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attentive à ne pas négliger les intérêts britanniques, s'est fait concéder le droit d'occuper et d'administrer l'île de Chypre. Il n'y a pas eu annexion : l'île continue, en droit, à appartenir au sultan, mais, en fait, la Grande-Bretagne y exerce tous les droits que comporte l'administration la plus étendue.

L'île de Chypre étant, avant 1878, soumise à la domination turque, les capitulations s'y appliquaient comme dans tout le reste de l'empire ottoman. Le gouvernement anglais, aussitôt qu'il eût pris possession de l'île, les déclara abolies et substitua la justice anglaise aux juridictions qui étaient exercées par les consuls sur les sujets des diverses Puissances. En notifiant cette détermination à l'Europe, il se fondait sur ce qu'un état de choses exceptionnel comme celui qui résultait des capitulations ne devait pas survivre aux raisons qui l'avaient fait naître. Il faisait observer en outre que, si l'île avait été annexée à l'Angleterre, les traités conclus par la Turquie avec les Puissances auraient cessé d'y être applicables; or, disait-il, la Turquie nous ayant cédé l'administration dans laquelle la justice est comprise, les prérogatives en matière judiciaire que les traités accordent aux Puissances européennes deviennent par là même caduques.

Que faut-il penser de cette argumentation? On admet en droit public que, lorsqu'un territoire est cédé par une Puissance à une autre, les droits et obligations résultant des traités conclus par l'État cédant ne sont pas transmis

à l'État cessionnaire, à moins que ces traités ne concernent spécialement le territoire cédé. Si donc Chypre avait été purement et simplement annexée à la Grande-Bretagne, celle-ci aurait pu certainement soutenir que les capitulations ne devaient plus s'y appliquer. Mais il n'en est pas ainsi l'île continue à faire partie intégrante de l'empire ottoman; le sultan en conserve ce qu'on pourrait appeler le domaine éminent. La Grande-Bretagne ne fait que l'occuper et l'administrer; elle n'est que le mandataire de la Turquie qu'elle a soulagée de l'administration d'une fraction de son territoire. Ce qui le prouve, c'est qu'elle doit payer au sultan l'excédent des recettes sur les dépenses, et qu'elle devrait évacuer l'île au cas, bien problématique, il est vrai, où la Russie restituerait à la Turquie les territoires conquis en Arménie pendant la dernière guerre. Ainsi il ne peut y avoir doute que l'Angleterre n'a pas obtenu l'entière souveraineté de Chypre; l'île est un territoire ottoman, et, par conséquent, les Puissances auraient pu, à bon droit, prétendre que les capitulations y demeuraient obligatoires.

Le gouvernement anglais dit que la Turquie lui a cédé l'administration dans laquelle la justice est comprise, et il en déduit que les capitulations deviennent caduques. Cette conséquence ne nous paraît nullement s'imposer: nemo dat quod non habet; la souveraineté du sultan en matière judiciaire étant en quelque sorte grevée des droits de juridiction qui ont été consentis par les traités

aux Puissances européennes, il n'a pu céder à la GrandeBretagne l'administration de la justice que sous la réserve de ces droits.

Enfin le gouvernement anglais prétend que les raisons qui ont fait naître les capitulations n'existent plus depuis l'occupation anglaise. Cette affirmation est-elle fondée ? Les étrangers trouvent-ils dans les institutions établies par l'Angleterre en Chypre les garanties que ne leur offrait pas l'administration musulmane? M. Eperson ne le pense pas; à l'en croire, les conditions de l'île, loin. de devenir meilleures depuis l'occupation britannique, auraient empiré (1). M. Saripolos, dont les appréciations doivent, il est vrai, être accueillies avec réserve, car, né à Chypre,il n'a pu voir sans douleur son pays natal passer sous la domination étrangère, analyse longuement la nouvelle législation anglaise dans l'île et la critique trèsvivement (2).

Quoiqu'il en soit, les Puissances n'ont pas insisté pour le maintien des capitulations dans l'île de Chypre. Le Haut commissaire anglais, par une ordonnance du 17 janvier 1879, a institué une Haute Cour ayant juridiction dans les cas qui, antérieurement à la cession, étaient exempts de la juridiction ottomane, c'est-à-dire sur les personnes qui jouissaient du bénéfice des capitulations. Cette Haute Cour siège à Nicossie et délègue son autorité dans les districts de l'île à des députés commissaires.

1. Revue de droit international. 1878, p. 587. 2. Revue de Droit international, 1882, p. 331.

BOSNIE ET HERZÉGOVINE.

Ces pays ont été placés, par l'article 25 du traité de Berlin, dans une situation analogue à celle de Chypre. L'Autriche-Hongrie a été chargée de les occuper et de les administrer. Il résulte du traité de Berlin et, plus formellement encore, d'une convention signée le 21 avril 1879 entre la Porte et l'Autriche-Hongrie, que les droits de souveraineté du sultan sur la Bosnie et l'Herzégovine, sont maintenus dans leur intégrité. Mais ce n'est là qu'une souveraineté théorique, sans efficacité; la souveraineté réelle appartient à l'Autriche-Hongrie aucune limite directe ni indirecte n'a été apportée à la durée de son occupation, aucune borne mise à ses droits.

Comme ces deux provinces continuaient, théoriquement au moins, à faire partie intégrante de l'empire ottoman même après le traité de Berlin, les capitulations, en droit, y restaient applicables; mais, la substitution d'une administration européenne à l'administration turque leur enlevant toute légitimité, les diverses Puissances, confiantes dans l'administration autrichienne et sentant bien que l'occupation de ces pays par l'Autriche-Hongrie constitue un établissement définitif, ont renoncé à s'en prévaloir.

EGYPTE.

Les capitulations et traités conclus par la Porte ont toujours été en vigueur en Egypte, car ce pays n'a jamais cessé de faire partie intégrante de l'empire ottoman, bien que les privilèges qu'il a su obtenir en aient fait un Etat presque complètement indépendant. L'application en Egypte des traités passés par la Turquie est constatée notamment dans le firman d'investiture octroyé par le sultan à Méhemet-Ali le 1er juin 1841, et dans la réponse de Méhemet-Ali, du 25 juin de la même année, où il est dit : « que toutes les dispositions des traités conclus ou à conclure avec les Puissances amies seront complètement exécutées en Egypte.

Les capitulations ont dans ce pays une importance toute particulière en raison du développement des colonies étrangères qu'elles ont pour but de protéger. L'accueil fait par Méhemet-Ali aux Occidentaux et aux idées occidentales avait déterminé l'immigration d'un grand nombre d'étrangers et sous les règnes de ses successeurs le chiffre de la population européenne, attirée d'abord par la construction des chemins de fer, puis par le percement de l'isthme de Suez, s'accrut chaque année dans une énorme proportion.

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