Page images
PDF
EPUB

ouverte, viennent battre en brèche les origines de l'Empire, que l'on attaque parce qu'on ne peut attaquer la Constitution; c'est-à-dire encore à convaincre de mensonge et de méchanceté des publications aussi dépourvues de talent que d'honnêteté, compilations haineuses, plagiats serviles jusqu'au cynisme, dont pas une page n'appartient aux noms qui les signent, spéculations géminées de la boutique politique et de la boutique commerciale, véritables lettres de change tirées par le scandale sur la crédulité publique, réclames de candidats cousues à la réclame du marchand; c'est-à-dire enfin à dresser sur le passage de cette mascarade de fantômes l'austère et lumineuse figure de la vérité vivante, et prouver à ceux qui veulent recommencer la promenade funèbre partie le 23 février des bureaux du National, que leurs cadavres sont des mannequins, leurs manifestations des parodies et leurs espérances des aberrations,

[ocr errors]

Voilà contre quoi, nous le répétons, ce livre vient protester par sa présence et s'offrir, s'il le faut, aux emportements de la discussion. Je crois, disait Pascal, aux histoires dont les témoins se font égorger; or, nous le demandons aux prétendus historiens de fabrication ré-. cente, de quel poids est leur témoignage, s'ils sont trop jeunes pour avoir vu; de quelle autorité leur parole, s'il est prouvé qu'ils ont recueilli sans contrôler, qu'ils répètent sans garantir; et si surtout, ce qui n'est plus de la peccadille littéraire, mais de l'énormité morale, ils ont, au gré de leurs affections ou de leurs haines, admis indistinctement le certain et l'imaginaire, le juste et l'odieux, le sérieux et le burlesque ?

[ocr errors]

La question est plus haute cependant. Bons ou mauvais, honorables ou malsains, laissons là ces livres dont

le succès, d'ailleurs, est digne de leur époque et de leur public, et ne nous occupons plus que de cette campagne de Peaux-Rouges entreprise contre le Gouvernement sorti du Deux Décembre, et qu'on attribue aux élucubrations rétrospectives en question. On devait, au moins, à défaut de courage et de bonne foi, sauver mieux les apparences. et avouer un plus noble point de départ.

Si bas pourtant que soit tombée cette génération dans l'esprit de ceux qui la corrompent, il ne faudrait pas lui dire au moins qu'on la tient pour aveugle et pour stupide.. Or, n'est-ce pas là le langage que lui parlent à l'heure qu'il est tous ces faméliques de l'avocasserie et de la basse presse, à qui le tapage tient lieu de talent, la violence de caractère et l'impunité d'inspiration, les uns écrivant comme le Père Duchêne après avoir débuté comme le Père Loriquet, les autres pérorant comme Saint-Just après s'être offerts à requérir comme Bellart, mais tous, barbouilleurs de papier ou marchands de discours, n'ayant que cet objectif qu'ils poursuivent à tout prix,

la députation? Imprimer et plaider que les millions de suffrages qui ont béni et ratifié le coup d'État, demandé et consacré l'Empire, n'ont aucune valeur numérique ou morale; nier avec le gros rire hébété de l'impudence l'existence matérielle de ce Gouvernement qui a fait la France ce qu'elle est et sans lequel ils ne seraient rien eux-mêmes; annoncer à cette nation, sauvée par le Deux Décembre du légitimisme et du terrorisme, que le Deux Décembre sera châtié, tout cela n'est, en somme, que révoltant de brutalité et d'ineptie et ne mérite pas plus une réponse que la lumière à midi ne demande une démonstration. La seule réponse, en effet, c'est eux qui nous la fournissent, c'est ce dépôt du serment

[ocr errors]

préalable effectué par leurs chefs de file, et qu'au grand effroi de ceux-ci ils se préparent à effectuer eux-mêmes. -<<Bah! disent-ils, le serment prêté à un usurpateur n'engage pas. Mais, hommes de droit que vous êtes, il n'y a pas d'usurpation avec le suffrage universel. - Bah! disent-ils encore, la République est au-dessus du peuple et du suffrage universel. Mais vous savez bien que la France a horreur de cette forme de gouvernement, et qu'en 1848, ô républicains qui étiez encore en jaquettes, c'est une surprise, bien autrement illégale et violente que le coup d'État, qui nous l'a imposée. - Qu'importe? nous la voulons, nous, et tout moyen est bon pour y arriver. » Les bras en tombent, mais c'est ainsi.

Et voilà les hommes d'État de l'avenir. Tous leurs rêves, ou plutôt tous leurs appétits, n'ont d'autre justification que cette effronterie de sophisme dont on ne saurait dire si elle est encore plus idiote que monstrueuse. Et voilà aussi l'explication de cette campagne entreprise contre les origines du gouvernement impérial par le livre, par le journal, par la plaidoirie, par les processions funéraires, par les souscriptions politiques, par les manœuvres les plus transparentes, par les coalitions les plus étranges. Voilà pourquoi, sur la foi du premier pédant de village à qui il aura plu d'installer sa planche. aux assignats dans les caves de l'histoire, les publicistes révolutionnaires se chargeront de mettre en circulation la plus frelatée et la plus maladroite des fausses monnaies; pourquoi l'on découvre, après dix-sept ans, dans une sépulture où ils n'ont jamais été mis peut-être, des héros et des martyrs pour qui l'on invente une mort à la Léonidas et des mots à la Plutarque, quand ils sont morts, ainsi que nous l'avons raconté et pas autre

ment (1), comme d'obscurs émeutiers, frappés, sur la barricade élevée par eux et d'où ils commandaient le feu, par les soldats que ce feu venait d'atteindre; - pourquoi la religion des souvenirs et la dévotion aux tombeaux est revendiquée si haut par ceux qui, dans la presse et dans les réunions publiques, font de si éclatantes professions d'athéisme et se proclament les admirateurs et les continuateurs des travailleurs des caveaux de Saint-Denis, oubliant que si ce gouvernement qui a retiré dé la pourriture la dépouille de Carnot le père, eût fait, dans un intérêt de sécurité et de décence, ce que la République de 93 exécutait par pur amour du sacrilége, il eût brisé, aux applaudissements des honnêtes gens, ces tréteaux échafaudés sur un charnier et envoyé Baudin rejoindre à l'égoût Marat son ancêtre. Et que dire de ces rendezvous pris autour du monument des Cavaignac par ceux que le général de ce nom mitraillait si impitoyablement et déportait si copieusement aux journées de juin, et qui ne se souviennent plus, quand ils parlent de la Constitution écrasée sous la botte d'un soldat, de l'empressement avec lequel ils sont venus lécher cette botte encore toute chaude du sang de leurs amis, — et des transportations en masse, et des épouvantes de l'état de siége, et des journaux passés au fil du sabre africain, comme nous l'écrivîmes alors au grand scandale des républicains de la veille, qui nous dénoncèrent à la tribune comme excitant au renversement du gouvernement?

Si la bonne foi, comme disait le roi Jean, était bannie de la terre, ce n'est assurément pas dans les feuilles ré

(1) Voir les pages 104, 116, 118 et 119, certifiées, au moment même, par le général et les officiers qu'elles nomment.

volutionnaires qu'elle se retrouverait. Mais où l'absur dité et l'inconséquence de la guerre aux origines, » s'épanouissent avec plénitude, où sa malhonnêteté et så laideur se déploient sans efforts, où sa rage et son impuissance sautent aux yeux, - c'est dans cette souscription qui est à la fois sa sanction et sa mesure, son attestation et sa condamnation. Au danger près -ils ne: sont pas dangereux, c'est ce qui les navre, et avec cette seule différence que ce qui était antagonisme et tentative en 1851, serait haute trahison et attentat en 1868, c'est encore et toujours la misérable et impossible coalition qui provoqua le coup d'État, le rendit nécessaire, et le justifia si bien devant les circonstances et devant la logique que, si l'on pouvait aujourd'hui lui trouver quelque côté reprochable, c'est à cette coalition seule qu'il faudrait l'imputer. En relisant nos lignes d'alors, elles nous semblent écrites d'hier; seulement, nous le répétons, l'Empire les a encore plus vieillis que les années, et si Louis-Napoléon dut voir en eux des hommes avec qui combattre, Napoléon III n'y peut plus voir que des ombres sur qui souffler.

Mais combien ils ont peu changé! Parfois, dans nos campagnes, sous quelque énorme pierre qu'on n'avait pas déplacée depuis longtemps, apparaît, endormi et gonflé de bave, un crapaud, qui était là, disent les paysans, depuis bien des années. Soulevez par la pensée cette pierre angulaire qu'on appelle le coup d'État, et voyez, après cette grande carrière d'humanité parcourue - grande mortalis ævi spatium,-ce que sont devenus les Épiménides du bourbier politique!

Toujours les mêmes : royalistes s'accouplant aux régicides, catholiques pactisant avec les matérialistes,

« PreviousContinue »