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XXIX Année.

N° 6.

15 Juin 1884

Inauguration du monument Dufour.

La cérémonie d'inauguration du monument en l'honneur du général Dufour, qui vient d'avoir lieu le 2 juin à Genève, a été l'occasion d'une grande et belle fête nationale. Non-seulement la population genevoise y a participé en foule et de la manière la plus sympathique et cordiale, mais de tous les points de la Suisse étaient accourus de nombreux représentants de la Confédération, des cantons, de l'armée, des populations.

Le programme indiqué dans notre dernier numéro a été fidèlement et ponctuellement exécuté. Un cortège de plus de six mille participants avec des centaines de bannières a défilé dans les rues pavoisées de la reine du Léman pour se développer autour du monument sur la place Neuve. On y remarquait entre autres trois délégués du Conseil fédéral, MM. Welti et Schenk, président et vice-président de la Confédération, et M. Numa Droz, M. Roguin, président du Tribnnal fédéral, avec huissiers fédéraux en grande tenue, des délégués des Chambres fédérales et de seize cantons, aussi avec huissiers, puis, parmi les militaires, le général Herzog en téte, les colonels divisionnaires Meyer, Lecomte, Vögeli, Ceresole, Bleuler, le colonel Gautier, les chefs d'arme Feiss, Lochmann, Grenus, les colonels Girard, de Perrot, Desgouttes, De Vallière, Sacc, Coutau, Des Loës, Paquier, Perrochet, Delarageaz fils, Falkner, Hug, Schweizer, et un grand nombre de lieutenantscolonels.

Le cortège a débouché un peu avant midi sur la place Neuve, où une foule immense s'était amassée. Quelques minutes après midi il s'est formé un cercle autour de la statue du général gardée par quelques soldats, puis M. le colonel Aubert a pris la parole et s'est exprimé comme suit:

‹ Le 2 juin 1876, une assemblée populaire se réunissait à Genève et décidait d'une voix unanime qu'un monument serait érigé dans cette ville à la mémoire du général Dufour. A l'appel adressé à tous les enfants de la Suisse pour contribuer à l'accomplissement de ce vœu patriotique, il a été répondu avec empressement. Non-seulement nous avons eu à enregistrer des dons abondants recueillis à Genève; non-seulement nous avons vu

dans tous les cantons de la Suisse des listes de souscription se couvrir d'une foule de noms, mais nous avons reçu des extrémités les plus éloignées du globe des offrandes qui prouvaient que le nom du général Dufour avait laissé dans tous les cœurs une empreinte profonde et ineffaçable (Bravos !) C'est qu'en effet, l'homme auquel nous élevons cette statue a réuni dans sa personne tous les caractères du citoyen dévoué à son pays, et que dans sa longue carrière il se proposa constamment pour but de ses efforts le bien et l'honneur de sa patrie. Le temps nous manque pour développer le récit de cette existence remplie de travaux de toute nature qui ont fait de Dufour un homme si complet et ont mérité à son nom à la fois le respect et l'amour de ses concitoyens et la considération de l'étranger. Mais nous ne pouvons cependant résister au désir de rappeler en quelques brèves paroles les titres nombreux qu'il avait à ce respect et à cet amour dont ce monument est destiné à perpétuer le souvenir à jamais.

Ingénieur, nous lui devons l'impulsion donnée à nos travaux publics, les embellissements de notre cité, les ponts suspendus exécutés à Genève, d'après ses plans et sous sa direction et qui ont inauguré ce genre de construction en Europe; les routes nombreuses qui dans toutes les directions sillonnent notre territoire, les ponts jetés sur nos cours d'eaux, les quais qui ont paré notre ville; c'est à sa collaboration active que sont dus l'intro duction de la navigation à vapeur sur notre lac, la création de notre premier chemin de fer et, dans une autre sphère d'activité mise à la portée de chacun, l'éclairage par le gaz et tant d'autres travaux qui ont métamorphosé notre Genève.

Auteur savant, les œuvres de Dufour sur la perspective, l'artillerie des anciens, la fortification, la tactique, etc., ont fait connaître son nom par tous les hommes qui s'occupent des sciences militaires et sont devenues des ouvrages classiques.

Lorsqu'en 1864, un congrès européen se réunit à Genève dans le but de préparer et conclure une convention internationale pour les secours à donner aux blessés en temps de guerre, ce fut Dufour, qui, nommé président du congrès, prit la part la plus importante à ses travaux. I's eurent pour résultat la création de la

Société de la croix rouge à laquelle on est redevable de tant de soulagement et de tant de misères imméritées et des calamités que la guerre entraîne fatalement à sa suite. (Bravos !) Dans les Conseils de la Confédération et de son canton, Dufour fit tou

jours entendre une voix acquise aux intérêts les plus relevés de la Suisse et de Genève, plaida avec énergie la cause de la modération et de la justice et trouva des accents éloquents toutes les fois que la neutralité et l'indépendance de la Suisse parurent menacées.

Comme ingénieur-géographe, c'est lui qui a conçu, dirigé, exécuté cette magnifique carte de la Suisse qui laissait loin derrière elle tout ce qui avait été fait jusqu'alors et dont d'ailleurs la perfection a été depuis lors poursuivie, peut-être atteinte, mais n'a pas encore été dépassée. Soldat, il se donna tout entier à sa patrie; membre des conseils militaires de la Confédération, fondateur et directeur de nos écoles d'état-major et du génie, inspecteur du génie, quartier-maître de l'armée, au commandement de laquelle il fut appelé à plusieurs reprises, dans toutes ces fonctions Dufour a rendu des services inappréciables; aussi son nom est-il gravé profondément dans les cœurs reconnaissants des vieux officiers qui, comme celui qui vous parle, ont servi sous ses ordres et ont dû à ses leçons et à son exemple le peu qu'il leur a été donné de faire après lui. (Bravos!)

Ce fut Dufour qui le premier en 1830 éleva la voix dans la Diète extraordinaire convoquée sur sa demande, dans un moment de danger, pour proposer de doter l'armée de ce drapeau fédéral dans les plis rouges duquel flotte cette croix blanche aux cinq carrés, que partout on appelle la croix fédérale et à la vue de laquelle tout cœur suisse bat avec fierté et amour. (Bravos répétés par des milliers de voix.) Mais dans sa carrière militaire, l'heure la plus solennelle, celle qui eut le plus de retentissement, c'est celle où, appelé par la Diète au commandement en chef de l'armée, il reçut la mission de rétablir l'unité de la Confédération déchirée par un schisme qui menaçait l'existence même de nos institutions. A la tête de forces importantes, Dufour se montra, dans cette circonstance critique, stratège habile, combinant ses dispositions de manière à rendre impossible toute lutte prolongée et à ménager un sang qui lui était cher, et consacrant toute son énergie et son influence à ramener des frères momentanément égarés. Ce fut cet esprit de modération qui porta au plus haut degré le nom de Dufour, qui le fit acclamer dans toutes les régions de notre Suisse et, ce qui ne s'était jamais vu, qui le rendit presque aussi populaire dans les cantons dissidents que dans ceux dont il avait dirigé les phalanges. Quelques années plus tard, en 1856, il recueillit l'éclatant témoignage de ces sentiments

lorsqu'il fut appelé de nouveau au commandement de l'armée, afin de protéger nos frontières du nord contre les éventualités d'une lutte avec une puissance étrangère. Avec quel enthousiasme il fut salué par les populations qui se pressaient sur son passage et par les bataillons réunis sous ses ordres, par ceux qui avaient fait partie de l'ancien Sonderbund, aussi bien que par ceux des autres cantons. Nous avons cherché à rappeler ce rôle de pacificateur de la Suisse dans le monument à l'inauguration duquel nous vous avons convié aujourd'hui.

Monsieur le président et Messieurs les membres du Couseil administratif.

En présence des autorités fédérales et cantonales, du chef de notre armée et des représentants des corps constitués et des sociétés qui nous ont fait l'honneur de répondre à notre appel.

Au nom des milliers de citoyens qui se sont associés pour l'exécution de cette œuvre.

Nous avons l'honneur d'en faire la remise à la Ville de Genève dont vous êtes les représentants, nous en confions la garde à vos soins, pour que ce monument soit parmi nos concitoyens un hommage permanent à la mémoire de l'homme vénéré dont il nous retrace l'image et qu'il transmette aux générations futures le nom et l'exemple du général Dufour. »

M. E. Empeyta, président du Conseil administratif, a accepté le monument par un éloquent discours terminé aux cris unanines de Vive Genève! Vive la Suisse !

M. Welti, président de la Confédération, a pris la parole ensuite; il s'est exprimé en allemand et a été écouté avec beaucoup de respect; les passages les plus saillants de son magnifique discours étaient salués par de nombreux bravos.

⚫ Chers confédérés ! s'est écrié M. Welti, c'est avec plaisir que les autorités fédérales prennent part à la fête de ce jour, et je suis heureux de vous apporter en leur nom un salut fédéral. »

L'orateur a assuré ensuite que, pour lui, comme pour les autorités fédérales et pour tous les citoyens suisses, l'emplacement du monument Dufour serait un lieu sacré. Puis il a rappelé la journée du juin 1814, qui a réuni Genève à la Suisse, réunion à laquelle le général Dufour a contribué plus que tout autre. M. le président de la Confédération a parlé ensuite de l'antique république de Genève et de ses vieilles libertés. Genève est une ville de lumière, elle a produit des hommes d'acier. En parlant des événements de 1847, M. Welti dit qu'à ce moment la Confé

dération était au bord du précipice et que ce fut le grand citoyen de Genève qui la sauva. Lorsque le général accepta le commandement de l'armée contre le Sonderbund, il sut se montrer à la hauteur de la situation délicate à laquelle il se trouvait placé, car n'avait-il pas en face de lui deux armées de citoyens, mais plus acharnés les uns contre les autres que les pires des ennemis.

« Nous étions dans l'obscurité, dans la nuit, et grâce à Dufour le soleil de la paix et de la fraternité a lui de nouveau. Toutes ces qualités, dit M. Welti, ne sont pourtant pas suffisantes pour justifier l'érection du magnifique monument qu'on inaugure aujourd'hui. Le général Dufour a fait mieux encore: il nous a donné des exemples que les générations suivantes imiteront, il faut l'espérer. Dufour avait un caractère de fer et il l'a bien montré en 1847. La plus belle victoire qu'il a remportée, c'est la victoire sur lui-même..

Un passage particulièrement émouvant du discours de M. Welti a été celui-ci :

Dans toutes les huttes, s'est-il écrié, dans toutes les chaumières de la Suisse, on conserve depuis longtemps le portrait du général Dufour; aujourd'hui, dans toutes ces huttes, dans toutes ces maisons, il s'est formé un autel devant l'image du vénérable général : c'est l'autel de la patrie.

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On a aussi beaucoup remarqué avec quel tact M. le président de la Confédération a fait allusion à l'abstention de certains cantons :

La fête ne serait pas complète, a-t-il dit, si je n'exprimais aujourd'hui les regrets que nous éprouvons tous de la non-participation officielle de quelques-uns de nos confédérés. »

En terminant son discours, M. Welti a fait appel à l'union de tous, rappelant l'exemple si touchant du général Dufour, qui a su, à des moments si douloureux, sauver la patrie. Dans un pays libre, la tâche du peuple n'est pas toujours très facile; nous devons avant tout avoir pour objectif la liberté; soyons unis malgré la diversité des religions, des langues et des races.

M. Welti, au nom de la Confédération suisse, a déclaré que celle-ci était heureuse de posséder dorénavant l'image vénérée, exécutée par un sculpteur suisse, de l'un de ses plus illustres enfants.

M. Gavard, président du Conseil d'Etat, a rappelé qu'un pays s'honore en vénérant la mémoire de ceux qui l'ont fidèlement

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