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faire insérer la clause expresse de non-rétroactivité.

dit

C'est ce même projet qui avait été porté, par mon successeur, à l'Assemblée législative. D'abord, et lors de la première lecture de la loi, M. Victor Hugo ayant que si les révolutions de 1830 et de 1848 eussent été vaincues, Charles X eût appliqué cette loi à M. Thiers, et Louis-Philippe à M. Odilon Barrot, je lui répondis de mon banc, aux applaudissements de la majorité, « Que si je m'honorais de quelque chose dans ma carrière, c'était de n'avoir jamais conspiré contre aucun gouvernement, et d'avoir, jusqu'au bout et le dernier, défendu la Constitution de mon pays. Que, s'il y avait un parti aux yeux duquel la défense opiniâtre des lois fùt un attentat, je plaignais M. Victor Hugo d'appartenir à un tel parti. » Mais ce n'était là qu'une escarmouche. La commission avait cru devoir effacer du projet la clause de non-rétroactivité que j'avais mise; dès lors ma responsabilité, ainsi que mon honneur, me faisaient un devoir impérieux d'intervenir pour défendre cette clause sans laquelle le caractère de la loi, qui était mon œuvre, eût été complétement dénaturé, et d'une mesure purement préventive serait devenu un acte de vengeance. Je fus done forcé, quoique souffrant encore, de rompre le silence et d'aborder de nouveau la tribune. Mon successeur au ministère de la justice, M. Rouher, crut devoir m'y devancer. Il soutenait que, d'après le Code pénal, la peine de la déportation devant être subie dans une maison de détention, en France, jusqu'à ce qu'un lieu de déportation fût législativement désigné, en appliquant aux condamnés la nouvelle loi de déportation, on ne substituait pas une peine à une autre, mais qu'on se bornait à régulariser l'exécution d'une peine déjà prononcée. La commission, par l'organe de M. de Vatimesnil, son rapporteur, présentait un système moins

absolu il cherchait à établir que, s'agissant d'interpréter une loi et de régler l'exécution d'arrêts déjà rendus, il n'appartenait qu'à la haute cour dont ces arrêts émanaient de se prononcer sur cette question.

Il me fut facile de répondre au ministre que la désignation du lieu de la déportation faisait si bien partie intégrante de la peine et de l'arrêt de condamnation, que le Code pénal exigeait expressément que, dans cet arrêt même, le lieu où le déporté devait subir sa peine fût désigné. Or, il était évident que cette désignation ne pouvait être faite après coup, au préjudice du condamné, par une loi postérieure, sans donner à cette loi un effet rétroactif. Au rapporteur, je répondis: qu'il était parfaitement dans les droits du législateur qui faisait une loi répressive, d'en déterminer le caractère et la portée, et de ne pas en abandonner l'application à l'interprétation incertaine et souvent arbitraire des tribunaux ; que la question était, d'ailleurs, bien plus politique que judiciaire. A cette autre objection qui m'était faite par quelques orateurs que, dans mon système et avec la clause de non-rétroactivité, le condamné serait libre de choisir entre la détention et la déportation, et que la peine perdrait ainsi ce caractère de fixité qu'elle doit toujours avoir, je répondais que cette faculté pour le condamné de choisir, entre les deux peines, celle qui lui paraissait la plus douce, n'avait rien d'exorbitant; qu'elle existait dans nos lois, toutes les fois qu'une disposition nouvelle substituait à une peine plus rigoureuse une peine qui l'était moins, ou vice versâ; que c'était là un principe de justice et d'humanité qui, s'il ne permet pas à la loi d'aggraver le sort du condamné, lui permet toujours de l'adoucir.

Mon opinion prévalut, à une assez forte majorité, au grand déplaisir et de l'Élysée et du parti conser

vateur. Ce fut le premier, et, malheureusement, le seul échec que rencontra l'Assemblée dans cette voie de réaction où elle était si fatalement engagée,

Parmi les condamnés qu'on s'apprêtait à déporter, il y en avait un surtout, M. Guinard, l'ancien colonel de l'artillerie de la garde nationale, qui inspirait un intérêt assez général; on savait qu'il avait, le 13 juin, plutôt cédé à son fanatisme républicain, qu'à des passions égoïstes ou ambitieuses.

Je fus tenté, dans une autre occasion, de rompre encore le silence, dont ma situation dans l'Assemblée me faisait une sorte de nécessité: c'était au sujet de la levée du séquestre apposé, en 1848, sur les biens de la famille d'Orléans. M. de La Rochejacquelein crut devoir faire des réserves pour l'exécution du fameux legs du duc de Bourbon en faveur de ses anciens compagnons d'armes. Or, c'était moi qui, dans le temps, avais poursuivi, devant toutes les juridictions, l'exécution de ce legs. Mais M. Estancelin, attaché à la maison d'Orléans, ayant déclaré que, depuis sa majorité, monseigneur le duc d'Aumale consacrait tous les ans le montant du legs à élever des enfants. de soldats morts en combattant pour la France, je me trouvai désintéressé de prendre la parole comme ancien défenseur de ce testament.

Dans cette circonstance, comme dans tant d'autres, ce n'est pas le Gouvernement, c'est la commission de l'Assemblée qui avait pris l'initiative de la levée du séquestre. C'est que, malgré l'accord apparent qui existait entre Louis-Napoléon et la majorité législative, les rouages de la machine jouaient avec difficulté ; il devenait de jour en jour plus évident que ce ministère, que M. Jules Favre appelait, dans un de ses discours, le petit ministère, ce ministère de palais ne pesait pas d'un assez grand poids sur l'Assemblée; il y laissait, en général, flotter la discussion sans s'en

mêler, et, lorsqu'il y intervenait, sa voix était trop souvent méconnue.

Ainsi, sur le vote d'urgence proposé par le Gouvernement pour le projet de loi qui investissait les préfets du droit temporaire de destituer, selon leur bon plaisir, les instituteurs, l'Assemblée s'était partagée en deux parts égales: 312 contre 312. Il avait fallu annuler le scrutin et le recommencer, pour qu'une majorité de quelques voix fit passer la mesure, non sans les violentes protestations de la gauche.

Lors de la discussion de la loi qui assignait l'Algérie aux déportés de Juin, un des membres les plus vifs de la majorité, M. de Kerdrel, député breton, s'étant approché du banc des ministres, s'était permis de dire à haute voix au ministre de l'intérieur, avec une franchise toute bretonne : « J'espère bien, qu'après le vote, le Président, par des grâces accordées, ne voudra pas faire de la popularité aux dépens de l'Assemblée. »

Dans les grandes discussions, la majorité se plaignait souvent que le ministère n'intervenait pas et semblait se réserver.

C'est sans doute sous l'impression de cette insuffisance de ses ministres que le Président de la République retira des mains de mon frère le portefeuille du ministère de l'intérieur, et le confia à M. Baroche, qui, s'il n'avait pas plus d'autorité dans l'Assemblée, avait au moins plus d'expédients dans l'esprit, et, surtout, plus d'audace dans la parole.

Dans ce même temps, deux affaires extérieures occupèrent assez gravement l'Assemblée. La première naissait à l'occasion de la guerre qui existait depuis longtemps entre Montevideo et la république de Buenos-Ayres. M. Thiers et la commission voulaient une intervention armée ; le gouvernement se contentait d'une intervention diplomatique. Une sorte de transaction fut adoptée entre ces deux modes.

La conduite au moins étrange du gouvernement anglais à l'égard de la Grèce faillit prendre un caractère bien plus grave. Un juif, qui se disait sujet de l'Angleterre, le sieur Pacifico, croyant avoir des indemnités à réclamer de la Grèce, le gouvernement anglais, sans attendre que la justice du pays eût prononcé, avait tout à coup ordonné à sa flotte de pénétrer dans le Pirée, de mettre le séquestre sur tous les vaisseaux grecs, menaçant ce faible gouvernement de mesures encore plus acerbes, s'il ne s'exécutait pas tout de suite. Un tel procédé révolta toute l'Europe; la France rappela son ambassadeur, et le ministère anglais, alors présidé par lord Palmerston, reconnaissant, un peu tard, qu'il avait outrepassé ses droits, accepta notre médiation. Les relations diplomatiques se rétablirent alors entre les deux pays.

Quant à l'affaire de Rome, les négociations se poursuivaient avec le Pape, mais bien plus mollement, et ne devaient pas tarder à être tout à fait abandonnées. L'Assemblée eut cependant à s'en occuper, à propos d'un crédit que notre occupation prolongée nécessitait. Le rapporteur était M. Gustave de Beaumont, qui affirma, avec une certaine solennité, que la République avait fait deux grandes choses qui la recommandaient à l'estime de l'Europe: Elle avait, disait-il, vaincu le socialisme et fait l'expédition de Rome! A un représentant qui, en sa qualité de chef de bataillon, était entré à Rome avec l'armée assiégeante, et qui déclarait avoir vu, en entrant dans cette ville, une population de 100,000 âmes exaspérée et brandissant le poignard de la vengeance, le général Oudinot répondit, avec autant d'à-propos que de bon sens, que, si l'allégation était vraie, 25,000 hommes n'auraient jamais pu pénétrer dans une ville sur les remparts de laquelle étaient braqués 200 canons, quand les Français n'en avaient que vingt, et que, dans tous les cas,

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