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services éminents que la patrie attend d'elle, les éloges que nos ennemis euxmêmes ne peuvent pas lui refuser.

<< Soldats! je suivrai vos pas quoique absent. Je connais tous les corps, et aucun d'eux ne remportera un avantage signalé sur l'ennemi que je ne rende hommage au courage qu'il aura déployé. Vous et moi, nous avons été calomniés. Des hommes indignes d'apprécier vos travaux ont vu, dans les marques d'attachement que vous m'avez données, un zèle dont j'étais le seul objet; que vos succès futurs leur apprennent que c'était la patrie par-dessus tout que vous serviez en m'obéissant, et que, si j'ai quelque part dans votre affection, je la dois à mon ardent amour pour la France, notre mère commune!

<< Soldats! encore quelques efforts, et la coalition est dissoute; Napoléon vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter.

« Sauvez l'honneur, l'indépendance des Français; soyez jusqu'à la fin tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles. »

Éloquent adieu! sublimes paroles de noble résignation et de touchant amour pour cette patrie ingrate qui deux fois l'avait abandonné!

Mais les souverains alliés trouvaient qu'à la Malmaison Napoléon était trop près de Paris. Il ne pouvait lui être permis de vivre, comme il le désirait, en simple particulier; Fouché, qui redoutait quelque nouvelle résolution de cet ardent génie, le faisait garder à vue par le général Becker, sous le vain prétexte de veiller à sa sûreté personnelle. Le 27 juin, en apprenant qu'une manœuvre imprudente des alliés, encore en marche sur Paris, pouvait permettre de les battre complétement, il écrivit au gouvernement provisoire pour offrir de nouveau son épée de soldat. Voici son message:

<< En abdiquant le pouvoir, je n'ai pas renoncé au plus noble droit du citoyen, au droit de défendre mon pays.

« L'approche des ennemis de la capitale ne laisse plus de doutes sur leurs intentions, sur leur mauvaise foi.

« Dans ces graves circonstances, j'offre mes services comme général, me regardant comme le premier soldat de la patrie. >>

Le gouvernement provisoire était formé de Fouché, Carnot, Grenier, Quinette et Caulaincourt. Ceux qui avaient exigé l'abdication de l'Empereur pouvaient-ils lui rendre l'autorité d'un chef d'armée?, Accepter un tel auxiliaire, c'était reprendre un maître. L'offre fut repoussée. Napoléon s'en indigna. Il parla de tenter un autre 18 brumaire..... Mais les circonstances n'étaient plus les mêmes qu'en l'an vIII; le duc de Bassano le lui fit bientôt comprendre. Napoléon, calmé, quitta la Malmaison pour se rendre à Rochefort: son intention était alors d'y prendre passage pour les États-Unis d'Amérique.

Fouché, dont Napoléon devint, pour ainsi dire, le prisonnier avant de l'être des Anglais, avait ordonné qu'un corps de cavalerie, placé sous le commandement du général Becker, accompagnât l'Empereur à Rochefort. Cette force militaire était bien moins la garde d'honneur d'un souverain que l'escorte d'un

III.

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captif. Le ministre de la guerre avait écrit à Becker en ces termes : « L'intention de la commission du gouvernement est que la surveillance nécessaire soit exercée pour empêcher l'évasion de sa majesté. »

Que de réflexions douloureuses ferait naître le rapprochement singulier de ces deux mots : évasion et sa majesté! ne serait-ce pas là une dérision cruelle, si ce n'eût été sans doute une inadvertance du prince d'Eckmülh, ou plutôt si, comme l'affirme M. de Las Cases, le loyal Davoust ne se fut refusé à signer cette lettre!

Becker ne devait, selon les instructions du gouvernement provisoire, s'en séparer que sur le navire à la voile pour quitter la France. Becker accomplit cette fâcheuse mission avec loyauté et délicatesse; il sut concilier à la fois de périlleux devoirs et le respect dû à une aussi éclatante infortune.

Napoléon quitta la Malmaison le 29 juin. Le 3 juillet, il arrivait à Rochefort, où son frère Joseph vint le rejoindre. L'accueil que la population fit au héros malheureux fut de nature à adoucir les blessures de son âme. Pourtant, là aussi, il se trouva, comme partout, des ingrats naguère comblés de ses bienfaits. On fut surtout, à bon droit, étonné de cette mission occulte, et, par bonheur, trop tardive, qu'avait acceptée un ancien officier du bataillon des marins de sa garde (1)... Mais jetons sur les lâchetés d'une époque encore trop près de nous pour ajouter des noms à la nomenclature des traîtres, un voile que peu à peu saura déchirer l'inexorable histoire!

Un autre sujet d'étonnement dut être le choix du port de Rochefort pour l'embarquement, sans considérer que c'est celui de tous nos ports militaires dont le blocus est le plus facile, et que Napoléon ne pouvait y parvenir qu'à travers la Vendée, redevenue le théâtre des guerres civiles, et où le fanatisme aveugle pouvait faire craindre pour lui le renouvellement de la scène d'Orgon, petite ville de Provence, où, se rendant de Fontainebleau à l'île d'Elbe, on se souvient qu'il faillit être assassiné. En dirigeant l'Empereur sur Brest, tous les dangers de la route disparaissent; ce port, qui ne peut jamais être complétement bloqué, et d'où l'on sort quand on veut, ne manquait pas de frégates prêtes à prendre la mer, et un grand nombre d'officiers de marine, endossant la veste du matelot, eussent revendiqué l'honneur d'escorter et de défendre leur chef malheureux. Le choix fait de Rochefort reste donc une énigme du long et désastreux ministère de Decrès. Le 8, il s'embarqua avec l'intention de se rendre aux États-Unis. L'Empereur monta en canot, accompagné de Ber

(1) Quelle pouvait être cette mission qu'il était trop tard pour remplir après que Napoléon eut quitté la rade de l'île d'Aix? S'agissait-il de le livrer à la vengeance du parti légitimiste? Voulait-on en faire un holocauste, et lui réservait-on le sort que subirent bientôt après Ney et Labédoyère? On conçoit le secret gardé à ce sujet par la Restauration; mais on pouvait penser qu'après des révolutions nouvelles, ce fait eût pu cesser d'être un mystère, par égard pour l'honneur de quelques hommes encore vivants, et pour la mémoire de ceux qui sont morts. Tel est le malheur des temps de révolution, où les citoyens se rangent sous des bannières différentes, qu'il est impossible de blanchir les uns sans salir les autres... Laissons donc ce pénible devoir à la postérité !

trand, Rovigo, Gourgaud et Becker, pour aller en rade de l'île d'Aix. Sa suite prit place dans les autres embarcations préparées par les soins du préfet maritime; il fut accompagné par les cris de dévouement et de regret dont la population saluait une dernière fois sa grande infortune. Les frégates la Saale, sous les ordres du commandant Philibert, et la Méduse, capitaine Ponée, mouillées en rade, attendaient l'arrivée de l'Empereur. Tout le respect et les sympathies que la présence de Napoléon éveillait dans l'âme des soldats, semblaient alors être passés dans le cœur des marins, dont l'attitude, à son approche, était celle d'une affliction profonde. Napoléon monta sur la Saale. Dès ce moment, on peut dire qu'il était prisonnier. Voici son écrou, rédigé par le duc d'Otrante, et transmis, en suivant la cascade hiérarchique, de Decrès au préfet maritime de Rochefort, et de ce dernier au capitaine Philibert, de la Saale, officier qu'une mort prématurée vint enlever aux faveurs dont il commençait à être l'objet sous la restauration.

« LE DUC D'OTRANTE AU MINISTRE DE LA MARINE.

« Paris, 25 juin 1815. Midi.

« Il faut faire exécuter l'arrêté tel que la commission l'avait prescrit hier, et d'après lequel Napoléon Bonaparte restera en rade de l'île d'Aix jusqu'à l'arrivée des passe-ports. Il importe au bien de l'État, qui ne saurait lui être indifférent, qu'il y reste jusqu'à ce que son sort et celui de sa famille aient été réglés d'une manière définitive. Tous les moyens seront employés pour que la négociation tourne à sa satisfaction; mais, en attendant, on doit prendre toutes les précautions possibles pour la sûreté personnelle de Napoléon, et pour qu'il ne quitte point le séjour qui lui est momentanément assigné. »

L'arrêté sur lequel s'appuyait Fouché portait :

« ARTICLE 5. — Les frégates ne quitteront pas la rade de Rochefort avant que les sauf-conduits demandés soient arrivés. »

On s'est cru fondé à faire un reproche à Napoléon de ne s'être pas hâté de prendre la mer dès son arrivée à Rochefort, alors que les Anglais ignoraient encore sa détermination, son départ de Paris et la route qu'il avait prise en quittant la capitale, et que, par conséquent, on pouvait espérer de mettre plus aisément en défaut leur surveillance. Son retard de cinq jours avant de s'embarquer ne se concevait pas à cette époque, et ne s'expliquerait aujourd'hui même qu'en supposant qu'il possédait une connaissance exacte des ordres du gouvernement provisoire; et cette supposition, que bien peu songèrent à faire, paraît aujourd'hui toute naturelle. Qu'importait, dans ce cas, que des chances heureuses pour son départ vinssent à se présenter (et il s'en présenta), puisqu'il était matériellement impossible d'en profiter? En vain une brise favorable et la dispersion des croiseurs anglais eussent concouru à favoriser son passage, le capitaine Philibert eût opposé l'arrêté de la commission et la teneur précise des ordres qu'il avait reçus en conséquence. Il y a néan

moins lieu de croire qu'après le refus des sauf-conduits demandés au gouvernement anglais, ces ordres, désormais sans motif apparent, et qui, s'ils se rattachaient à quelque machination secrète, devaient avoir produit leur effet, furent révoqués, et qu'il fut décidé de laisser Napoléon partir de telle manière qu'il lui paraîtrait possible... Mais il était trop tard!

Mais n'était-ce pas chose tout au moins singulière que de demander des sauf-conduits dont le refus était immanquable? N'était-ce pas avertir les Anglais et comme leur dire : Il est là... prenez-le !... ou plutôt, pour nous épargner l'odieux de vous l'avoir livré, bornez-vous à lui fermer les issues, et nous le placerons ainsi dans la nécessité de se livrer lui-même...

Au nombre des prévisions qui résultaient du départ de Napoléon, était celle de le voir se rendre, avec une apparence de bonne volonté, à bord des bâtiments de la croisière anglaise; et en la mentionnant, à l'arrivée à Niort, le général Becker s'était exprimé ainsi : « Cette fâcheuse et triste nécessité est préférable à un mal pire, et qui serait bien plus funeste à la cause et à l'honneur français (1).» Les dispositions prises à Rochefort avaient dû être basées sur ces diverses éventualités. Pour cela, on avait tenu prêts: 1° les deux frégates, dans le cas, disait-on, peu probable où les circonstances permettraient qu'elles pussent partir; 2° un aviso-mouche (le n° 24) pour prévoir la possibilité qu'un très-petit bâtiment trompât les croiseurs anglais; 3o enfin, le brick l'Épervier, si l'Empereur se décidait à se rendre, couvert des couleurs parlementaires, soit dans un port d'Angleterre, soit à bord des bâtiments de la croisière ennemie.

Mais nous devons ajouter qu'on avait agi de telle sorte que toutes les chances favorables aux deux premières tentatives étaient devenues impossibles, de façon que le choix lui était offert lorsqu'il n'y avait plus qu'une issue praticable! Ainsi, tout semble venir à l'appui de l'opinion que Napoléon fut victime d'une sorte de guet-apens, au prix duquel certains hommes espéraient rentrer en grâce devant les nouveaux maîtres du pays.

Napoléon est placé, par la ruse de ses ennemis, dans une position qui ne lui laisse de refuge que la grandeur et la noblesse avec lesquelles un tel caractère sait sortir des crises les plus désastreuses. Il feint d'être dupe des apparences, et, renfermant dans son cœur une trop juste indignation, il use du seul parti qui lui soit offert. Le général Bertrand et M. de Las Cases sont donc chargés, au nom de l'Empereur, d'entrer en négociation avec le commandant de la station anglaise. A la suite de divers pourparlers, le commandant anglais, auquel dès la première conférence était échappée cette insinuation remarquable : « Pourquoi ne pas demander un asile à l'Angleterre?» l'officier anglais,

(1) M. de Las Cases, en rendant compte de ce qui se passa à la Malmaison lors de l'arrivée du général Becker, dont Fouché avait fait choix parce qu'il savait que cet officiel général avait personnellement à se plaindre de l'Empereur, dit : « Il (Becker) nous a dit avec une sorte d'indignation avoir reçu la mission de garder l'Empereur et de le surveiller; » et dans un autre passage: « Ce général ne cessa de lui montrer un respect qui honore son caractère. »

disons-nous, consent à recevoir Napoléon sur son vaisseau et à le conduire en Angleterre, déclarant qu'il n'a nulle raison de croire qu'il puisse y être mal reçu (1). Il expédie sur une corvette le général Gourgaud, porteur de la lettre écrite par l'Empereur au prince-régent, pour réclamer un asile au sein de la Grande-Bretagne, et préparer tout, à bord de son vaisseau, pour la réception de l'hôte illustre qui va s'y embarquer. Cette lettre, qui arrive à la vraie grandeur par sa simplicité même, ne doit pas être passée sous silence, la voici :

« ALTESSE ROYALE,

<< En butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique, et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de votre Altesse royale comme du plus constant et du plus généreux de mes ennemis.

Rochefort, 15 juillet 1815.

« NAPOLÉON. »

Une grave question surgit naturellement ici. Quel rôle joua réellement le commandant du Bellerophon dans ce grand drame dont le dénoûment vint ajouter une nouvelle flétrissure à la politique anglaise, déjà souillée de tant d'actes d'un odieux machiavélisme?

C'est un point qui commence à être suffisamment éclairci; malgré l'espèce de justification que le capitaine Maitland a publiée, onze ans après les événements, les accusations dont sa conduite fut l'objet demeurent intactes, et c'est en vain qu'en réponse aux terribles inculpations qu'avait lancées contre lui M. de Las Cases dans son Mémorial de Sainte-Hélène, le commandant du Bellerophon se borne à affirmer qu'aucune embûche n'a été tendue à Napoléon, ni de la part du gouvernement anglais, ni de la sienne.....

Il y aurait à opposer à cette affirmation une foule de faits tirés de sa relation même. Il en ressort clairement que le capitaine Maitland, avide de bien mériter du machiavélisme de Saint-James par l'arrestation de l'illustre victime, affirma que si l'Empereur voulait s'embarquer dès cet instant pour l'Angleterre, il était autorisé à l'y conduire et à le traiter avec tous les égards et tout le respect dus au rang qu'il avait occupé. Il ajouta même que, dans sa pensée, il avait la conviction que Napoléon y recevrait un accueil favorable; que l'administration en Angleterre n'avait point la plénitude de pouvoir dont sont investis les gouvernements continentaux; que l'autorité ne s'y exerce que sous le contrôle de l'opinion publique; enfin, que le peuple anglais avait une générosité de sentiments et une libéralité de principes sous lesquels fléchissait la souveraineté ellemême.

Mais évidemment ces paroles honorables voilaient une trahison. Cette aslucieuse noblesse de sentiments ne pouvait avoir pour objet que d'attirer l'illustre fugitif dans une embûche où devait mourir sa liberté. Les lettres qu'un

(1) Relation du capitaine Maitland; - version d'un ancien officier de marine, M. Parisot.

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