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par son goût pour la marine » Sa femme essaya vainement de l'arracher à l'état de prostration morale et physique où l'avait jeté la vue de M. le commissaire Gronfier qu'elle accabla de menaces et d'injures. M. Greppo, dont l'état n'eût pu se traduire qu'en latin de Molière, n'eut garde de remuer, et le commissaire le vit si dérangé qu'il oublia les injures de madame Greppo, et lui permit d'accompagner le malade à la prison de Mazas.

Ce fut M. Boudrot qui arrêta, rue Casimir-Périer, 27, M. Charles Lagrange. Ce Don Quichotte du socialisme,

nous ne prenons pas le mot en mauvaise part, car le chevalier de la Triste-Figure avait un noble cœur, et plus d'un voudrait lui ressembler autant au moral que M. Lagrange lui ressemble au physique, — menaça le commissaire d'appeler le peuple aux armes en tirant un coup de pistolet par la fenêtre. On trouva chez M. Lagrange une incommensurable quantité de paperasses dont l'examen exigea une perquisition de cinq heures, des pistolets, des fusils, des cartouches, des moules à balles et un sabre de cavalerie qui donna lieu à cet incident vraiment providentiel on arrivait à Mazas, un maréchal des logis de la garde républicaine se trouvait dans le greffe, où, en écrouant M. Charles Lagrange, on dut faire l'inventaire des pièces de conviction rapportées de chez lui : « Voici un sabre qui m'a appartenu, s'écria ce sous-officier, nommé Kerkan; il doit porter le no 487, et m'a été volé le 23 février 1848, à la caserne de la garde municipale, dont j'étais brigadier. » On vérifia; le fait était vrai.

Tous les autres représentants étaient dans leurs cellules quand arriva M. Lagrange. Il clôt cette première liste et fut le dernier écroué de cette catégorie.

Ainsi, en moins de quarante minutes, cette première et redoutable partie du coup d'Etat s'accomplissait sans que personne en fût informé et par les mains d'hommes qui, une demi-heure auparavant, ignoraient ce qu'ils

allaient faire. Les mesures avaient été si bien prises, les communications si bien organisées, le sang-froid et la présence d'esprit des agents si bien à la hauteur de leur mission, qu'à sept heures un quart le Ministre de l'intérieur et le Préfet de police apprenaient les arrestations de la bouche même de ceux qui les avaient opérées.

Les soixante-dix-huit mandats décernés contre les barricadeurs et chefs de sociétés secrètes recevaient au même moment leur exécution tutélaire. C'était la guerre civile qu'on prévenait ainsi et qu'on frappait à la tête.

Enfin les murs se couvraient d'affiches, les estafettes du ministère de la guerre et de la première division se croisaient en tous sens, les troupes se massaient et prenaient position; le télégraphe fonctionnait sur toutes les lignes, des émissaires partaient à toute bride, et les ministres venaient s'installer à l'hôtel de l'Intérieur, devenu subitement le foyer, la lumière et la vie de la révolution prodigieuse que Paris allait trouver décrétée sur ses murs, dans une langue qu'on ne lui parlait plus depuis 1815, et que l'Histoire, maintenant, est sûre de parler longtemps:

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

Le Président de la République,

Décrète :

Art. 1er. L'Assemblée nationale est dissoute.

Art. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 21 mai est abrogée.

Art. 3. Le peuple français est convoqué dans ses COmices à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre sui

vant.

Art. 4. L'état de siége est décrété dans l'étendue de la 1re division militaire.

Art. 5. Le conseil d'Etat est dissous.

Art. 6. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait au palais de l'Elysée, le 2 décembre 1851.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

Le Ministre de l'intérieur,

DE MORNY.

Français !

APPEL AU PEUPLE.

La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s'écoule aggrave les dangers du pays. L'Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l'ordre, est devenue un foyer de complots. Le patriotisme de trois cents de ses membres n'a pu arrêter ses fatales tendances. Au lieu de faire des lois dans l'intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile; elle attente au pouvoir que je tiens directement du peuple; elle encourage toutes les mauvaises passions; elle compromet le repos de la France; je l'ai dissoute et je rends le peuple entier juge entre moi et elle.

La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d'affaiblir d'avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l'ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages m'ont trouvé impassible. Mais aujourd'hui que le pacte fondamental n'est plus respecté de ceux-là même qui l'invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains, afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France, le peuple.

Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis : Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et compromet notre avenir, choisissez un autre à ma place, car je ne veux plus d'un pouvoir qui est impuissant à faire le bien, me rend responsable d'actes que je ne puis empêcher, et m'enchaîne au gouvernail quand je vois le vaisseau courir vers l'abime.

Si, au contraire, vous avez encore confiance en moi, donnez-moi les moyens d'accomplir la grande mission que je tiens de vous.

Cette mission consiste à fermer l'ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes, et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable.

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Persuadé que l'instabilité du pouvoir, que la prépondérance d'une seule Assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d'une Constitution que les assemblées développeront plus tard:

10 Un chef responsable nommé pour dix ans ;

2o Des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul;

2o Un conseil d'Etat formé des hommes les plus distingués, préparant les lois et en soutenant la discussion devant le Corps législatif;

4o Un Corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel, sans scrutin de liste qui fausse l'élection ;

50 Une seconde Assemblée formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques.

Ce système, créé par le Premier Consul au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité; il les lui garantirait encore.

Telle est ma conviction profonde. Si vous la partagez, déclarez-le par vos suffrages. Si, au contraire, vous préférez un gouvernement sans force, monarchique ou républicain, emprunté à je ne sais quel passé ou à quel avenir chimérique, répondez négativement.

Ainsi donc, pour la première fois depuis 1804, vous voterez en connaissance de cause, en sachant bien pour qui et pour quoi.

Si je n'obtiens pas la majorité de vos suffrages, alors je provoquerai la réunion d'une nouvelle Assemblée et je lui remettrai le mandat que j'ai reçu de vous.

Mais si vous croyez que la cause dont mon nom est le symbole, c'est-à-dire la France régénérée par la révolution de 89 et organisée par l'Empereur, est toujours la vôtre, proclamez-le en consacrant les pouvoirs que je vous demande.

Alors la France et l'Europe seront préservées de l'anarchie, les obstacles s'aplaniront, les rivalités auront disparu, car tous respecteront, dans l'arrêt du peuple, le décret de la Providence.

Fait au palais de l'Elysée, le 2 décembre 1851.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

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PROCLAMATION

DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE A L'ARMÉE,

Soldats !

Soyez fiers de votre mission, vous sauverez la patrie, car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays, la souveraineté nationale dont je suis le légitime représentant.

Depuis longtemps vous souffriez comme moi des obstacles qui s'opposaient et au bien que je voulais vous faire et aux démonstrations de votre sympathie en ma faveur. Ces obstacles sont brisés. L'Assemblée a essayé d'attenter à l'autorité que je tiens de la nation entière; elle a cessé d'exister.

Je fais un loyal appel au peuple et à l'armée, et je leur dis: Ou donnez-moi les moyens d'assurer votre prospérité, ou choisissez un autre à ma place.

En 1830 comme en 1848, on vous a traités en vaincus. Après avoir flétri votre désintéressement héroïque, on a dédaigné de consulter vos sympathies et vos vœux, et cependant vous êtes l'élite de la nation. Aujourd'hui, en ce moment solennel, je veux que l'armée fasse entendre sa voix.

Votez-donc librement comme citoyens; mais, comme soldats, n'oubliez pas que l'obéissance passive aux ordres du chef du Gouvernement est le devoir rigoureux de l'armée, depuis le général jusqu'au soldat. C'est à moi, responsable de mes actions devant le peuple et devant la postérité, de prendre les mesures qui me semblent indispensables pour le bien public.

Quant à vous, restez inébranlables dans les règles de la discipline et de l'honneur. Aidez, par votre attitude imposante, le pays à manifester sa volonté dans le calme et la réflexion. Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du peuple.

Soldats, je ne vous parle pas des souvenirs que mon nom rappelle. Il sont gravés dans vos cœurs. Nous sommes unis par des liens indissolubles. Votre histoire est la mienne. Il y a entre nous dans le passé communauté de gloire et de malheur; il y aura dans l'avenir communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France.

Fait au palais de l'Elysée, le 2 décembre 1851.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

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