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ble. Les chefs d'unités sont embarrassés, indécis sur la dose d'individualité qui leur est permise. Les chefs subalternes ont besoin de leurs supérieurs, qui perdent de la sorte la vue de l'ensemble. Le service d'informations, celui des rapports sont incomplets. En un mot la pratique manque partout.

C'est à cette pratique du mécanisme dans la manœuvre qu'il nous faut arriver. Et c'est à l'apprendre que doit consister la seule et vraie préparation.

Alors seulement, non pas uniquement les chefs, mais aussi la troupe, seront capables d'être placés dans des situations conformes aux réalités de la guerre.

Obtenir cette capacité c'est en définitive réaliser l'idéal du dernier système de manoeuvre que nous avons examiné.

Mais comment, dans ce but, acquérir la pratique voulue? Nos régiments ne sont réunis que trois fois, les brigades deux fois, la division d'armée une fois, en 8 années, et quelques jours seulement chaque fois. Nos chefs en sont réduits, la plupart du temps, à leurs études de cabinet. Certes, les services annuels seraient de beaucoup préférables aux bisannuels, mais nous sommes sous le régime d'une loi et nous n'avons pas à discuter ici sur des moyens qui sortiraient du cadre de ses prescriptions. Nous chercherons à résoudre le problème, en nous inspirant des 3 systèmes de manoeuvres que nous avons analysés plus haut.

I

Dans les unités de troupes, on étudie les formes avant d'arriver à la pratique.

Appliquons le même principe à la manoeuvre et efforçonsnous tout d'abord d'en étudier les formes, en nous persuadant que nous avons deux buts à poursuivre simultanément: l'instruction des chefs et celle de la troupe,

La première préparation de la manoeuvre sera donc un exercice préliminaire qui devra porter sur les points principaux de l'action tactique, savoir:

1° L'acheminement, c'est-à-dire la concentration, la marche, le service d'exploration et d'information, le service de sûreté. 2o La période de l'engagement, soit la rencontre avec l'ennemi et le déploiement.

3o Le combat, d'abord offensif, son exécution, l'attaque, les démonstrations; ensuite défensif, la résistance et les retours offensifs.

4o Les résultats, savoir la poursuite et la retraite.

Les divers points et les diverses phases d'une rencontre devront être étudiés et exercés d'une manière régulière et théorique sur le terrain.

En s'inspirant du premier système examiné, il serait rédigé un programme très détaillé, fixant les mouvements des corps, l'heure et l'endroit où ils devront s'accomplir, prescrivant les détails des divers services, les emplacements des réserves, des voitures et du parc même, organisant le ravitaillement des munitions. L'exercice serait arrêté à intervalles prescrits pour les corrections et aurait lieu avec un ennemi supposé, ou préférablement avec un ennemi figuré. Instruit théoriquement sur le terrain même, chacun aurait, de la sorte, une idée parfaitement nette de son rôle.

Mais il s'agit là simplement d'un exercice et nullement d'une manœuvre. Il faut en effet nettement préciser la différence qui existe entre ces deux termes :

L'exercice prévoit les formations; la manoeuvre les laisse au libre arbitre du chef.

Cette première période de la préparation devrait être suivie immédiatement d'une seconde.

II

Cette deuxième période serait déjà une manœuvre d'après le le second des systèmes analysés. On y mettrait en pratique les principes exercés dans la première période.

Deux corps de force égale sont acheminés et mis en présence sur un terrain reconnu. Les lieux et heures de concentration, celle du départ de chacun des corps sont prescrits, de telle sorte que l'engagement ait lieu dans les positions voulues. Le terrain a été exactement limité à droite et à gauche, afin de rester dans des déploiements normaux et d'éviter des mouvements excentriques. Un programme général fixant l'issue du combat, a été élaboré. Liberté entière est alors accordée aux chefs pour son exécution, soit pour l'emploi des formations, soit pour l'utilisation tactique du terrain; toutefois avec la réserve d'une action correcte et avec l'obligation pour eux de ne rien prescrire qui puisse nuire à l'issue rationnelle et justifiée de la manoeuvre; cela afin d'éviter toute invraisemblance. Cette manoeuvre comprendrait autant que possible les formations exercées théoriquement dans la première période. Les fautes seraient corrigées et les juges de camp arrêteraient à cet effet les mouvements, toutes les fois que

cela serait nécessaire; ils veilleraient également à l'exécution des conventions. Quant à l'effet des feux, il aurait une valeur toute relative; ceux-ci ne devant servir qu'à marquer les positions et à rendre apparentes les fautes de l'adversaire qui se découvrirait trop. La position des réserves et des voitures aurait fait l'objet des mêmes applications que la troupe des combattants. Le service de sûreté aurait été pratiqué chaque soir d'une manière effective à tour de rôle par des corps différents. Le service sanitaire et celui de l'administration auraient été informés des dislocations. commandées et auraient pu prendre leurs arrangements.

Là s'arrêterait la préparation!

Pratiquée de la sorte, elle nous paraîtrait, sinon complète, du moins assez avancée pour qu'il soit possible de passer à la manœuvre proprement dite. Nous savons fort bien qu'une préparation semblable exigera des états-majors un travail préliminaire relativement considérable et qu'elle pourra paraitre superflue ou fastidieuse à quelques chefs. Ces derniers voudront bien songer moins à eux-mêmes qu'aux résultats auxquels ils doivent faire parvenir les troupes sous leurs ordres. Du reste, a-t-on jamais trop étudié et repassé les principes?

La manœuvre proprement dite et qui devra réaliser l'idéal du troisième système pratiqué pourra alors, ce nous semble, se faire sur un terrain non reconnu. Elle devra l'être entre deux corps opposés, à chacun desquels le directeur de la manoeuvre aura communiqué la veille la supposition générale et la direction de l'ennemi; il aura aussi limité le terrain d'une manière assez large, pour que l'indépendance des mouvements de chaque corps soit suffisamment assurée. Chacun de ceux-ci agira alors pour son propre compte et établira son service d'informations et de sûreté. Le jour de la manœuvre, les corps marcheront en avant et se chercheront. Rencontre. Combat. Jugement des juges du camp. Retraite et poursuite. Dislocations. Maintien du contact avec l'adversaire.

Tels sont les grands traits de cette manoeuvre sans programme, dont les avantages pour tous nous paraissent trop importants pour être négligés. L'image de la guerre dans les limites des conventions posées, serait exacte. L'administration, en particulier, aurait à pourvoir à l'alimentation et au cantonnement des troupes dans des localités imprévues, ce qui serait également un très bon exercice pour les chefs d'unité. La difficulté la plus sérieuse proviendrait des populations, prises au dépourvu; il

serait possible cependant de diminuer cet inconvénient en prévenant toute une contrée des éventualités et en réduisant à un minimum les obligations des communes.

La plus grande objection qui pourra être faite au système de préparation que nous proposons pour nos manoeuvres, est celle du temps nécessaire à son accomplissement, que la durée actuelle de nos cours de répétition ne suffirait pas à donner.

Or, nous nous demandons si, sous ce rapport, et comme cela a déjà eu lieu pour le plus grand bien du service, la loi sur l'organisation militaire ne pourrait pas être interprêtée dans son esprit, plus que dans sa lettre. L'article 104 de la dite loi porte pour l'infanterie: Il y a tous les deux ans des cours de répétition d'une durée de 16 jours, etc; et pour la cavalerie, à l'art. 108: Les cours de répétition ont lieu chaque année et durent 10 jours. Ce qui équivaut à fixer à 64 jours en 8 années, alternant de deux en deux ans le service de l'infanterie, et en 80 jours, pendant la même période, le service annuel de la cavalerie. Quelle que soit l'espèce du service, la durée est actuellement la même, et le cours de répétition seul d'une unité isolée a exactement la même durée que ce cours et le rassemblement de division réunis. Il y a là une anomalie. Il serait plus équitable de proportionner la durée des services à leur importance. Ainsi, on pourrait, pour l'infanterie, assigner une durée de

13 jours aux cours de répétition par bataillon,

15 jours aux cours de régiment,

17 jours aux cours de brigade, et

19 jours aux cours de division.

Pour la cavalerie, les cours annuels seraient, sans inconvénient majeur, réduits à 9 jours et portés à 12 jours lors des mancuvres de brigade et à 14 jours lors des manoeuvres de division. Le résultat total des jours de service serait le même que celui fixé par la loi.

Pour l'artillerie, il n'y aurait rien à changer à la pratique actuelle.

Dans le cas qui nous occupe, la division d'armée doit être prise pour base, car elle est la vraie unité de manoeuvre; normalement composée de troupes de diverses armes elle forme un tout de valeur et de force suffisantes pour soutenir un combat par elle-même. Pour réaliser le projet combiné, auquel nous aboutissons pour la préparation de la manoeuvre et pour la manœuvre elle-même, il faudrait employer 7 journées. Donc, sur

un cours de répétition proposé de 19 jours pour l'infanterie, dont 16 pour l'instruction: 9 jours seraient destinés au bataillon, au régiment et à la brigade, et 7 à la division. Ces 7 journées seraient employées comme suit :

2 jours aux exercices préparatoires, période I.

2 jours aux manœuvres avec programme, période II.

1 journée de marche nécessaire pour passer à des terrains inconnus.

2 jours de manoeuvres sans programme.

Ce que nous disons de la division peut s'appliquer à la brigade d'infanterie, combinée avec de l'artillerie et de la cavalerie. Les récentes guerres ont de fréquents exemples de détachements pareils et il est utile que les chefs soient familiarisés avec leur conduite. Sur 17 jours de service d'infanterie et 14 jours d'instruction, 8 seraient appliqués au bataillon et au régiment et 6 à la brigade.

Nous ne pensons pas qu'il faille combiner, dans la règle, le régiment d'infanterie seul avec des armes spéciales pour des manœuvres de campagne. I importe que le cours du régiment d'infanterie, comme le cours du bataillon, alternant avec les manœuvres par division et par brigade combinée, soit spécialement consacré à repasser les détails et les formes.

Nous croyons avoir suffisamment démontré la nécessité pour tout chef, même le plus instruit, de pratiquer logiquement et d'exercer la manœuvre.

Et qu'on ne nous accuse pas de trop sacrifier à cette partie du service et de l'instruction, et de négliger le mécanisme. Nous sommes de ceux qui prétendent, au contraire, qu'on ne perfectionne jamais trop l'étude des principes et des formes réglementaire. Mais nous nous souvenons aussi que, si un chef n'est rien sans une troupe exercée, une troupe, à son tour, aussi stylée qu'on peut se l'imaginer, ne sera rien non plus sans un chef exercé, sachant ce qu'il veut et ce qu'il doit, sachant également, par expérience, de quelle manière prompte et correcte il peut le mieux en procurer l'exécution.

Les considérations qui précèdent ne font qu'effleurer l'important problème qui se discute depuis longtemps dans nos sphères militaires, problème dont la solution devient tous les jours plus urgente.

Nous les soumettons à l'appréciation de nos chefs et de nos

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