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La situation de l'Inde était, il n'y a pas très longtemps encore, couramment citée comme une preuve indéniable des bienfaits de notre Empire. On croit toujours qu'il en est ainsi, mais on le dit moins souvent. Une série de grandes famines, le retrait de quelques-unes des rares concessions faites au peuple, les énergiques protestations des Hindous instruits ont, en rendant douteuse la réussite de notre autorité dans l'Inde, donné beau jeu à la controverse comment est-il possible, en effet, de faire grand cas d'un accroissement de prospérité qui a pour contre-partie des famines plus fréquentes et plus étendues et de se glorifier de la justice et de la générosité d'un pouvoir qui n'inspire que peu d'attachement et beaucoup de mécontentement? Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les Impérialistes se soient volontiers tournés vers l'Egypte où le succès de notre domination semblait ne pouvoir donner matière à aucune ambiguïté. La situation était, à la vérité, de celles qui ne peuvent que profiter largement des avantages d'une administration civilisée. Pendant longtemps, le pays

avait été mal gouverné. Le sentiment national n'était guère développé et les plus hauts postes avaient souvent été occupés par des étrangers. La masse du peuple avait été très opprimée et n'obtenait que rarement justice. Et par dessus tout, le caractère physique de la contrée offrait un champ extraordinaire pour une utilisation particulièrement profitable de l'habileté et des capitaux.

Dans l'Inde, aucun des travaux entrepris par les nôtres n'a eu plus de succès que l'irrigation du pays situé à l'embouchure de quelques grands fleuves. Mais le profit obtenu ne fut rien comparativement à l'étendue et à la pauvreté de l'Inde. En Egypte, au contraire, les grands travaux d'irrigation commencés, il est vrai, longtemps avant notre époque, mais préservés et considérablement étendus par nous, ont porté la richesse et la prospérité dans le pays tout entier. Si l'on ajoute que cette grande transformation a eu lieu sous la haute direction de Lord Cromer, un des plus capables et des plus sympathiques parmi les grands administrateurs qui, dans les deux derniers siècles, ont fait honneur à l'Angleterre, on concevra que l'occasion fut pour nous exceptionnelle de faire de bonne besogne en Egypte.

Et cependant, après plus de vingt ans, nous n'avons pas réussi à gagner la confiance et l'affection du peuple; notre bienfaisante autorité s'appuie autant, sinon plus que jamais, sur notre pouvoir militaire et on ne saurait prévoir la fin de la domination par la force. Un récent événement le meurtre d'un officier anglais par des villageois égyptiens, l'exécution de quatre des coupables, la fustigation des autres, après jugement par une Cour spéciale a appelé l'attention du public sur des éléments de trouble et de danger qui étaient presque oubliés; et le discours de Sir Edward Grey, s'élevant contre l'emploi d'un langage susceptible d'envenimer la situation, ne peut manquer de faire naître dans ce pays un senti

ment d'insécurité. Sir Edward, s'exprimant sans ambages, en pleine connaissance de cause, terminait ses remarques par ces mots :

« Je sais que la Chambre est certainement résolue à <<< ne pas consentir à la destruction de notre œuvre en << Egypte; mais si au cours du débat actuel, quelques<< uns de ses membres venaient à parler ou à mani«fester, de façon à affaiblir l'autorité du Gouver<<nement égyptien, le Ministère pourrait se trouver, à << un moment donné, forcé de prendre d'autres mesures; <«<et ces mesures que motiveraient une circonstance cri«tique, personne ne les regretterait plus que le présent <«< Gouvernement et la présente Chambre des Communes, «bien qu'ils puissent être contraints d'en prendre la «< responsabilité. » (Rapporté par le Times du 6 juillet.) Ainsi, après vingt ans d'un succès sans précédent, il semble que notre autorité soit encore mal assurée, que notre garnison, après avoir été largement réduite, doive être de nouveau augmentée, et que notre Gouvernement puisse avoir, dans un avenir prochain, à recourir à de nouvelles et plus sévères mesures de répression.

Quelles sont les causes de cette dangereuse situation? Il est habituel de s'en prendre au fanatisme musulman qui, dans ces derniers temps, se serait développé par toute l'Afrique du Nord.

Sans doute, la discussion survenue récemment, à propos de frontières, avec le Sultan de Turquie, a déterminé une profonde agitation parmi les Mahometans d'Egypte. Mais beaucoup d'autres causes ont concouru à augmenter le mécontentement occasionné par notre autorité. Les patriotes égyptiens, qu'ils soient ou non fanatiques, ne peuvent manquer de remarquer que notre volonté de pourvoir le pays d'une bonne administration l'a privé d'hommes d'Etat indigènes. Les organes se sont atrophiés depuis que nous avons entrepris d'accomplir

à

la fonction. Nubar Pacha et Riaz Pacha appartiennent au passé et ils n'ont pas laissé de successeurs. Tout d'abord, il est vrai, cette substitution de l'administration européenne concernait seulement les plus hauts postes et on ne pouvait que se féliciter du petit nombre d'Anglais employés. Mais en pareil cas, la tendance est toujours à l'augmentation. Le professeur Dicey, qui est un ferme soutien de l'Empire, caractérise ainsi, dans la Revue de l'Empire du mois de mai, le résultat obtenu : « Tout le << travail de l'administration a été confié à de nombreux << fonctionnaires anglais. L'élément indigène a été peu peu éliminé de tous les postes élevés. Les fonction<< naires britanniques, pour la plupart imparfaitement << familiarisés avec la langue, les lois, les habitudes, les << traditions et la religion de la population indigène, se « sont employés à réorganiser le pays conformément aux <«< idées anglaises que la grande majorité du peuple égyp<< tien ne pouvait ni comprendre, ni apprécier. Les << pachas, les riches propriétaires, les cadis, les cheiks <<< et les classes instruites, composées surtout d'Arméniens, « de Syriens, de Cophtes, ont été dépouillés de la haute << autorité qu'ils exerçaient au moment de notre occupa<< tion et cette mesure a eu des résultats moins que satis<< faisants. >>

Il n'est guère dans la nature humaine d'apprécier les bienfaits d'un bon gouvernement imposé par la force, et ce qui semble souverainement juste aux citoyens britanniques, peut être tenu pour flagrante injustice par leurs sujets récalcitrants.

Il n'est pas dans mon intention de discuter les récents incidents et les évènements qui les ont précédés, puisqu'on nous a promis, à ce sujet, des renseignements détaillés et authentiques dans un avenir prochain. Cependant, deux points, que personne ne conteste, jettent quelque lumière sur les difficultés que rencontre notre

autorité. En prenant quatre vies pour une, la cour spéciale qui a jugé les coupables nous a mis dans le cas de froisser les sentiments des plus dévoués adhérents de l'Islam. D'autre part, ceux qui avaient, sur la justice, les idées européennes, ont été révoltés de ce que cette cour, mettant à profit la latitude qui lui était laissée dans l'application de la peine, ait infligé celle du fouet à quelques autres inculpés, bien que la fustigation ne soit pas permise par la loi usuelle de l'Egypte en matière criminelle et que notre Gouvernement se soit, entre autres choses, donné pour but de délivrer le peuple de telles punitions.

Dans un récent Livre blanc (Cd. 3006), Lord Cromer fait allusion au désir grandissant d'institutions libres et émet l'idée qu'il n'est pas impossible à l'autorité anglaise d'en doter le pays. Cet espoir est sûrement le naturel antidote du fanatisme; mais il faut pardonner aux Egyptiens de penser que le nouveau Gouvernement a causé des maux inconnus sous l'ancien. Autrefois, les despotiques gouverneurs du pays étaient dirigés par les mêmes principes et étaient exposés à subir les mêmes dommages que les peuples sur lesquels ils exerçaient leur autorité. La justice étrangère doit souvent être considérée comme la pire injustice et des aspirations inassouvies vers la liberté ne font que rendre le despotisme plus dur à supporter. On admet généralement qu'un grand progrès matériel a été réalisé sous notre autorité. Mais l'homme ne vit pas seulement de pain. Notre gouvernement peutil être considéré comme ayant réussi, alors que nous régnons par la force sur un peuple mécontent et malveillant?

Peu s'en faut que nous ne soyons obligés de reconnaître que tandis que notre domination a, tout à la fois, fait à l'Egypte du bien et du mal, elle n'a eu pour nous que de mauvais résultats. Elle a été l'école d'administrateurs élevés dans les principes d'un heureux despotisme

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