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pas; mais en supposant même que les Grecs en aient eu l'idée ; ce qui n'était chez eux qu'un système hasardé et romanesque est devenu une démonstration dans les mains de Newton cette démonstration, qui n'appartient qu'à lui, fait le mérite réel de sa découverte ; et l'attraction sans un tel appui serait une hypothèse comme tant d'autres. Si quelque écrivain célèbre s'avisait de prédire aujourd'hui sans aucune preuve qu'on parviendra un jour à faire de l'or, nos descendants auraient-ils le droit, sous ce prétexte, de vouloir ôter la gloire du grand œuvre au chimiste qui en viendrait à bout? Et l'invention des lunettes en appartiendrait-elle moins à ses auteurs, quand même quelques anciens n'auraient pas cru impossible que nous étendissions un jour la sphère de notre vue?»>

Ne dirait-on pas que cette page de d'Alembert, précepteur de Saint-Simon, a été écrite en vue de la présente querelle de priorité entre son élève et Auguste Comte?

PAUL DUBUISSON.

D'UNE

HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

(Suite)

Temps modernes

CHAPITRE V

Troisième Phase moderne :

LE SYSTÈME DE LIBERTÉ NATURELLE

Angleterre (suite).

Bien des gens estiment que, la science donnée, nous sommes maîtres de l'art; qu'il suffit de convertir les théorêmes en règles pour exécuter l'œuvre. Or, Mill et Cairnes mirent en évidence qu'un tel cas n'est pas admissible. Pas plus dans le domaine économique que sous tout autre mode d'existence, l'action ne se règle sur des considérations abstraites d'un aspect unique de la réalité. L'Économique révèle les connaissances indispensables, mais insuffisantes par elles-mêmes pour guider la conduite. Cette direction exige une conception plus vaste des affaires humaines. C'est ce qu'on voit mieux quand on se reporte à la classification de Comte; c'est-à-dire à l'arrangement hiérarchique des sciences. Nous débutons par la moins complexe, la mathématique; d'où nous nous élevons successivement à l'astronomie, la physique, à la chimie; puis à la biologie, et enfin à la sociologie. Au cours de cette ascension, nous découvrons toutes les grandes lois qui règlent les

phénomènes du monde inorganique, des êtres organisés et de la société. Un pas de plus, cependant, reste à franchir la morale. A cette hauteur, les zones de la théorie et de la pratique tendent à coïncider; car toute conduite doit se rapporter au bien général. Dans la synthèse finale, chaque analyse préparatoire sert d'instrument pour déterminer comment chaque phénomène réel, matériel ou humain converge au bien de l'Humanité.

La publication économique de Cairnes la plus importante est sa dernière. Elle a pour titre Some Leading Principles of Political Economy newly Expounded, 1874. Cet ouvrage n'a pas la prétention de constituer un traité complet d'Économique. Il critique et corrige les théories que les écrivains précédents avaient émises sur quelques-unes des principales doctrines ; et s'applique à y définir leurs limites exactes ainsi que les exceptions qu'y apportent des circonstances spéciales. Tout en se faisant remarquer par sa grande habileté, il rend évident la juste observation qu'on a fait de la débile constitution mentale de Cairnes de son défaut de sympathie intellectuelle, et de sa fréquente incapacité correlative d'apercevoir la vérité sous des aspects multiples.

Les trois parties de ce livre se rapportent respectivement à 1o la valeur; 2o le travail et le capital; et, 3o le commerce international. La première commence par élucider le sens du mot « valeur ». Cairnes y controuve cette vue de Jevons pour qui toute valeur d'échange dépend entièrement de son utilité. Cairnes n'a peut-être pas clairement saisi la proposition de Jevons. En ce qui touche l'offre et la demande, il montre, à la suite de Say, que, dans leur système cet équilibre n'est nullement libre : ces facteurs sont des phénomènes bien connexes et indépendants. Identifiés, en effet, dans le troc, on les trouve, sous le système monétaire, bien différenciés. L'offre et la demande concernant les commodités particulières doi

vent s'entendre de l'offre et de la demande à prix donné ; et nous sommes ainsi ramenés aux idées de prix marchand et de prix normal (dont la confusion, suivant Cherbulliez, se nommait, avec moins de bonheur, chez Smith, prix naturel). Le prix normal l'amène à considérer le coût de production. Et à ce sujet, contre Mill et autres, il nie que les profits et les salaires entrent dans le coût de production. En d'autres termes, il affirme que Senior (qu'il ne nomme pas) a déjà dit — mais il omet logiquement de mentionner le passage — que le coût de production est la somme du travail et du capital nécessaire à la production. Les gages et les profits sont la rémunération de la peine, et non les éléments du coût. Mais, se demandera-t-on, comment une quantité de travail peut-elle s'ajouter au capital? Salaires et profit ne peuvent-ils « mesurer le coût » ? En adhérant à la conception de « sacrifice » Cairnes expose combien vaine est l'assertion que « la cherté du travail est le grand obstacle à l'extension du commerce de la Grande-Bretagne >: phrase où < commerce de la Grande-Bretagne » signifie profits des capitalistes. Voici, pour la première fois, qu'apparaît une doctrine nouvelle. Cependant, on rencontre chez Mill des indices d'où cette théorie des valeurs internationales découle. Dans le commerce extérieur, le coût de production, au sens de Cairnes, ne règle point les valeurs; car il ne saurait accomplir cette fonction en dehors d'un régime de concurrence effective. Or, entre les divers pays, la concurrence n'existe pas. Mais Cairnes se demande jusqu'où elle va dans les industries territoriales. Pour ce qui est des capitaux, il estime que la condition est partout suffisamment remplie opinion, soit dit en passant, qui ne semble point tenir un compte suffisant, dès que nous considérons l'immobilisation réelle de la majeure partie des capitaux, des disponibilités. Mais, dans le cas du travail, la concurrence exigible,

n'agit qu'au sein de certaines couches sociales, ou plutôt industrielles. Le monde industriel se répartit en une série de groupes superposés; et ces groupes demeurent, en réalité, << sans compétition ». Le travail disponible en l'un quelconque d'entre eux a rarement la faculté de choisir son champ d'application dans un groupe plus élevé (1). La loi qui veut que le coût de production détermine le prix ne peut donc s'appliquer davantage aux échanges régionaux qu'aux échanges internationaux.

Universellement insuffisante pour les derniers, elle l'est de même pour les premiers; et envers les groupes sans concurrence. La loi qui régit ceux-ci est semblable à celle qui commande aux valeurs internationales, et qu'on appelle l'équation de la valeur réciproque. Cette détermination des prix correspondants s'opère d'ellemême d'après les profits de ces groupes. Ces prix sont tels que le lot des produits de chaque groupe réservés à la demande de produits à tous les autres groupes, acquittera tous engagements envers ces autres groupes. La demande réciproque des groupes détermine le « niveau moyen relatif » des prix à l'intérieur de chaque groupe; tandis que le coût de production régularise la distribu̟tion de prix parmi les produits individuels de chaque groupe. Ce théorème n'a peut-être pas une grande valeur pratique ; mais le résultat de l'ensemble de cette recherche est d'atténuer l'importance du coût de production en tant que régulateur du prix normal; et de montrer en

(1) Les Économistes aiment à comparer le taux du profit et des salaires à l'intérieur d'une nation (terme pris dans son sens économique) à une surface liquide perpétuellement agitée par les influences étrangères, et qui tend continuellement à reprendre son niveau. Nous comparerons ces taux chez diverses nations à des vases non-communiquants ayant tous des niveaux différents et variables. Cette dernière comparaison s'applique aussi au taux des salaires, tout au moins, à l'intérieur des différents groupes », ou couches, économiques, dans une même communauté.

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