Page images
PDF
EPUB

Constitution, je le sais, fait un grand avantage à la minorité en exigeant les trois quarts des voix pour la révision. Je ne fais l'injure à aucun des partis, dans cette Assemblée, de supposer qu'il veuille abuser de cet avantage pour braver les vœux du pays. Plus le droit est exorbitant, plus la minorité se montrera réservée en l'exerçant. Dans tous les cas, et après cette première épreuve, après cette discussion qui est une mise en demeure solennelle, j'espère que la réflexion et le patriotisme porteront leurs fruits.

Ce discours fut suivi de vives et nombreuses marques d'approbation, et mes amis, ceux-là mème que je n'avais pu entraîner, m'entourèrent pour me féliciter; l'Assemblée ne voulut plus écouter d'autre orateur; en cela elle eut tort, la discussion ne pouvait que gagner à se prolonger. Elle fut close. Le vote eut lieu. avec une certaine solennité. Il donna sur 724 votants 446 suffrages pour la révision de la Constitution et 278 contre. Il aurait fallu atteindre le chiffre de 543 pour réaliser les trois quarts exigés par la Constitution; c'était moins de cinquante voix à déplacer, et quand on voit quels noms se sont trouvés sur la liste des opposants, on pouvait bien ne pas désespérer d'opérer ce déplacement dans une seconde épreuve.

Il n'y avait, du reste, plus que cette chance à tenter, car la France était désormais placée dans cette alternative forcée, ou d'une révision régulière, ou d'un coup d'État soit parlementaire, soit présidentiel.

Chose étrange! si la question eût été posée ainsi : la Constitution renferme-t-elle des vices qui appellent une révision? L'Assemblée eût été unanime dans son vote affirmatif : républicains, légitimistes, royalistes constitutionnels eussent tous fait la même réponse: Oui, la Constitution doit être révisée, car l'expérience de ces trois années que nous venons de traverser nous en a démontré les vices radicaux; la division n'existait que sur les conséquences prévues de cette révi

sion, et comme la plus apparente, la plus signalée de ces conséquences était la réélection possible du Président de la République, l'Assemblée se partageait entre ceux qui voulaient cette prorogation des pouvoirs présidentiels, ou du moins qui s'y résignaient, et ceux qui n'en voulaient à aucun prix. Il faut convenir que ces derniers se sont singulièrement trompés, ils ne voulaient pas de la réélection de LouisNapoléon comme Président de la République, ils en ont fait un empereur!...

CHAPITRE IX

RENVOI DU MINISTÈRE LEON FAUCHER.

PROJET DE LOI

QUI ABROGE LA LOI DU 31 MAI, RETOUR AU SUFFRAGE UNIVERSEL ABSOLU. EXASPÉRATION DU PARTI CONSER

VATEUR; REJET DU PROJET.

Après la grande bataille de la révision vinrent les combats d'arrière-garde; comme lors du pétitionnement sur la dissolution de la Constituante, il y eut aussi de vives récriminations contre les pétitions révisionnistes. Nous avons fait connaître, en substance, le rapport de M. de Melun, et c'est sur ce rapport que s'établit une discussion qui fut d'autant plus vive, que les orateurs qui, par suite de la clôture un peu brusque de la discussion n'avaient pu se faire entendre dans le grand débat sur la révision, vinrent nous apporter les discours qu'ils se proposaient d'y prononcer.

Le colonel Charras attaqua vivement le ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher.

Il lut une lettre du préfet du département des Basses-Alpes contenant le texte d'une instruction ministérielle adressée à une sorte de congrès des pré

fets du Midi réunis à Avignon. Dans cette instruction, le ministre recommandait aux préfets de seconder activement, mais avec tact et mesure, le mouvement de l'opinion, de ne rien préciser pour la réélection; que, cependant, si les paysans voulaient joindre un vœu spécial pour la réélection, de ne pas les en détourner. (Ce passage de l'instruction excite des éclats de rire; il était, en effet, par trop naïf.)

Le ministre de l'intérieur se défend: Le gouvernement n'a pas dissimulé son vœu, dit-il, mais il a laissé aux populations toute leur spontanéité; si le gouvernement avait eu le pouvoir de provoquer 1,500,000 signatures, il serait plus puissant que tous ses prédécesseurs.

Le général de Lamoricière voit, derrière le pétitionnement pour la révision de la Constitution, le pétitionnement contre la République; il me cite en me parodiant La Constitution est mauvaise, dit-il, il n'y a que moi qui ai pu la faire marcher; si vous ne la révisez pas vous périrez!... Ce n'était guère le moment, il faut en convenir, de faire de l'esprit; et, après cette innocente épigramme, le général ajoute avec emphase Mais, avec l'aide de Dieu, nous assurerons à notre pays le triomphe de la loi!...

C'était la contre-partie du fameux mot du général Changarnier Représentants, délibérez en paix!...

Et cependant, le général de Lamoricière était un homme de résolution et d'action, et il avait sur le général Changarnier l'avantage de vouloir sincèrement et fermement le maintien de la République; mais, comme son collègue et comme la plupart des hommes éminents de l'Assemblée, il était aveuglé par le double sentiment de la confiance qu'ils avaient dans leur force et du mépris que leur inspirait leur adversaire.

M. Baze reproche amèrement au pouvoir exécutif

d'avoir commis un acte de déloyauté en cherchant dans l'intérêt de son ambition à agiter l'opinion.

Qu'on soit franc, s'écrie-t-il, et qu'on nous dise: Ministres de Louis-Napoléon, nous sommes au pouvoir pour faire une prorogation, pour la faire au moyen du pétitionnement, d'une presse soldée, subventionnée par le ministre de l'intérieur; nous sommes les ministres, non pas du pays, mais d'un homme !...

Là-dessus s'établit le dialogue suivant très-peu parlemen-· taire :

M. Léon Faucher.

Respectez le pouvoir; on peut l'accu

ser, on ne doit pas l'insulter...

M. Adelsward.

respectera!... M. Baze.

[ocr errors]

Qu'il se rende respectable et on le

Si les actes des ministres ne les rendent pas respectables, est-ce ma faute à moi?...

M. Léon Faucher.

- M. Baze a dit que je subventionnais la presse. Eh bien, c'est une calomnie!...

M. Baze..

Alors les quatre mille francs payés tous les mois à la correspondance Havas qui est distribuée à tous les préfets...

Le ministre de l'intérieur. Je maintiens que c'est une calomnie!...

M. Baze.

Il me reste à pourvoir à ma dignité. Je propose l'amendement suivant :

« L'Assemblée nationale,

Tout en regrettant que, dans quelques localités, l'administration, contrairement à ses devoirs, ait usé de son influence pour exciter les citoyens au pétitionnement, ordonne le dépôt des pétitions au bureau des renseignements. >>

Cet amendement est voté par 333 suffrages contre 320.

Voilà donc M. Léon Faucher, l'homme de la loi du 31 mai, longtemps le favori des conservateurs, blâmé à son tour, et la majorité divisée en deux fractions à peu près égales qui se renvoient de grosses injures; et c'est avec une telle armée qu'on voulait livrer bataille à Louis-Napoléon; c'est avec une telle majorité

« PreviousContinue »