la misère les décimèrent.

Des 1,260,000 hommes qui furent levés en 1813, il ne restait en 1814, pour défendre le so de la France, qu'une centaine de mille hommes en sus de la garde.

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