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Les libres-penseurs lorsqu'ils s'efforcent de constituer un culte non théologique méritent nos sympathies. Je les approuve également lorsqu'ils se constituent en Société pour assurer l'exécution des dernières volontés des morts, pour présider aux cérémonies funèbres, aux mariages et aux baptêmes laïques. Pour un peu je m'inscrirais à la Société du pays que j'habite, au risque d'encourir l'anathême de quelques-uns de mes coreligionnaires.

Je suis partisan de tout ce qui se fait d'utile extérieurement à notre groupe, sans m'occuper de ce que nous pouvons offrir dès maintenant ou promettre pour plus tard aux gens en quête de nouvelles coutumes. Mettonsnous dans la tête qu'il y a des hommes très distingués qui ne se réclament point du positivisme et qui font de la propagande excellente, souvent avec plus d'esprit et d'habileté que nous. J'y pensais en lisant la collection des discours d'Anatole France que vient de publier magnifiquement notre confrère Édouard Pelletan (1); lisez le discours qui traite des guerres coloniales, lisez-les tous et dites-moi si nous pourrions faire mieux et agir avec autant de force sur l'opinion. Le jour où Anatole France parlera du Culte de l'Avenir, il le fera infiniment mieux que nous : il le fera en philosophe bienveillant et en artiste.

Ce culte se constituera inévitablement avec la participation du grand public, arbitre de ce qu'on doit accepter et de ce qu'il faut rejeter. Il n'en fut pas autrement dans le passé; rien de durable ne se fit sans la coopération de tous. Les idées les plus générales, les plus généreuses, sont la résultante d'un travail collectif sourd mais très réel. Le plus puissant esprit, le philosophe le plus original doit beaucoup à ses prédécesseurs, mais il

(1) Bibliothèque sociale et philosophique à soixante centimes: Vers les Temps meilleurs, 3 volumes, 125, boulevard Saint-Germain.

doit aussi quelque chose à ceux qui vivent de son temps. Qui donc pourrait nous raconter avec certitude la genèse d'une grande idée, qui donc pourrait rendre compte de ce qui est dû à un mot surpris, par un homme supérieur, au cours d'une conversation?

Auguste Comte, philosophe éminent parmi les éminents, a reconnu maintes fois l'appui intellectuel que le public prête au penseur de profession. Qu'est-ce donc ce qu'il appelle « le bon sens universel » et dont il parle constamment? Le bon sens universel fera son œuvre pour édifier les fêtes futures privées ou publiques; il s'agit de tout autre chose ici que du dogme de l'infaillibilité populaire, aussi discrédité que celui de l'infaillibilité spirituelle; il s'agit de l'assentiment réfléchi, mûri par le temps, que les cerveaux sains et actifs donnent aux conceptions des penseurs. Soyons persuadés que les cerveaux dont je parle sont très nombreux.

Dans tout ce qui se rapporte à la vie sociale, l'assentiment de la masse est indispensable pour rendre les conceptions efficaces et leur servir de vérification. Suis-je hérétique parce que j'insiste sur ce qu'Auguste Comte a dit et redit?

La rénovation cultuelle ne se fera pas à la suite d'une systématisation prématurée, qui ressemblerait trop à une révélation extra-naturelle; elle ne résultera pas non plus d'une parodie fâcheuse du culte catholique. Entre le catholicisme et le positivisme, entre la théologie et la science, les différences sont telles qu'on peut difficilement concevoir la ressemblance cultuelle. Au lieu du mystère, au lieu de rites obscurs, il nous faut de la clarté, il nous faut de la beauté. Trouvons-nous de la beauté de nos jours dans les pompes catholiques?

J'assistais récemment à Saint-Sulpice, un dimanche, à la grand❜messe, sur le côté gauche, tout près du centre de l'action. J'avais été attiré du dehors par les sons de

l'orgue et dans l'espoir d'éprouver d'agréables émotions dans ce lieu qui doit servir de modèle à toutes les églises de France. Les officiants vêtus d'oripeaux aux couleurs inharmonieuses évoluaient au milieu d'objets dorés d'un vilain ton jaune ; l'un d'eux chantait faux ; un autre avait une voix rauque des plus désagréables. Bref, tout choquait mes yeux et mes oreilles, et pourtant, je l'assure, je n'avais aucun parti-pris malveillant. Pouvons-nous copier cela, devons-nous « solder » une partie de l'horrible bric-a-brac religieux fabriqué autour de la grande église de Paris?

Non, cela est impossible, il vaut mieux mille fois la simplicité imposée par nos mœurs, simplicité qui n'est pas sans charme; ou bien, si nous devons chercher des embellissements, il faut le faire avec tact et avec un goût affiné. Il faut qu'un œil délicat, il faut qu'une oreille exercée ne puissent rien trouver à reprendre; c'est à la fois désirable et possible avec les ressources de notre époque.

On peut et on doit décorer artistement les temples futurs et, en attendant, les salles que les maires républicains concèderont volontiers; on peut y faire entendre de la bonne musique bien exécutée. Appelons de tous nos vœux la création d'associations pour donner aux travailleurs le bénéfice de ces améliorations: la situation est favorable à souhait. Il n'est nul besoin d'exagérer l'éclat des cérémonies nouvelles; la grande pompe est absorbante à l'excès et s'oppose au paisible exercice de l'intelligence. Gardons les splendeurs, gardons les beaux costumes pour les grands théâtres nationaux : là tout est permis.

Ces théâtres, annexes du temple de l'avenir, il faut les rendre accessibles à tous en limitant la jouissance des riches. Il n'est pas nécessaire d'assister fréquemment aux grands spectacles pour en tirer un véritable profit.

S'il est bon que nous puissions tous goûter la joie d'oublier la vie de tous les jours, de rêver du passé, de rêver de l'avenir, il serait nuisible de le faire trop souvent. L'oubli momentané des misères de l'existence que les liqueurs de feu donnent aux ouvriers, le théâtre régénéré le procurera plus sainement. Avec un bon système de roulement la diffusion des plaisirs du théâtre est certainement très praticable.

Quoi qu'il en soit plus tard de la réorganisation des théâtre nationaux et de celle des temples, il faut nous garder de serviles imitations et ne point endosser des défroques usées. Le catholicisme, d'ailleurs, n'est pas, tant s'en faut, la seule religion où nous pourrions chercher des exemples. Les Chinois, par exemple, beaucoup plus près qu'on ne l'imagine de l'état normal, ont des usages gracieux ou touchants que nous pourrions adopter. Je ne verrais que des avantages à le faire; en empruntant quelque chose aux confucéistes, nous préluderions à l'universelle concorde.

C. MONIER.

25 août 1906.

LA

TROISIÈME RÉPUBLIQUE

(Suite).

II

Réorganisation de la défense nationale.

Après la libération du territoire, l'opération la plus urgente et la plus importante que le gouvernement de la troisième République dut effectuer, fut, sans contredit, la réorganisation de la défense nationale.

Les Allemands nous ayant surtout été supérieurs par leur nombre, en 1870, ou plutôt par le système de la nation armée, on reconnut, tout d'abord, la nécessité de faire passer, sous les drapeaux, une plus grande masse de soldats, en supprimant, d'un côté, le recrutement des contingents, par voie de tirage au sort, en prolongeant, de l'autre, la durée totale du service militaire.

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Le service actif, intensif, réduit à trois années, rencontra même, immédiatement, de très nombreux zélateurs; mais il se heurta contre une opposition irréductible de Thiers, qui le croyait incompatible avec la formation de sous-officiers expérimentés, et qui fit, de sa non adoption, une question de gouvernement, parce qu'il persistait à considérer que l'armée devait servir autant à la police intérieure, qu'à la défense nationale.

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