Page images
PDF
EPUB

traire, regardions une modification profonde à cette loi du 31 mai comme étant devenue plus que jamais indispensable, que le moment était opportun pour faire discuter cette loi électorale municipale destinée, dans notre pensée, à remplacer la loi du 31 mai. M. de Vatimesnil, à qui le rapport de ce projet était confié, demanda qué cette partie de la loi d'organisation municipale fût mise immédiatement à l'ordre du jour.

M. Emmanuel Arago, avec toute la gauche, s'y opposa. « C'est un moyen détourné, dit-il, de modifier la loi du 31 mai; plus d'équivoques, plus d'embûches; il est temps de marcher à visage découvert. >> C'était là un étrange reproche : nous avions déclaré assez haut le but que nous nous proposions pour ne pas être accusés de dissimulation. Je demandai la parole afin d'expliquer encore plus catégoriquement notre pensée. Un mouvement prolongé en sens divers se manifesta, dit le Moniteur, à mon apparition à la tribune.

J'annonce d'abord que c'est très-ouvertement, et afin de faciliter les modifications à la loi du 31 mai, que nous avions, au lieu d'appliquer cette loi purement et simplement aux élections municipales, ainsi que le proposait le conseil d'État, adopté des dispositions nouvelles qui devaient, dans notre pensée, être étendues ensuite à la loi électorale politique et corriger ce que la loi du 34 mai avait d'exorbitant; que c'est au moment où se préparait cette conciliation, que le gouvernement avait fait tomber au milieu de l'Assemblée étonnée son projet d'abrogation pure et simple, déclarant qu'il voulait restituer au peuple un droit. (MM. Ducoux, Bourzat et autres : Oui, un droit volé ! Nous saurons bien le reprendre!,..) « Je remercie les interrupteurs de déterminer ainsi le vrai caractère du projet du gouvernement; s'il s'agit d'un droit

volé, par qui l'aurait-il été ? par l'Assemblée ?... Je comprends alors qu'on ne se contente pas de simples modifications justes et modérées, mais qu'on veuille d'une abrogation pure et simple, c'est-à-dire qu'on préfère à une conciliation honorable pour tous une véritable avanie infligée au parlement. Le parlement a eu raison de la repousser.» (Vive adhésion à droite. -Sensation prolongée.)

L'étonnement que ma présence à la tribune excita dans l'Assemblée venait de ce que, jusqu'à ce jour, je m'étais tenu éloigné de la lutte engagée entre le pouvoir exécutif et le parlement; mais le moment me paraissait arrivé d'accomplir la promesse solennelle que j'avais faite dans mon discours sur la révision; je voyais bien que le retrait de la loi du 31 mai n'était que le prélude du combat, et je venais, quoique sans espoir, me ranger du côté du parlement.

L'opposition violente et de mauvaise foi de la Montagne à notre projet rallia encore une fois la majorité qui vota presque tout entière pour nos conclusions, et mit à l'ordre du jour le projet détaché de la loi électorale municipale: faible succès qui devait bientôt s'évanouir devant les résistances obstinées de quelques membres de la droite et devant les abstentions calculées de la gauche.

CHAPITRE X

GUERRE FLAGRANTE ENTRE LES POUVOIRS. PROPOSITION DES QUESTEURS

A partir du moment où Louis-Napoléon, par l'abrogation de la loi du 31 mai, avait tout à la fois trompé et outragé la majorité de l'Assemblée, et où celle-ci avait répondu à cet outrage par le rejet, sans discussion, du projet présidentiel, ce n'était plus entre les deux pouvoirs, le jeu plus ou moins régulier des rouages du gouvernement représentatif, c'était une guerre et une guerre flagrante.

Louis-Napoléon avait un avantage fort grand sur ses adversaires; il pouvait choisir son jour pour les frapper.

Les parlementaires exaspérés surtout par la perfidie dont ils avaient été les jouets, auraient bien voulu frapper aussi un coup décisif en formulant un acte contre le président; mais ils sentaient qu'il était trop tard, et que leur armée ne les suivrait pas. Ils étaient donc réduits à se tenir sur la défensive et à attendre, sans savoir, ni quand, ni comment ils seraient attaqués; aussi l'anxiété était-elle grande dans ce parti ; partout le coup d'État était à l'ordre du jour : on se

demandait est-ce aujourd'hui ? est-ce demain qu'il éclatera ?

Louis-Napoléon avait pour lui un autre avantage qu'il devait aux fautes de ses adversaires, c'était d'être en quelque sorte invulnérable et de pouvoir braver même les coups désespérés de la majorité; il était bien assuré en effet, que dans tout conflit avec elle, il aurait pour lui, d'abord les votes de la Montagne, lesquels, joints à ceux des gens timides, irrésolus, toujours si nombreux dans les assemblées, des ambitieux qui ont un si merveilleux instinct pour deviner de quel côté sont les chances du succès et des bonapartistes par sentiment ou par calcul, faisaient plus que cette majorité, et lui permettaient d'engager le combat presque coup sûr.

à

Le jour ou le projet du gouvernement sur l'abrogation de la loi du 31 mai fut rejeté, le commissaire de police, attaché à l'Assemblée, annonça aux questeurs que le coup d'État pourrait être tenté dans la nuit par Louis-Napoléon, qui voulait mettre à profit, disait-il, l'impression que ferait ce rejet sur la population des faubourgs : les questeurs firent avertir aussitôt quelques députés qui, au nombre de quarante environ, se réunirent et passèrent la soirée chez M. Baze, au palais du Corps législatif. C'était une fausse alerte venant probablement de quelque avis perfidement donné à ce commissaire de police qui était malheureux dans ses informations. Vers les deux heures du matin, les députés s'étant assurés que rien ne bougeait dans les casernes, rentrèrent chez eux; mais le lendemain, ce fut un feu roulant de sarcasmes et de plaisanteries dans tous les journaux bonapartistes, contre la fausse panique de la nuit; cette tactique était renouvelée de celle suivie dans l'affaire de l'épicier de la rue des Saussaies: il fallait bien tâcher de rendre ridicules ces défiances et ces précautions, afin d'assurer davantage

le coup qu'on allait frapper. Des journaux, cette cruelle ironie passa comme on va le voir à la tribune et défraya l'éloquence des coryphées de la Montagne.

Du reste, la manœuvre était habile et produisit le résultat attendu à force de se moquer des appréhensions du parti conservateur, on finit par l'embarrasser; la crainte du ridicule l'emporta peu à peu sur celle du danger, et bientôt on se demandait dans ce parti, si on ne s'était pas trompé, si le coup d'État n'était pas ajourné au moins jusqu'après le jour de l'an. A qui veut se faire illusion, les causes d'erreur ne manquent jamais; on se disait tout bas, il ne fera rien avant le mois de janvier, il ne voudra pas troubler le petit commerce de Paris, etc.; et voilà sur quelles puérilités des hommes sérieux en étaient arrivés à fonder leur sécurité.

Cependant le travail sur l'armée se continuait presqu'ostensiblement, le colonel du régiment des lanciers qui, dans les revues de Satory, avait poussé avec le plus de chaleur les cris de vive l'Empereur ! réunissait dans un punch à l'école militaire, les colonels des autres régiments; et tous ces officiers, après avoir porté des toasts enthousiastes au chef de l'État, se donnaient un rendez-vous solennel, sur le premier champ de bataille qui leur offrirait l'occasion de venger l'honneur de l'armée. Dans ce même temps le régiment qui était spécialement chargé de la garde de l'Assemblée, faisait place au 42°, qui avait pour colonel un sieur Espinasse, homme prêt à tout faire, même à trahir la plus intime amitié qui le lait au général Le Flô, l'un des questeurs de l'Assemblée, et à s'en prévaloir pour mieux le surprendre.

En présence de cette crise imminente, les chefs de l'ancienne majorité eurent une conférence dans laquelle furent appelés les généraux qui faisaient partie de l'Assemblée: les avis se partagèrent. Bedean croyait

« PreviousContinue »