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homme déjà flétri par ses compatriotes eux-mêmes pour la ridicule tentative des catamarans contre la flottille de Boulogne, à l'époque des préparatifs de descente en Angleterre, les lettres, disons-nous, de lord Keith, écrites dès le 7 juillet, portaient : « Redoublez de vigilance pour que Bonaparte ne puisse échapper à votre croisière; s'il vient à être pris, il doit m'être conduit à cette baie (Plymouth), parce que j'ai des ordres pour disposer de sa personne. » On le voit, il est impossible de ne pas comprendre le capitaine Maitland dans l'accusation de trahison et de déloyauté politique qui, au milieu de tant de mystères et de révoltantes iniquités, associent en partie son nom à celui de l'exécrable Hudson-Lowe.

Le 15 juillet, le Bellerophon et la corvette le Mirmidon étaient paisiblement à l'ancre dans la position que le capitaine Maitland avait jugée la plus favorable pour surveiller la division française mouillée sous l'île d'Aix. Tout à coup on aperçoit un brick qui vient de quitter le mouillage pour se diriger vers les bâtiments anglais; presque en même temps, on découvre au large la masse blanchâtre des voiles d'un grand navire, et on ne tarde pas à reconnaître le Superb, vaisseau que monte le contre-amiral Hotham, commandant de l'escadre à laquelle appartient le Bellerophon. Le brick qui vient du mouillage porte le pavillon inviolable des parlementaires.....

Le capitaine Maitland répond à cette approche en arborant en tête de son mât de misaine le pavillon blanc, marque distinctive des parlementaires dans la marine anglaise (1).

Jusque-là les communications entre la Saale et la croisière anglaise avaient eu lieu par l'entremise de simples canots ou du petit aviso. La venue du brick fit deviner au capitaine Maitland quelque événement notable. Le brick avait à lutter, pour s'avancer, contre le vent et la marée montante, double circonstance qui favorisait, au contraire, l'approche du Superb. Maitland, craignant que l'amiral n'arrivât à temps pour lui enlever l'honneur « de terminer une affaire qu'il avait amenée si près de sa fin (2), » expédia son canot, avec son premier lieutenant, pour aller prendre Napoléon sur le brick et l'amener le plus promptement possible à son bord.

Nous n'essaierons pas de décrire la scène qui eut lieu sur l'Épervier au moment où Napoléon fut prêt à le quitter. Ses adieux à ceux qui ne devaient pas l'accompagner furent déchirants..... Mais il fallut s'arracher à ces émotions violentes; le canot du Bellerophon poussa au large. Napoléon, debout sur l'arrière et retourné vers le brick, ôta son chapeau et salua à plusieurs reprises ses amis, ses compagnons d'armes, le brick, la France!..... L'équipage de l'Épervier, groupé sur les bastingages, grimpé dans les haubans, faisait retentir l'air des cris de: Vive l'Empereur!... cris, si l'on peut dire, tout trempés

de larmes!

(1) Quelques personnes confondant ce pavillon blanc avec l'étendard des Bourbons, crurent à une intention insultante envers Napoléon; l'erreur naissait de l'ignorance des usages anglais. (2) Ce sont les propres expressions du commodore, dans sa relation.

Bientôt le canot qui porte César et son in fortune aborde à tribord du Bellerophon. Le général Bertrand monte le premier, et dit au capitaine, que lui désigne M. de Las Cases: « L'Empereur est dans le canot! » Napoléon monte ensuite, salue, et, s'adressant à M. Maitland, il prononce d'une voix ferme ces paroles: « Capitaine, je viens placer ma personne sous la protection de votre prince et de vos lois. »

C'en était fait... le sacrifice était consommé!

Peu de temps après, le Superb arriva au mouillage. Le lendemain, il y eut échange de visites entre Napoléon et l'amiral. Ce dernier donna ses ordres au commodore Maitland, et le Bellerophon, levant l'ancre, tourna sa proue vers l'Angleterre. Arrivé à Forbay, le 24 juillet, le capitaine Maitland prit les ordres de lord Keith, son amiral-général; il lui fut enjoint de se rendre à Plymouth. Le Bellerophon y mouilla le 26.

Comme les habitants, le peuple, témoignaient une avidité extrême et sympathique d'apercevoir l'Empereur, et que les eaux du vaisseau étaient couvertes d'embarcations remplies de curieux accourus de toutes les parties de l'Angleterre, ordre fut donné de placer le Bellerophon dans une sorte de quarantaine.

Mais Napoléon avait hâte de savoir ce que le gouvernement britannique déciderait à son égard. Ses incertitudes ne furent point de longue durée. Lord Keith vint durement lui communiquer une note ministérielle qui assignait l'île de Sainte-Hélène pour résidence au général Bonaparte. C'était un arrêt de déportation que le climat devait changer en sentence de mort. A cette déclaration, Napoléon ne put contenir son indignation, et il protesta énergiquement contre cette odieuse violation du droit des gens. Hôte libre et confiant de l'Angleterre, celle-ci le traitait en prisonnier... même en condamné!

Le Bellerophon quitta, le 4 août, la rade de Plymouth, remontant la Manche. Napoléon devait passer sur un autre bâtiment, le Northumberland, destiné à le porter sur la terre de l'exil. Ce fut alors qu'il écrivit la fameuse protestation qu'on ne saurait passer sous silence, monument admirable, arraché par l'indignation à la plus illustre victime de l'histoire moderne. La voici textuellement:

« Je proteste solennellement ici, à la face du ciel et des hommes, contre la violence qui m'est faite, contre la violation de mes droits les plus sacrés, en disposant par la force de ma personne et de ma liberté. Je suis venu librement sur le Bellerophon; je ne suis pas le prisonnier, mais l'hôte de l'Angleterre. J'y suis venu à l'instigation même du capitaine, qui a dit avoir des ordres pour me recevoir et me conduire en Angleterre avec ma suite. Je me suis présenté de bonne foi, pour venir me mettre sous la protection des lois de l'Angleterre. Aussitôt assis à bord du Bellerophon, je fus sur le foyer du peuple britannique. Si le gouvernement, en donnant ordre au capitaine du Bellerophon de me recevoir, ainsi que ma suite, n'a voulu que me tendre une embûche, il a forfait à l'honneur, il a flétri son pavillon.

« Si cet acte se consommait, ce serait en vain que les Anglais voudraient

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HISTOIRE DE L'ARMÉE ET DE TOUS LES RÉGIMENTS.

parler désormais de leur loyauté, de leurs lois, de leur liberté : la foi britannique se trouverait perdue dans la trahison du Bellerophon.

<< J'en appelle à l'histoire. Elle dira qu'un ennemi qui fit vingt ans la guerre au peuple anglais vint librement, dans son infortune, chercher un asile sous ses lois. Quelle plus éclatante preuve pouvait-il lui donner de son estime et de sa confiance? Mais comment répondit-on, en Angleterre, à une telle magnanimité? On feignit de tendre une main hospitalière à cet ennemi, et, quand il se fut livré de bonne foi, on l'immola!»

Nous n'avons rien à ajouter à cette brûlante flétrissure que l'Empereur a imprimée sur le blason de la perfide Angleterre. Les faits sont tels, que rien n'atteint l'éloquence de leur simple exposition. Là est la plus cuisante vengeance qu'une plume française puisse infliger à la plus révoltante des trahisons.

L'hôte libre et volontaire de la Grande-Bretagne, déporté à Sainte-Hélène, y abordait le 15 octobre 1815. Son agonie dura cinq ans et demi. On n'avait sans doute pas prévu que sa forte constitution résisterait aussi longtemps à l'insalubrité du climat. Chaque jour l'Angleterre outragea son noble prisonnier par l'intermédiaire du plus hideux geôlier dont la mention puisse souiller l'histoire. Cet homme, que les boulets des batailles avaient respecté vingt ans, mourait d'un long et incessant assassinat, comme, au moyen âge italien, on voyait le plus effrayant des poisons, l'aqua toffana, faire tristement périr d'illustres victimes, désignées aux sauvages passions des princes qui n'osaient prendre juridiquement leurs têtes...

Napoléon, posant sa main sur son cœur, disait souvent: « C'est une lame empoisonnée qu'ils m'ont plantée là... et ils l'ont brisée dans la plaie. »>

Le 5 mai 1821, l'Angleterre était enfin délivrée des terreurs que parfois, sur son rocher battu des flots, son prisonnier lui inspirait encore!

FIN DU TROISIÈME VOLUME.

TABLEAUX

PRÉSENTANT L'ORGANISATION DES ARMÉES FRANÇAISES ET LE RÉSUMÉ DES

CAMPAGNES DE CHAQUE CORPS DE TROUPES

DANS LES DIVERSES GUERRES OU LA FRANCE SE TROUVA ENGAGÉE.

DEUXIÈME PARTIE.

Il n'entre pas dans notre cadre de faire connaître les diverses transformations qu'ont éprouvées les régiments depuis leur création jusqu'à nos jours. Nous avons dit ailleurs comment ils furent institués et quelles ont été, antérieurement à cette création, les divers éléments qui composaient les forces militaires de nos armées. Il nous reste à donner un précis historique des corps formés depuis la révolution de 1789 jusqu'au 1er janvier 1849.

INFANTERIE DE LIGNE.

Une ordonnance du 1er janvier 1791 constitua l'infanterie en 101 régiments, dont 78 français, 12 allemands et irlandais, et 11 régiments suisses.

Avant cette date, on distinguait les corps en régiments royaux, en régiments des princes, en régiments de gentilshommes (1) et en régiments de provinces. On appelait régiments royaux, ceux du Roi, de la Reine, de la Couronne, RoyalRoussillon, Royal-Vaisseaux, etc., etc. Les régiments des princes étaient ceux qui avaient pour colonels des princes du sang, tels que les régiments d'Orléans, de Bourbon, de Condé, de Conti, etc. Les régiments qui portaient les noms de leurs colonels étaient appelés régiments de gentilshommes: de ce nombre étaient les régiments de Turenne, de Vivonne, de La Rochefoucault, etc.; enfin les régiments créés au nom des provinces.

L'ordonnance du 1er janvier 1791 fit disparaître ces diverses dénominations, et les corps d'infanterie ne furent plus désignés que par le numéro du rang qu'ils occupaient entre eux.

Nous donnons ci-après la liste de ces corps, en y ajoutant le rang qu'ils occupaient dans l'armée, la date de leur création et les campagnes qu'ils ont faites de 1792 à 1794 (2).

(1) Les régiments dits de gentilshommes quittèrent leur nom en 1762 pour prendre des noms de provinces. (2) On verra à l'article des demi-brigades de 1re et de 2me formation, les bataillons des anciens régiments qui ont concouru à leur organisation.

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Campagnes de 1792 à 1793 à l'armée du Nord.

PROVENCE (4), formé en 1776 du dédoublement de Picardie.

PIÉMONT (3o), créé en 1558. — A fait les campagnes de 1792 à 1793 à l'armée du Rhin.
Campagne: Embarqué pour
Saint-Domingue en 1791. Le 1er bataillon est rentré en France en 1793.
NAVARRE (5), créé en 1558. Campagnes de 1792 et 1793 aux armées du Nord et de la
Moselle; 1794 aux armées de Sambre-et-Meuse et de l'Ouest.

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CHAMPAGNE (7), créé en 1558. - Il a fait les campagnes de 1792 à 1794 à l'armée des Pyré

nées-Orientales.

AUSTRASIE (8), formé en 1776 du dédoublement de Champagne. · Campagnes: 1792 et 93, armée des Ardennes; 1794, armées de la Moselle et de l'Ouest. NORMANDIE (9), créé en 1616. A fait les campagnes de 1792 et 1793 à l'armée des côtes de

Brest. NEUSTRIE (10), formé en 1776 du dédoublement de Normandie. à l'armée des Alpes.

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LA MARINE (11o), créé en 1635. Campagnes: 1792, 93 et 94 à l'armée d'Italie.
AUXERROIS (12o), formé en 1776 du dédoublement de La Marine. - Campagnes: 1792, 93 et
94 à l'armée du Nord. Le 1er bataillon de ce régiment faisait partie de la garnison du
Quesnoy.

BOURBONNAIS (13°), créé en 1672. - Campagnes: 1792, 93 et 94 à l'armée du Rhin. Ce régiment prit une part glorieuse à la bataille de Turkeim, le 30 mars 1793.

FOREZ (14), formé du dédoublement de Normandie en 1776. A fait les campagnes de 1792 et 93 à l'armée des côtes de Brest; 1794 à l'armée du Nord.

BÉARN (15), créé en 1684. Il a fait les campagnes de 1792, 93 et 94 à l'armée du Nord.
AGÉNOIS (16), formé en 1776 du dédoublement de Béarn. Campagnes le 2e bataillon à
Saint-Domingue en 1791; le 1er à l'armée du Nord, de 1792 à 1794.
AUVERGNE (17°), créé en 1606. Campagnes : 1792 et 1793 à l'armée du Nord; 1794 à l'armée
de la Moselle.

ROYAL-AUVERGNE (18o), ci-devant Gatinois, formé du dédoublement d'Auvergne en 1776. . II a fait les campagnes de 1792 et 1793 à l'armée du Nord; 1794 en Italie. FLANDRE (19), créé en 1597. - Campagnes: 1792, 1793 et 1794 à l'armée du Nord. Cambrésis (20°), formé en 1776 du dédoublement de Flandre. — Campagnes : 1792 et 1793 à l'armée des Pyrénées-Occidentales.

GUYENNE (21), créé en 1610. — Campagnes : 1792 à 1794 à l'armée du Rhin.

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Campagnes: 1792 à 1794 à l'armée du Nord. Ce régiment se fit remarquer à la bataille des Dunes, près d'Alkmaer, le 22 vendémiaire an II (13 octobre 1793), et à la bataille de Kastricum.

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BRIE (24), formé en 1778 du dédoublement de Royal. du Nord et de la Moselle; 1794 à l'armée du Nord. POITOU (25), créé en 1616. Ce régiment a fait les campagnes de 1792, 1793 et 1794 à l'armée du Nord.

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à l'armée d'Italie. Ce corps se signala à l'affaire du Belveder, le 28 février 1793.

DAUPHIN (29°), créé en 1667. - Campagnes de 1792 à 1794 aux armées du Nord et de l'Ouest.

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