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peuvent refroidir leur courage. Aux obstacles qu'elles rencontrent, elles devinent qu'une haute combinaison stratégique, un éclair de génie, ont pu seuls inspirer à Bonaparte une pareille entreprise... Le centre de l'armée des Alpes atteint l'hospice du mont Saint-Bernard, le point le plus élevé de cette chaîne où l'homme ait osé fixer sa demcure. Les religieux accueillent comme des frères, les soldats républicains; de généreuses boissons réchauffent leurs membres engourdis, et ils reprennent leur marche avec une nouvelle ardeur (2).

L'Europe croyait l'armée de réserve à Dijon, Bonaparte à Paris, et la France à la veille d'être vaincue; lorsque soixante mille hommes d'infanterie et de cavalerie, une artillerie nombreuse et le vainqueur de Rivoli lui-même, descendaient le revers des Alpes avec la rapidité du torrent. L'aile gauche, venant du Simplon et du SaintGothard, tombe à l'improviste sur les troupes autrichiennes campées à Bellinzonna et Chiavena, coupant ainsi les communications de Kray et de Mélas. L'aile droite, ayant franchi le petit SaintBernard, les monts Cénis et Genèvre, occupe, sans coup férir, Avigliano et les vallées environnantes. Le centre s'empare d'Aoste, et arrive devant le fort de Bard. Ce fort, situé dans une vallée, fermait le passage à l'armée française; il était à l'abri d'un coup de main. Bonaparte, profitant d'une nuit obscure, fait envelopper de foin les roues des canons, couvrir la route de fumier, et les républicains passent impunément sous les batteries autrichiennes. Quelques bataillons restent dans la vallée, et investissent le fort, qui capitule bientôt après. Deux lieutenants de Mélas essaient en vain de défendre, avec dix mille hommes, le passage de la Chiusella; ils sont dispersés au premier choc. Ivrée et sa citadelle sont occupées. Pavie ouvre ses portes et fournit à Bonaparte du bronze et des munitions considérables; le Tessin et la Sessia sont franchis. Vingt-cinq jours après son départ de Paris, le premier Consul entre à Milan, salué par les acclamations des patriotes italiens. Mélas apprend avec stupeur que les Français l'ont tourné, lui ont coupé ses

communications par des chemins incroyables, et que la république cisalpine vient d'être reconstituée.

Ainsi se trouvait résolu le grand problême que Bonaparte s'était proposé dans ses veilles aux Tuileries. Il avait fait surgir, à l'improviste, une armée au centre de la Lombardie. Les immenses lignes de la coalition étaient brisées par le milieu. Une seule bataille suffisait pour lui rendre toute la péninsule. Le génie de guerre venait d'atteindre au sublime.

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On a si souvent comparé et mis en parallèle le passage des Alpes de Bonaparte et le passage des Alpes du général carthaginois, qu'il n'est plus permis de parler de l'un, sans dire de l'autre quelques mots. La question est vidée aujourd'hui au profit des temps modernes. Ce ne sont pas précisément les obstacles matériels de ce passage, qui font la gloire du premier Consul, mais ces splendides manœuvres par lesquelles il se plaça entre l'Autriche et le général ennemi campé aux portes de la France. Annibal fit-il autre chose,

Jui, que de marcher directement sur Rome, en franchissant la

chaîne qui sépare la péninsule du continent? Scipion, qu'il allait combattre, avait, en cas de revers, sa retraite assurée sur la ville Capitoline; Mélas, menacé par Bonaparte, ne trouvait derrière lui que les flots de la Méditerranée. Il y a, entre le général carthaginois et le capitaine français, toute la distance qui sépare l'audace du génie.

Pendant que Bonaparte étonnait l'Italie par ses succès inespérés, Massćna, ignorant quelles forces imposantes marchaient à son secours, avait obtenu une honorable capitulation. L'armée française, épuisée par la plus horrible des famines, ne pouvait tenir vingt-quatre heures de plus. Tous les honneurs de la guerre lui furent accordés; elle sortit de Gênes avec la faculté de se rendre en France par le chemin qui lui conviendrait, emportant ses armes, ses bagages et ses munitions. Encore un jour, et Gênes était sauvée, car, non-seulement la nouvelle de l'entrée de Bonaparte à Milan aurait fait lever à Mélas le siége de cette place, mais le général Suchet ayant repoussé sur le Var les attaques des Autrichiens

reprenait l'offensive et marchait au secours de Masséna à grandes journées.

Mélas, en apprenant le passage des Alpes par l'armée française, avait cru un instant que le but de Bonaparte était la délivrance de Gênes et qu'il allait prendre tout de suite la direction du Piémont. Aussi, il s'était porté rapidement sur Turin, où il avait établi son quartier général, laissant à un de ses lieutenants, le général Otto, le soin de pousser le siége de Gênes. C'est entre les mains de ce dernier que Masséna avait remis les clefs de la place. La prise de Milan et le rétablissement de la république cisalpine désabusèrent Mélas. Il donna immédiatement à ses divisions l'ordre d'évacuer le Piémont, de se concentrer sur Alexandrie et de marcher au secours de Parme, de Plaisance et de Mantoue. Pris entre le Pô et la mer, il ne lui restait d'autre issue que du côté de cette dernière ville. Il était sauvé, s'il parvenait à passer le fleuve avant Bonaparte. Il se dirigea à marche forcée sur Alexandrie, tandis que le général Otto, à la tête de dix-huit mille hommes, se hâtait de gagner Pavie, dont il ignorait l'occupation par les républicains.

Bonaparte ne donne pas le temps à ses deux antagonistes de recueillir quelque avantage de leur manœuvre. Quatre jours après l'entrée à Milan, l'avant-garde républicaine, commandée par Lannes, pointe jusqu'aux rives du Pô, y disperse une division ennemie, franchit le fleuve et s'établit à la Stradella. Murat marche, de son côté, sur Plaisance, surprend un passage au-dessous de la ville, attaque les Autrichiens à la baïonnette et les culbute sur la route de Parme. Bonaparte porte alors son quartier général à Pavie et pousse lui-même jusqu'à Broni avec l'avant-garde. En s'emparant aussi brusquement de la rive droite du Pô, il se place entre Mélas qui se trouve du côté d'Alexandrie, et Otto qui est parvenu à s'établir à Montebello et à Casteggio, sur la route de Plaisance.

La position des Autrichiens, déjà fâcheuse, malgré leur immense supériorité numérique, fut encore aggravée par un nouveau danger. Le général Suchet, victorieux sur le Var, avait opéré sa jonction

avec la garnison française de Gênes conduite par Masséna. Il s'était fortement retranché dans les défilés des Appenins, et il menaçait de-là les flancs de l'armée ennemie.

Mesurant d'un seul coup d'œil tous les avantages du terrain, le premier Consul résolut de profiter de l'isolement du général Otto, pour l'attaquer et le battre séparément. Lannes, Murat et Victor se tinrent prêts, et une chaleureuse proclamation vint réveiller l'enthousiasme des soldats de la république.

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Soldats, leur dit Bonaparte, un de nos départements était au pouvoir de l'ennemi; la consternation était dans tout le midi de «la France. La plus grande partie du territoire ligurien, le plus fidèle ami de la République, était envahie. La République cisalpine, anéantie dès la campagne passée, était devenue le jouet « du grotesque régime féodal. Soldats! vous marchez... et déjà « le territoire français est délivré ; la joie et l'espérance, succèdent dans notre patrie, à la crainte et à la consternation. Vous rendrez « la liberté et l'indépendance au peuple de Gênes : il sera pour toujours délivré de ses plus cruels ennemis. Vous êtes dans la capitale de la Cisalpine; l'ennemi, épouvanté n'aspire plus qu'à « regagner ses frontières; vous lui avez enlevé ses hôpitaux, ses magasins, ses parcs de réserve le premier acte de la campagne « est terminé. Des milliers d'hommes, vous l'entendez tous les jours, « vous adressent des actes de reconnaissance.

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« Mais aura-t-on donc impunément violé le territoire français ? • Laisserez-vous retourner dans ses foyers l'armée qui a porté « l'alarme dans vos familles? Vous courez aux armes!.. Eh bien, a marchons à sa rencontre, opposons-nous à sa retraite ; apprenons « au monde que la malédiction du destin est sur les insensés qui osent insulter le territoire du grand peuple. Le résultat de nos « efforts sera gloire sans nuage et paix solide. »

Les troupes du général Otto étaient fortes d'environ seize mille hommes; elles occupaient Casteggio, dont les hauteurs étaient couronnées par une artillerie considérable: elles avaient une faible réserve à

Montebello. A peine la proclamation que nous venons de lire eut-elle parcouru les rangs de nos soldats, que la division Watrin, formant l'avant-garde, se mit en mouvement, engagea le combat, et obtint d'abord un léger avantage; mais les Autrichiens revenus d'une première surprise, chargèrent avec impétuosité, et se rétablirent sur le terrain qu'ils avaient perdu. Le village de Casteggio fut occupé tour à tour par chacun des combattants. Une seconde division vint prendre part à la bataille; le général Lannes lui-même se mit à la tête de la colonne du centre et marcha directement sur le village qui était devenu le point important de l'action. Enfin, après cinq heures d'efforts inouïs, Casteggio demeura au pouvoir des républicains. Otto se replia sur Montebello, et y forma un nouvel ordre de bataille, de manière à recommencer la lutte avec avantage. Il allait peut-être reprendre l'offensive, lorsque Bonaparte arriva avec une réserve de six bataillons commandés par le général Victor. Les Autrichiens furent vigoureusement abordés à la baïonnette; ils opérèrent leur retraite dans un grand désordre. Otto, après avoir jeté une garnison dans Tortone, vint rallier ses troupes dans la plaine de San-Giuliano. Cette journée reçut le nom de Montebello. Elle coûta aux ennemis trois mille hommes tués, cinq mille prisonniers et six pièces de canon.

Mélas, peu soucieux de ce premier échec, se décida aussitôt à terminer la campagne par un engagement général, et il prit ses dispositions pour cela. La journée de Montebello n'avait été qu'une rencontre d'avant-garde, sanglante il est vrai, mais qui ne préjugeait rien. Dans une bataille rangée, toutes les chances semblaient en faveur de l'Autriche. Elle avait sous ses drapeaux cinquante mille combattans aguerris, une cavalerie superbe et une formidable artillerie. Les forces des républicains allaient à peine à trente mille hommes; la plupart d'entr'eux en étaient à leur première campagne; leurs escadrons étaient peu nombreux, et leurs parcs incomplets. Mélas donne l'ordre à son lieutenant Otto de se rapprocher et de passer la Bormida, en laissant toutefois une arrière-garde dans le

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