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Chaire » ; mais dont les écrits sont gros de bien plus d'espoirs et d'inspiration. Le principe de population attire surtout son attention. Il attache une grande importance au bien-être des classes ouvrières. En ce qui concerne les agriculteurs, il pense que le système connu sous le nom d'exploitation patriarcale, celui où le cultivateur est en même temps propriétaire, et que sa famille aide à cultiver la terre - la loi d'égalité des partages entre les héritiers naturels étant virtuellement supposée est une des plus efficaces pour prévenir la surpopulation. Dans ce cas, le père a la capacité voulue pour estimer ce qui convient à ses enfants et pour fixer la limite du partage qui ferait descendre la famille de la situation matérielle et sociale qu'elle occupait antérieurement. Quand des enfants naissent et dépassent cette limite, ils ne se marient point; ou choisissent celui d'entre eux qui doit perpétuer la race. C'est cette théorie qui, adoptée par J. S. Mill, joue un si grand rôle dans les recommandations chaleureuses que fait cet écrivain du système des paysans propriétaires.

Il n'est pas d'économiste français plus grand par la force ou par la valeur générale de ses théories que Charles Dunoyer (1786-1862), auteur de la Liberté du Travail (1845). La teneur du premier volume avait paru, sous un titre différent, en 1825. Dunoyer est honorablement connu pour son intégrité et son indépendance sous le régime de la Restauration. Ce qui lui donne une importance spéciale dans l'histoire scientifique est sa théorie de la constitution philosophique et de la méthode économique. En ce qui touche la méthode, il en donne la mesure dès le début par cette formule « recherche expémentale » ; et il se propose de l'édifier sur « les données de l'observation et de l'expérience ». Il manifeste une tendance marquée à convertir l'Économique en une science générale de la société ; car il dit expressément de

l'économie politique qu'elle a pour objet tout ce qui provient du jeu et du développement des forces sociales. Cette science plus vaste est, évidemment, mieux caractérisée par le nom de sociologie; et les théories économiques sont, à plus juste titre, regardées comme l'un de ses départements. Mais l'essentiel est que, dans ce grand tableau théorique de Dunoyer, les considérations politiques les plus larges, intellectuelles et morales, sont inséparablement unies aux conceptions purement économiques. On ne saurait supposer que la liberté, inscrite au frontispice de l'ouvrage, ne vise que l'affranchissement des entraves légales ou de l'intervention administrative. Dunoyer s'en sert pour exprimer tout ce qui favorise l'efficacité croissante du travail. Et c'est ainsi qu'il est amené à étudier chacune des causes du progrès humain, et à en démontrer le rôle historique.

Dans la première partie, il discute l'influence des conditions externes de race et de culture sur la liberté, au sens large du mot. Il commence par diviser toute l'activité productrice en deux grandes classes, selon que l'activité s'exerce sur les choses ou sur les hommes. Il critique les économistes qui restreignent leur étude à l'activité matérielle. Dans sa seconde et sa troisième partie, il examine les conditions respectives de l'efficacité de ces deux formes sur l'activité humaine. Quant à l'existence économique proprement dite, il introduit une quadruple subdivision de l'industrie matérielle que, partiellement, adopta J. S. Mill: l'industrie : « 1o, extractive; 2o, voiturière; 3° manufacturière; 4o, agricole ». Cette subdivision est utile en économie physique; mais, chaque fois qu'on embrassera un plus vaste horizon, elle le cédera à celle-ci, plus communément acceptée l'agriculture suivie des industries manufacturière et commerciale. La banque les couronne subjectivement, et les règle. Dunoyer ne considérait que l'action immédiate sur les objets

matériels. I relègue tant la banque que le commerce ordinaire sous une rubrique unique, l'échange. Et il les associe à la transmission gratuite (inter vivos ou mortis causa). Il en fait une classe distincte qui ne relève plus des industries semblables à celles que nous venons de citer ce sont des fonctions irréductibles de l'économie sociale. Quant aux industries qui agissent sur l'homme, Dunoyer les subdivise selon qu'elles s'occupent de : 1o, l'amélioration de notre nature physique ; 2o, la culture de notre imagination et de nos sentiments; 3o, l'éducation de notre intelligence; 4o, l'amélioration de nos habitudes morales. En conséquence, il commence par étudier la spécialité du médecin, de l'artiste, de l'éducateur et du prêtre. Nous trouvons en Dunoyer les idées que, depuis, a si puissamment exprimées Bastiat : le véritable sujet de l'échange humain c'est le service; toute valeur est fruit de l'activité humaine; les forces naturelles assistent toujours les efforts spontanés de l'individu qui améliore sa condition, et use de prévoyance, d'énergie et de persévérance: tels sont les plus puissants moyens d'éducation sociale. Mais il dépasse certainement le but par sa conception de l'office gouvernemental, pour lui, toujours normalement repressif et jamais directif. Il fut, sans doute, conduit à ces exagérations par son opposition à l'organisation artificielle du travail que proposaient tant de ses contemporains. Contre eux, il avait à venger le principe de la concurrence. Mais la critique de ces plans revêt, suivant la remarque de Comte, un caractère trop absolu. Elle tendrait à proscrire à perpétuité la vraie systématisation industrielle.

(A suivre).

(Traduction V.-E. PÉPIN).

J. K. INGRAM.

A PROPOS D'UN MARIAGE POSITIVISTE

Le dernier numéro de cette Revue rendait compte d'une cérémonie nuptiale célébrée à la mairie du VIe arrondissement. Des circonstances indépendantes de la volonté des intéressés empêchèrent la célébration d'avoir lieu dans l'appartement d'Auguste Comte, selon nos traditions. Fâcheux à certains égards, cet empêchement ne fut pas. à mon avis, sans présenter quelques avantages.

Le cas n'est pas sans précédents : d'autres jeunes couples, auxquels Pierre Laffitte n'aurait pas refusé le local de la rue Monsieur-le-Prince, préférèrent délibérément le local d'une mairie. Il me semble qu'il y avait dans cette préférence, avec d'autres raisons sans doute, la volonté de fraterniser, en quelque sorte, avec le public émancipé, en adoptant ses mœurs.

Un grand nombre de libres-penseurs, le plus grand nombre, croyons nous, désire corriger la sécheresse des cérémonies civiles par des fêtes où les discours, les fleurs, la musique concourent pour les solenniser. Le choix des locaux municipaux n'est point si mauvais qu'on pourrait le croire : ils sont vraiment publics, tout le monde y est chez soi, et à ce titre ils conviennent parfaitement pour des fêtes à la fois familiales et civiques. Ils sont de plus entièrement indemnes de tout contact théologique et mystique, ce qui doit convenir aussi bien aux penseurs libres qu'aux positivistes.

On ne peut qu'approuver les tendances constructives d'un ordre nouveau d'où qu'elles viennent. Comment pourrions-nous, sans contradiction, ne pas sympathiser

avec ceux de nos contemporains qui se rapprochent le plus de nous, nous qui faisons profession de juger favorablement ceux qui sont encore restés dans la primitive mentalité ?

Par définition, le positivisme est l'opposé du sectarisme, qui ne va jamais sans morgue et sans dédain. Le sectaire est forcément un être anti-social avec lequel il est difficile de vivre; si nous devons l'excuser parfois, nous ne pouvons pas l'ériger en type bien équilibré de la sociabilité future.

J'avoue, pour ma part, que je vois toujours passer avec plaisir les cortèges où l'immortelle jaune ou rouge fleurit les boutonnières. Cet emblème éloquent sert grandement à la propagande des idées.

Je souhaiterais voir des petits bouquets roses ou blancs dans le rituel des baptêmes et des mariages laïques. Les dames arboreraient sans répugnance ces charmants et expressifs symboles.

Nous ne dirons pas : « ni fleurs ni couronnes »; nous dirons au contraire : « des couronnes, des fleurs»> des fleurs surtout. Nous attirerons plus facilement les femmes avec des fleurs qu'avec des sermons.

Le clergé catholique voit avec défiance l'introduction des nouveaux rites; mais il est obligé de les subir chez ses fidèles eux-mêmes; ceux-ci acceptent et demandent qu'on superpose au cérémonial ancien d'autres usages plus compréhensibles et plus naturels. Des fleurs aux mairies, des fleurs et des discours au cimetière, beaucoup de croyants les désirent et pourtant on ne peut, en aucune manière, donner des justifications dogmatiques. Le dogme catholique est plutôt contraire à ces innovations; le vrai prêtre au cimetière est celui qui prononce l'oraison funèbre et non celui qui balbutie, en hate, des paroles incomprises de la plupart des assis

tants.

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