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eurent et ont encore toutes facilités de communications et d'épanchements; magistrats civils et militaires, fonctionnaires et employés de toute sorte n'épargnèrent ni leur temps, ni leur peine à réparer, autant qu'il fut en eux, les désastres et les afflictions privées. La bénignité du fils d'Hortense se communiquait, comme sa volonté absolue, aux derniers agents du gouvernement et donnait une autorité de plus à ces vérités que nous espérons voir un jour vulgarisées: que la tolérance n'enlève à la justice aucun de ses droits; qu'un pouvoir à qui la foi de tous donne la force qui fonde, se perpétue en conquérant l'affection qui sanctifie, et que, semblable à la religion qui est amour parce qu'elle est vérité, un vrai gouvernement peut parfois s'appeler la Clémence sans cesser de s'appeler la Loi.

A la suite de la bataille du 4, où des passants inoffensifs avaient été victimes de la terrible fusillade des brigades Reibell et Canrobert, les plus monstrueuses exagérations coururent Paris et la France. On parlait de centaines, de milliers même de personnes massacrées de sang-froid et à bout portant par des soldats ivres de sang et de poudre, et les calomnies renouvelées de Juin, avec cette différence pourtant que maintenant ce n'étaient plus les démagogues, mais les anciens conservateurs qui accusaient l'armée: ces calomnies n'ont pas été partout détruites. Les chiffres douloureux, mais enfin peu considérables, publiés par la voie officielle, ont été taxés de mensonge. C'est pour nous un devoir de reprendre, et avec l'impartialité mathématique de l'honneur et de la vérité, de rétablir ces chiffres, dont nous croyons être

qu'au 1er janvier. La notification officielle en fut envoyée au Moniteur par M. de Morny, à la suite de démarches faites, dès le 5, par les familles de quelques représentants appartenant à l'opposition

avancée.

assez sûr pour que les incrédulités les plus persistantes encore se rendent enfin à l'évidence.

D'abord, pour ce qui concerne l'armée, on a pu voir dans l'admirable rapport du général Magnan, cité plus haut, que le nombre des morts, au 10 décembre, ne s'élevait qu'à 24, dont un officier (le regrettable lieutenantcolonel du 72o), et celui des blessés à 184, ainsi répartis : 167 soldats et 17 officiers. Ce dernier chiffre a diminué depuis le rapport, puisque plusieurs blessés sont sortis guéris des hospices; mais depuis le rapport aussi, 3 soldats sont morts par suite de leurs blessures, ce qui porte le chiffre des morts de l'armée à 27 (1).

Quant aux blessés civils, nous avons sous les yeux la liste dressée par un homme dont le nom, dans la science et dans l'administration, est synonyme de talent, de probité et d'intelligence, M. Trébuchet, chef du bureau de la salubrité à la Préfecture de police, le successeur et l'émule de Parent-Duchatelet, qui éleva, on le sait, ces fonctions jusqu'au génie. M. Trébuchet a constaté lui-même, dans les hôpitaux, dans les ambulances, à la Morgue, dans les prisons et dans les cimetières, avec la patience du savant et la conscience de l'administrateur, non-seulement l'état civil, mais l'état morbide et moral de chaque cadavre, et sur chaque cadavre sa main a pu jurer que, devant Dieu et devant les hommes, ce corps, couché sans vie par une balle, de son vivant s'appelait bien du nom inscrit par lui, savant et fonctionnaire, sur l'étiquette clouée à la civière funèbre. C'est lui qui, le matin même du 5, expédiait aux cimetières les corps entassés dans les seize ambulances établies la veille, rues du FaubourgMontmartre, 4, et Montmartre, 4; boulevard Bonne-Nouvelle, 8, rue du Faubourg-Saint-Denis, à l'entrepôt des Marais, rue de Bondy, boulevard Saint-Martin, rue de Cléry, rue Saint-Martin, au Théâtre-Historique, rue du Temple, à l'Hôtel de Ville, au Luxembourg, et enfin, à la mairie du 11e arrondissement. Ces convois lamentables se subdivisent dans l'ordre suivant :

(1) Voir la note E aux Pièces justificatives.

TRENTE-CINQ, provenant de l'ambulance de la cité Bergère (tués sur les boulevards Montmartre et Poissonnière), ci

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TROIS, transportés au même cimetière, par ordre des commissaires de police, ci.

QUARANTE-TROIS, provenant des barricades et portés à la Morgue, ci.

CENT-DIX, la plupart insurgés, décédés dans les hôpitaux; quelques-uns, inoffensifs, morts dans leur domicile, ci.

Total, cent quatre-vingt onze, ci.

35

3

43

110

191 (1)

Et si nous ajoutons à ce premier total les vingt-sept morts de l'armée, nous trouvons qu'un total définitif de DEUX CENT DIX-HUIT personnes mortes par suite de l'insurrection des 3 et 4 Décembre 1851, est le seul chiffre exact et possible du nécrologe de ces deux fatales journées. C'est trop, sans doute, et un deuil éternel attristera l'humanité et la patrie au souvenir des cinquante ou soixante infortunées victimes du guet-apens, dans lequel tombèrent à la fois et les tués et les tueurs, car cette décharge meurtrière ne fut qu'une riposte aux coups de feu tirés sur les soldats par des gens qui comptaient bien « exploiter le massacre; » sans doute, le sang innocent est irréparable et crie justice dans le cœur des bons citoyens, quoique les mauvaises passions crient vengeance; mais enfin, ce malheur qui pouvait être plus immense encore, n'a eu ni les proportions excessives que lui prêta la malveillance, ni le caractère atroce que la démagogie victorieuse, par exemple, n'eût pas manqué de donner à son triomphe. Si quelque chose enfin pouvait atténuer ce désastre, et nous ne dirons pas consoler, mais rassurer la douleur publique, c'est que la conscience du Gouvernement eut la satisfaction douloureuse d'avoir prévu dès la veille, et d'avoir tout fait, du moins, pour empêcher cette sinistre éventualité. La proclamation du Préfet de police

(1) Voir aux Pièces justificatives, note F, la liste alphabétique des morts appartenant à ces quatre catégories, liste que nous avons publiée le premier et que nous maintenons complète, quoi qu'en aient dit les ennemis du Gouvernement.

disait clairement à tout le monde: « N'allez pas sur les boulevards; ne vous mêlez pas aux attroupements, car ils seront dissipés par les armes et sans sommations préalables. » Il est hors de doute que si la troupe, assaillie par tant de côtés à la fois, n'eût pas pris le parti d'écraser instantanément et exemplairement l'insurrection, la guerre civile durerait encore. Cela dit tout, et aux yeux, non pas des gens de bien qui n'ont pas attendu le lendemain pour se prononcer, mais des faibles et des incertains, justifie

tout.

Le chiffre des blessés n'appartenant pas à l'armée s'élève à 87. C'est donc, en comprenant les militaires, un effectif de DEUX CENT SOIXANTE ET ONZE blessés. Ce chiffre, chose étrange. est à peu près le même qu'en Juin 1848; celui des morts, constaté à la même époque par M. Trébuchet encore, s'éleva à QUATORZE CENT DEUX.

Le lendemain même de la bataille, c'est-à-dire au moment où il eût pu agir et parler dictatorialement, le Gouvernement donnait un exemple admirable d'à-propos et une preuve incontestable de sa force en concédant librement et spontanément la substitution du vote secret au mode de votation à découvert, prescrit par l'acte du 2 Décembre.

Peut-être le premier mode était-il un hommage rendu au courage civique de la nation; et moralement, il eût été grand, il eût été beau de voir un pareil peuple sacrant un pareil homme de ses millions de suffrages, et chaque citoyen signant de son nom la libre expression de son adhésion ou de son refus. Mais nous ne sommes plus, ou nous ne sommes pas encore ce peuple. D'abord, pour l'immense majorité des électeurs des campagnes, signer sur un registre d'acceptation, c'était, en cas de non-élection, s'être inscrit soi-même sur la table de proscription où les rouges seraient venus moissonner pour la guillotine. Puis, l'indépendance ne se décrète pas plus que le courage, et la grande science gouvernementale, c'est de prendre les peuples non pas comme on les voit ou com

me on les souhaite, mais comme ils sont et pour ce qu'ils sont. C'est ce que fit le Président, et ce sacrifice à l'opinion publique, au moment précis où on eût été applaudi de se mettre au-dessus d'elle; cette déférence et ce scrupule à l'heure où les tempêtes de la rue absolvaient toute politique personnelle et confondaient les partis dans une peur prête à toutes les lâchetés; ce pas en avant quand tout, excepté l'armée, faisait un pas en arrière, s'il n'eût pas été l'élan d'une inspiration bien connue pour son honnêteté, eût eu, du moins, le mérite de l'habileté la plus consommée, deux choses qu'on distingue encore l'une de l'autre, mais qui vont tendre à se confondre, et dont la fusion nous donnera peut-être la meilleure des Constitutions et la plus possible des Assemblées.

Voici les trois constatations officielles de ce premier acte d'une politique habile quoique honnête, où plutôt habile en raison de son honnêteté:

Le Président de la République,

Considérant que le mode d'élection promulgué par le décret du 2 décembre avait été adopté dans d'autres circonstances comme garantissant la sincérité de l'élection;

Mais, considérant que le scrutin secret actuellement pratiqué parait mieux garantir l'indépendance des suffrages; Considérant que le but essentiel du décret du 2 décembre est d'obtenir la libre et sincère expression de la volonté du peuple,

Décrète :

Les art. 2, 3 et 4 du décret du 2 décembre sont modifiés ainsi qu'il suit :

ART. 2. L'élection aura lieu par le suffrage universel. Sont appelés à voter tous les Français âgés de vingt e t un ans, jouissant de leurs droits civils et politiques.

ART. 3. Ils devront justifier, soit de leur inscription sur les listes électorales dressés en vertu de la loi du 15 mai 1849, soit de l'accomplissement, depuis la formation des listes, des conditions exigées par cette loi.

ART. 4. Le scrutin sera ouvert pendant les journées des 20 et 21 décembre, dans le chef-lieu de chaque commune, depuis huit heures du matin jusqu'à quatre heures du soir.

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