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et prêts à sacrifier la liberté à cet habile et puissant système d'administration qu'ils appellent « le succès pratique ». Pour la honte et le plus grand dommage de l'Angleterre, pour la ruine et la misère de l'Afrique du Sud, elle fut aussi l'école de Milner.

S. H. SWINNY.

(Traduit de la Positivist Review du 17 Dante 118, par A. MICHEL.)

ESQUISSE

D'UNE

HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

(Suite)

Temps modernes

CHAPITRE V

Troisième Phase moderne :

LE SYSTÈME DE LIBERTÉ NATURELLE

Amérique.

Ici, il convient de considérer à part et d'étudier les théories de l'économiste américain Carey. Minime était, avant lui, la contribution économique des États-Unis. Benjamin Franklin, de l'univers connu, avait bien composé quelques traités. Mais ils n'énoncent pour la plupart que des leçons pratiques d'industriosité et d'économie. Certains émettent cependant des théories intéressantes. Ainsi, cinquante ans avant Smith, il saisit, après Petty toutefois, que le travail humain est le vrai module de la valeur (Modest Inquiry into the Nature and Necessity of a Paper Currency, 1721). En ses Observations concerning the Increase of Mankind (1751) il formule des opinions voisines de celles de Malthus. En 1791, Alexander Hamilton, secrétaire de la Trésorerie, présente à la Chambre des Représentants des États-Unis, en sa qualité officielle, un Rapport (1) sur les moyens de développer

(1) Hamilton's Works, édités par H. C. Lodge : vol. III ; p. 294.

les manufactures nationales. Sur ce sujet, sa théorie est toute critique. Il ne croit à la possibilité pratique du système smithien que si toutes les nations l'adoptent simul tanément. Pour lui, la manufacture est plus productive que l'agriculture. Il s'escrime à refuter les objections qu'on présente contre le développement de l'industrie en Amérique objections basées sur le manque de capitaux, sur le haut taux des salaires, sur le bon marché de la terre. Voici sa conclusion: pour créer des manufactures en Amérique, un système de droits protecteurs modérés est nécessaire; et il prend soin de le tracer. On a quelque raison de croire que l'économiste allemand List, dont nous parlerons bientôt, subit l'influence de cette œuvre d'Hamilton. Durant son exil, il avait s'éjourné, en effet, aux États-Unis.

Henry Charles Carey (1793-1879), fils d'un citoyen américain émigré d'Irlande, représente la réaction contre le caractère décourageant que les doctrines smithiennes avaient prises entre les mains de Malthus et de Ricardo. Il avait un but. Adepte de l'économie individualiste, il voulait l'élever sur des bases plus sûres, et la fortifier contre les assauts du socialisme auxquels les dogmes ricardiens la laissaient exposée. Son exposé le plus clair et le plus mûri fait l'objet de ses Principles of Social Science (1859). Inspiré par le sentiment optimiste naturel à une jeune et vigoureuse nation, aux ressources riches et vierges ouvertes aux libres espoirs, Carey cherche à montrer qu'il y a, indépendamment des volontés humaines, un système naturel de lois économiques, essentiellement bienfaisant. La prospérité croissante de l'ensemble de la population, et, en particulier, des classes ouvrières, est son résultat spontané. Il ne peut être neutralisé que par l'ignorance ou par la perversité de l'homme qui lui lui résiste ou qui entrave son action. Carey repousse la doctrine malthusienne sur la population. Il

soutient que la démoticité se régularise automatiquement d'une façon satisfaisante, dans toute société bien gouvernée; et que la pression des moyens de subsistance caractérise les époques les plus attardées, et non les plus avancées en civilisation. Il nie, avec raison, l'universalité pour tout stade de civilisation, de la loi de diminution des revenus fonciers. Son mérite théorique principal est d'avoir distingué entre la richesse et la valeur.

La richesse a été confondue, par la plupart des économistes, avec le montant des valeurs d'échange. Et Smith, après les avoir tout d'abord distinguées, s'est laissé choir dans cette erreur. Ricardo en avait bien fait ressortir la différence, mais seulement sur la fin de son travail, dont le fond ne considère que la seule valeur. Les récents économistes anglais ont essayé de concentrer exclusivement leurs études sur l'échange; si bien que Whateley propose d'attribuer à cette science le nom de Catallactique. Dès que la richesse est prise pour ce qu'elle est réellement, c'est-à-dire une qualité de produits utiles, on comprend qu'elle provient du concours de la nature extérieure, qui apporte ses matériaux et ses forces brutes, avec le travail humain qui approprie et adapte ces matériaux et ces forces naturelles. La nature donne gratuitement son concours. Le travail est l'unique base de la valeur. Moins nous approprions ou employons les forces naturelles à notre industrie, et plus grande est la valeur du produit ; par contre, moindre est le rapport de la richesse créée au travail dépensé. La richesse, dans son vrai sens de lot de choses utiles, mesure notre pouvoir d'action sur la nature; tandis que la valeur d'un objet exprime la résistance naturelle que le travail a surmonté pour le produire. La richesse croît nécessairement avec le progrès social. La valeur d'échange des objets, au contraire, décroît. L'intelligence de l'homme, jointe à sa sociabilité, assure le progrès de sa domination sur les activités na

turelles. Elle s'aplique de plus en plus à la production. Une quantité moindre de travail est dépensée pour obtenir un résultat. Conséquemment la valeur du produit diminue. La valeur d'un article ne dépend pas du coût de sa production dans le passé. En réalité, ce qui le détermine, c'est le coût qu'exige sa reproduction dans les conditions actuelles de la science et de la technique. Cette conception de la dépendance de la valeur envers le coût est considérée par Carey comme toujours vraie. Pourtant Ricardo ne l'acceptait que pour les objets susceptibles de multiplication indéfinie; et, en particulier, ne la croyait pas applicable à la terre. Ricardo voit dans la productivité du sol un bienfait naturel qu'ont accaparé un certain nombre de personnes ; et qui acquiert, en raison de la demande croissante de nourriture, une valeur de plus en plus grande entre les mains de ses possesseurs. Aussi, qu'à cette valeur qui ne résulte pas du travail, le propriétaire n'ait aucun droit est thèse licite. Il ne saurait réclamer avec justice le paiement du travail «< des forces natives et fixes du sol ». Mais, pour Carey, la terre - et il en est de même, nous l'avons vu, dans l'existence industrielle est, en réalité un instrument de production dû au labeur humain; sa valeur vient du travail qu'y ont dépensé les générations. Cependant, elle se mesure non point sur la grandeur de ce travail, mais sur le travail qu'exigerait, dans les conditions actuelles, l'aménagement du sol pour ce même état de productivité. Carey étudie l'occupation et l'appropriation' de la terre avec l'avantage spécial d'un Américain pour qui les traditions du premier établissement sont vivantes ou récentes, et devant les yeux de qui l'événement vient à peine de s'effacer. Les difficultés de donner à un sol primitif la propriété d'adapter les produits organiques à l'usage de l'homme ne peut être clairement aperçu que par l'habitant d'une contrée de longue culture. C'est,

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