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jours, au bruit de la lutte, au milieu des événements et des hommes, fait de documents encore plus que de souvenirs, improvisé comme toute actualité et empreint de cette rapidité de la polémique militante qui était depuis quatre ans la tâche quotidienne de l'auteur, il ne fut contredit par personne, et sauf quelques pamphlets venus de l'exil, pas une dénégation, pas une critique valable ne lui fut opposée. Reproduit, plagié, contrefait, — mais jamais contesté, il eut cette singulière renommée de bonne foi que toutes les publications contemporaines et elles sont nombreuses qui ont traité de cette partie de la vie de Napoléon III, soit pour approuver, soit pour dénigrer, se sont bornées à copier ou à dénaturer, plus ou moins habilement, ces humbles pages que beaucoup, mais bien à tort, ont qualifiées d'officielles, et dont les récits avaient fini, après tant d'années, par se transformer en données acquises et par se confondre avec la masse commune des renseignements tombés dans le domaine universel (1).

Pourquoi maintenant l'exhumer de sa poussière ? Pour

(1) Il n'y a, pour les classer par ordre d'apparition, que trois ouvrages originaux sur le 2 Décembre :

D'abord la petite brochure de M. Granier de Cassagnác, parue quelques jours après le coup d'Etat et contenant, sur les faits de ces premiers jours, des détails puisés nous le mentionnons plus loin aux sources officielles où nous puisâmes nous-même; l'illustre publiciste vient de la réimprimer;

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Puis le présent livre, paru à la fin de décembre 1851, épuisé après six éditions successives;

Et enfin l'excellente Histoire militaire de M. le capitaine Mauduit, datée, si nous ne nous trompons, des premiers jours de février 1852, également rééditée ces jours derniers.

Tout ce qui se publia depuis, ne vit le jour qu'à un long intervalle des trois ouvrages sus-indiqués et ne fut que de la compilation pure et simple.-Ainsi, l'Histoire d'un Coup d'Etat de M. Belouino ne dut

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quoi rééditer cette rareté de librairie disparue, raviver cette histoire désapprise et de témoin se faire partie civile, sinon accusateur?

Nous venons de le dire : c'est une protestation.

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Après quinze ans d'exercice de l'autorité monarchique la plus souveraine, mais la plus magnanime, la plus forte, mais la plus éclairée, — la plus omnipotente, mais la plus féconde qui fut jamais en France et en Europe, il plut un jour, ou, si l'on aime mieux, il parut nécessaire à l'Empereur d'alléger quelque peu cette formidable responsabilité personnelle qui l'oblige devant Dieu et devant l'histoire, et de détendre, les jugeant fatigués ou surannés, quelques-uns de ces ingénieux et admirables instru

qu'à notre déférence pour le nom de M. Amédée de Césena, qui en avait écrit la préface, d'échapper au procès en contrefaçon que notre éditeur voulait lui faire. Ainsi encore, l'Histoire du Deux Décembre, publiée à l'étranger par M. Schoelcher, qui nous prit notre titre et nous emprunta l'épigraphe suivante, - que nous ne renions pas : « Il fallait, sous peine de défaite honteuse et de guerre << civile, non pas seulement prévenir, mais épouvanter. En matière de « coups d'Etat, on ne discute pas, on frappe; on n'attend pas l'ennemi, << on fond dessus; on broie, ou l'on est broyé. - P. Mayer. Histoire « du Deux Décembre; >> cette « histoire de M. Schoelcher n'est que la longue et systématique répétition, pour ainsi dire phrase å phrase, de nos assertions, que l'écrivain républicain s'imposa la douleur de transcrire pour se donner la joie innocente de les démentir.

Ainsi enfin, les chapitres relatifs au coup d'Etat des Mémoirès d'un Bourgeois de Paris ne sont que la paraphrase décolorée de nos rẻcits, augmentée d'anecdotes que nous ne jugeâmes pas devoir reproduire et que nous indiquâmes à M. Véron, plus friand que nous de ces sortes de choses; il y ajouta, selon son tempérament, beaucoup de commérages suspects qui avaient eu cours, à l'époque, dans lä presse étrangère. Nous pourrions en citer d'autres. Quant aux diverses Histoires contemporaines, privées ou générales, il n'en est pas une où nous n'ayons retrouvé notre œuvre reproduite avec une naïveté de plagiat qui a été notre plus précieuse récompense.

Le récents << historiens» du coup d'Etat avaient, comme on le voit,

ments de règne qui avaient si bien jusqu'alors consolidé son système et affirmé son avenir. Il se demanda—- question auguste qui n'est pas près d'être résolue, car elle est à peine posée, mais qui devait tôt ou tard préoccuper ce puissant esprit, - si sa dynastie, déjà légitimée par le droit humain de la gloire et par le droit divin du suffrage universel, ne pouvait donc pas l'être aussi par le droit politique de la liberté, et comme ces grands poëtes qui, à force d'aimer les créations de leur génie, finissent par leur prêter leurs passions et leurs rêves, convaincu que sa France ne pouvait être après tout moins libérale que lui-même, il conçut, prépara et exécuta, cette fois sans auxiliaires et sans confidents ce véritable coup d'État

une mine abondante à leur disposition; il est triste pourtant qu'ils n'aient pas, au préalable, vérifié avec plus de soin leurs sources d'information et qu'ils aient accepté, celui-là avec la passion de l'esprit de parti, ceux-ci avec la promptitude de la commande commerciale, tout ce qui se présentait à leurs ciseaux. Aucun d'eux, nous le croyons, n'a pu être témoin des événements de Décembre, et si au lieu de confectionner à la håte, confondant tout et butinant partout, les uns une marchandise pressée, les autres un placage révolutionnaire et une mitrailleuse électorale, ils avaient eu à cœur d'écrire une véritable œuvre historique, le plus vulgaire bon sens, la plus élémentaire justice leur ordonnaient de vérifier les originaux et de contrôler la provenance. Mais, comme dit Tacite, la postérité est le moindre souci de ceux qui, soit par ignorance de la chose publique, soit par passions privées, soit par haine du pouvoir, enfreignent la vérité de mille manières : Veritas pluribus modis infracta: primum inscitia reipublicæ, ut alienæ, mox libidine assentandi, aut rursus odio adversus dominantes; ita neutris cura posteritatis. Le succès de certaines « Relations » s'explique par l'épuisement des publications antérieures et par l'ignorance du nouveau public en vue duquel on les a fabriquées; mais en dépit de l'exploitation politique qu'on en a tirée, l'histoire du Deux Décembre, à laquelle nous n'avions voulu, ainsi que nous l'écrivions alors, apporter que des matériaux, cette histoire est encore à faire, et après le vulgaire travail des derniers compilateurs, bien plus à faire aujourd'hui qu'en 1851.

contre sa propre autorité, ce Deux Décembre constitutionnel et populaire, cette révolution pacifique comine la bonté et vénérable comme le sacrifice, qu'on est convenu d'appeler la Lettre du 19 janvier.

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On sait ce qui s'ensuivit. Abnégation ou calcul, inspiration ou illusion, ambition ou prévision, générosité ou habileté, quel qu'ait été le mobile de cette concession inouïe, ce qu'il y a de vrai - et c'est peut-être ce qui en fait la grandeur héroïque, -c'est qu'elle ne satisfit complétement personne, pas plus les pouvoirs constitués que les partis, pas plus l'opinion que les intérêts, pas plus la presse que l'administration, pas plus l'opposition que la majorité. Tout au plus les masses reconnaissantes et quelques vieux serviteurs à foi robuste comme leur dévouement témoignèrent d'un intelligent enthousiasme ; mais ce fut tout. L'Empereur, qui avait prévu les résistances et qui, jusque dans sa famille, dans son intimité, dans son ministère, les combattit et les combat encore, maintint son initiative non-seulement contre la mauvaise foi et l'ingratitude qui criaient au piége et à l'hypocrisie, non-seulement contre l'ignorance et la peur qui l'accusaient de témérité et de vertige, mais contre sa propre politique et nous pourrions dire contre ses propres actes, puisque après avoir conservé les ministres qui, la veille encore, se récriaient à l'idée du moindre changement et qui, par conscience autant que par nécessité, avaient offert leur démission, il put, par un miracle de résolution, les contraindre à préparer les lois nouvelles et à venir les soutenir devant les Chambres, ce qu'ils firent, soit dit en passant, avec un talent, un désintéressement et un patriotisme dont aucune époque parlementaire n'avait encore donné l'exemple depuis la Révolution.

Mais cette préparation fut longue, on le sait encore, pleine de périls, d'anxiétés, de résistances de toute sorte, et comme, pendant l'année qui précéda le débat devant le Corps législatif, on ne pouvait plus recourir aux lois anciennes, virtuellement discréditées et abandonnées, sans paraître manquer de loyauté et de logique, l'opinion et la presse, livrées à elles-mêmes et comme si elles eussent attendu cette explosion couvée depuis quinze ans, se ruèrent,- c'est l'expression littérale, en pleine orgie de licence, de façon à rappeler le mot effrayant de Tacite sur les Romains d'Octave Auguste, se ruant spontanément et à plaisir en pleine servitude; au fond, l'anarchie n'est autre chose que l'asservissement des esprits et la corruption des mœurs politiques. Depuis 93 et 1848, rien de pareil ne s'était vu en France, et cela se voyait sous l'Empire, c'est-à-dire à quelques jours de distance seulement de ce régime administratif si fortement et si habilement combiné par l'auteur du 2 Décembre, régime usé sans doute puisque la main même qui l'avait tissu en jetait les lambeaux aux quatre vents,

mais dont on dut regretter alors de n'avoir pas fait, quand on le pouvait encore, un plus complet et plus sévère emploi. Malheureusement, il n'était plus temps et César, une fois encore, venait d'écrire sur son dossier le mot fatidique Rubicon.

Nous n'avons ni le temps, ni la prétention d'insister sur cette crise étrange, qui, d'ailleurs, dure encore, mais que nous avons dû rappeler sommairement pour justifier par quel enchaînement de circonstances nous avons été conduit à republier ce livre, c'est-à-dire à opposer l'histoire vraie et la certification matérielle des faits à ce flot de calomnies et d'erreurs qui, depuis que cette porte a été

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