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gée parvient à se procurer l'acte de naissance; et, munie'de eette pièce, elle a le courage de demander l'expulsion de Julie; mais on ne l'écoute pas. On la brave, on l'insulte; et Julie pousse l'insolence jusqu'à vouloir frapper sa maîtresse, Le père de celle-ci, indigné, presse M. de Normont de réprimer l'audace de cette créature; mais il ne reçoit pour toute réponse que des injures, des menaces et de mauvais traitemens.

Un jour, on sert une semoule. Madame de Normont est dégoûtée par une saveur désagréable et par des particules sablonneuses qui craquent sous ses dents; cependant, cédant aux instances qui lui sont faites, elle en avale, avec répuguance, deux ou trois cuillerées, et soudain elle éprouve de violentes tranchées, de vives douleurs d'estomac. Un vomissement considérable, provoqué par de l'eau tiède, apaise son mal en épuisaut ses forces. C'est alors que Véronique Jacquemin s'écrie: Qu'elle crève, le monstre! Nous serons bien debarrassés, et toi, Julie, bien heureuse.

Quoi qu'il en soit, s'il faut en croire l'acte d'accusation, M. de Normont entend tout et n'éprouve d'autre besoin que d'embrasser les deux sœurs, en leur disant: Soyez tranquilles, je ne vous abandonnerai pas.

Cependant l'infortunée madame de Normont, effrayée par des lettres anonymes et menaçantes, insiste encore pour demander le renvoi des domestiques. L'époux hésite, promet, se rétracte, et fiuit par proposer un divorce par consentement mutuel; mais, n'étant point tombé d'accord sur les conditions, il use de ses droits de mari, oblige sa femme de se rendre à Choisy, et c'est là que s'est passé, le 31 mars 1813, une scène qui enfiu a excité les regards et les poursuites de la justice.

Madame de Normont fut trouvée, le 1er avril, vers huit heures du matin, sans mouvement et sans connaissance, étendue sur un lit placé dans le salon, et enveloppée d'un drap et d'une couverture. Son visage ainsi que le drap étaient empreints d'une substance noire et huileuse, qui répandait une forte odeur de térébenthine. On essaya d'abord, mais en vain, de la tirer de cet évanouissement. Après lui avoir ouvert

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la bouche, on aperçut, près de la clavicule gauche, une rougeur douloureuse qui paraissait être le résultat d'une forte pression et d'une violence étrangère. Cependant on parvint ensuite, à force de remèdes propres à provoquer de forts vomissemens, à tirer madame de Normont de l'évanouissement léthargique où elle était plongée; et madame de Normont, revenue à elle, déclara au juge de paix « que, la veille, 31 mars, vers onze heures du soir, elle s'était couchée dans le lit ordinaire de sa chambre à coucher ; qu'étant fort agitée, et s'imaginant avoir le cauchemar, elle crut qu'elle tombait de son lit et qu'elle cherchait à se rattacher à ses draps; qu'elle ne fut retirée de cet état que par la secousse qu'on lui fit éprouver au moment où elle fut jetée sur le lit du salon; qu'alors elle aperçut un petit homme qui lui tenait la tête d'une main, et de l'autre lui mettait une tasse sur les lèvres; que, comme elle se refusait à boire ce qu'on lui présentait, cet homme lui ouvrit la bouche avec un petit bâton, et y glissa ensuite de la liqueur contenue dans la tasse; qu'alors elle perdit connaissance. Elle ajouta qu'on lui avait volé l'argent et les bijoux renfermés tant dans le secrétaire de la chambre à coucher que dans celui du salon;

« Que, s'étant réveillée un instant, elle était parvenue dégager sa main droite des ligamens`qui l'entouraient, et à retirer de sa bouche le bâton qu'on y avait placé en forme de bâillon, et qu'après avoir fait beaucoup d'efforts pour vomir, elle s'était évanouie de nouveau jusqu'au moment où le pharmacien Bacoffe lui eut administré des secours ».

Le même jour, 1er avril, on trouva dans le salon un bocal et une tasse dans lesquels restait une portion de liqueur noire pareille à celle qui était répandue sur la couverture. L'analyse de cette liqueur a fait connaître qu'elle était composée d'huile essentielle d'aspic et de térébenthine, mêlée à une petite quantité d'étain et de mercure; et les médecins ont déclaré que ce breuvage pouvait donner la mort.

Le matin du 1er avril, on trouva dans le ruisseau, tout près de la maison habitée par madame de Normont, une lettre

anonyme au préfet de police, et une autre feuille de papier écrite des deux côtés, et dont les caractères paraissaient contrefaits. Dans ce dernier écrit, sans adresse, on provoque la mort de madame de Normont. « Tout le monde, y est-il dit, accusera la tante (1); on l'arrêtera. Cette révolution la fera mourir ; la méchanceté qu'elle montre contre sa nièce rous sauvera du soupçon; elle sera notre seconde victime. Alors plus de femme, plus d'enfant, plus de tante, plus de contrainte. » On témoigne dans cet écrit la crainte que le mari et la femme ne se réunissent, et que celle-ci ne redevienne enceinte. O rage! si cela arrive, j'ai juré ta mort et celle de ton enfant...... Amour, courage, mon cœur pour récompense ! »

La lettre au préfet de police porte en tête ces mots : Choisy, matin de ce jour, après la mort de madame de Normont. Dans cette lettre on cherche à insinuer que madame de Normont s'est empoisonnée elle-même. « C'est une méchante femme, y dit-on, qui est jalouse de cette boune Julie, sans en avoir de raison. On dira qu'on s'est introduit dans la maison, qu'on y a volé des bijoux et de l'argent; mais où est la preuve? Qui est-ce qui sait si elle avait des bijoux et de l'argent? Ne peutelle pas les avoir vendus ou donnés? Méfiez-vous de Sophie, de M. Camille, de M. Asselin (c'est le médecin): car, à les entendre, elle a été empoisonnée, tandis que c'est elle qui est l'empoisonneuse. Je ne suis ni l'ami ni le parent de Julie, etc. »>

Deux autres lettres anonymes, adressées au sieur de Normont, furent également déposées au procès : elles avaient pour objet d'empêcher le sieur de Normont de revoir sa femme, en lui représentant qu'elle avait des habitudes criminelles, et qu'elle était enceinte.

Au mois d'août 1812, un billet de même écriture, adressé à la dame de Normont, et trouyé sous la porte de son apparte

(1) Cette tante de madame de Normont avait été aussi l'amie du sieur de Normont; elle détestait sa nièce, et elle avait tout fait pour désunir les époux.

ment, contenait des menaces violentes contre elle, et finissait par ces mots : Ennemie jusqu'à la mort.

Les experts écrivains ont déclaré que toutes ces lettres et écrits anonymes étaient de la main de la fille Jacquemin.

Sur ces indices, cette fille fut arrêtée et mise en jugement. Un nommé Bouré, parent de Julie, qui souvent venait la voir, et qu'elle soutenait être père de l'enfant qu'elle avait en, fot arrêté avec elle. On trouva chez ce Bouré un registre contenant différentes notes, et particulièrement celle-ci : Jetez-le -vis-à-vis la grande porte, note sur laquelle il n'a voulu donner aucune explication.

Ces deux accusés ayant été traduits devant la Cour d'assises, comme prévenus d'empoisonnement envers madame de Normout, les témoins furent entendus. Il paraît que, dans le cours des débats, le conseil de la fille Jacquemin, en vertu de l'article 326 du Code d'instruction criminelle, requit que madame de Normont se retirât de l'auditoire pendant la déposition du nommé Toutain, et que semblable réquisition fut faite à l'égard de la femme Rabut pendant la déposition de la fille Remy. Néanmoins le procès verbal des débats ni aucun arrêt de la Cour d'assises n'établissent que cette Cour ait statué súr ces réquisitions.

Quoi qu'il en soit, sur la déclaration affirmative du jury, et par arrêt de la Cour d'assises de Paris, du 20 mai 1814, la fille Jacquemin fut condamnée à la peine de mort, comme étant convaincue d'avoir empoisonné, madame de Normont. ~Bouré fut acquitté.

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La fille Jacquemin s'est pourvue en cassation contre l'arrêt de la Cour d'assises, pour contravention aux articles 326 et 408 du Code d'instruction criminelle.

L'article 326 est ainsi conçu: L'accusé pourra demander, après qu'ils auront déposé (les témoins), que ceux qu'il désgnera se retirent de l'auditoire, et qu'un ou plusieurs d'entre eux soient introduits et entendus de nouveau, soit séparément, soit en présence les uns des autres.....

L'article 408, après avoir dit dans son premier paragraphe

que la violation ou l'omission de quelques unes des formalités prescrites par le présent. Code, sous peine de nullité, entraînera l'annulation de l'arrêt de condamnation, ajoute : « Il en sera de même, tant dans le cas d'incompétence que lorsqu'il aura été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes de l'accusé, soit sur une, ou plusieurs réquisitions du Ministère public, tendantes à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi, bien que la peine de nullité ne fût pas textuellement attachée à l'absence de la formalité dont l'exécution aura été demandée ou requise. »>

Ainsi, disait le défenseur de la demanderesse, aux termes de l'article 526, Julie Jacquemin avait le droit de demander que madame de Normont, entendue comme témoin, se retirât pendant l'audition d'un autre témoin; l'art. 408 veut, à peine de nullité, que la Cour d'assises prononce formellement sur ce genre de réquisition. En fait, le procès verbal des débats constate qu'il a été demandé par l'accusée que madame de Normont et un autre témoin se retirassent pendant que deux autres seraient entendus, et cependant, ni ce procès verbal, ni aucune décision de la Cour d'assises, n'indique qu'il ait été statué sur cette demande : done, aux termes de l'art. 408, l'arrêt de condannation doit être annulé.

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Le défenseur tirait encore un autre moyen de cassation de la circonstance qu'aux douze membres du jury on avait alljoint deux jurés suppléans dont l'un avait concouru à la délibé→ ration sur laquelle l'arrêt de condamnation était interveņu.

A la vérité, disait-il, l'art. 1er de la loi du 25 brumaire autorisait cette mesure; mais il a été abrogé par le nouveau Code d'instruction criminelle, loi nouvelle, entière, complète, et qui, fixant le nombre des jurés à douze, rejette virtuellement l'adjonction de suppléans: car, si le législateur avait entendu consacrer cette faculté, il l'eût dit dans le Code, comme il l'avait dit dans la loi de brumaire. D'ailleurs, la cause de ce changement est sensible. On a prévu que des jurés suppléans,qui ne doivent pas vraisemblablement être appelés à délibérer, n'apportent pas aux débats cette attention si nécessaire quand

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