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260. Mais à cet égard, il y a une observation essentielle qu'on ne saurait perdre de vue. La loi n'exige pas que chaque présomption ait un caractère égal de gravité et de précision, c'est dans leur ensemble, c'est par leur faisceau qu'il convient de les apprécier. Si de leur masse résulte la condition que l'article 1553 exige, c'est-à-dire un caractère grave, précis et concordant, on ne doit pas hésiter à les accueillir, encore bien que chacune d'elles, prise séparément, n'aurait pas une signification bien précise. On sait en effet que des faits peu importants, isolés les uns des autres, peuvent, par leur réunion, devenir décisifs, c'est ce qui a toujours été admis en droit : Quod licet que non prosunt singula multa juvant, ita e contra quæ non nocent singula multa nocent.

C'est ainsi d'ailleurs que l'ont toujours admis les jurisconsultes les plus éminents. Pothier nous dit luimême que les présomptions qui ne forment pas par elles-mêmes une preuve, peuvent, par leur réunion, créer cette preuve, et, à l'appui de ses paroles, Pothier rappelle l'exemple donué par Papinien dans la loi 26, Dig. de probat. Une sœur était chargée envers son frère de la restitution d'un fidéicommis. Après la mort de ce frère, il s'agissait de savoir si ce fidéicommis était encore dû par la sœur à la succession du frère. Papinien décida qu'on devait présumer que le frère en avait fait remise à sa sœur, il tire cette présomption de trois circonstances: 1o de l'union entre le frère et la sœur; 2o de ce que le frère avait vécu longtemps sans demander ce fideicommis; 3° de ce qu'on rapportait un très

grand nombre de comptes faits entre le frère et la sœur, sur les affaires respectives qu'ils avaient ensemble, dans aucun desquels il n'y en avait pas la moindre mention. Chacune de ces circonstances, ajoute Pothier, prise séparément n'aurait fourni qu'une présomption simple, insuffisante pour faire décider que le défunt avait remis la dette, mais leur réunion a paru à Papinien former une preuve suffisante de cette remise.'

On ne serait donc pas fondé à conclure au rejet des présomptions de ce que, à leur examen particulier, chacune d'elles n'a pas une gravité bien déterminée. L'article 1353 n'exige pas que chaque présomption soit grave, précise et concordante. Il suffit que dans leur ensemble elles présentent ce caractère pour que les juges, se fondant sur leur existence, déclarent que le dol reproché a eu effectivement lieu et annulent par conséquent l'obligation.

Rappelons en terminant que la preuve par présomptions n'étant admissible que lorsque la preuve testimoniale le serait elle-même, les tribunaux ne pourraient y recourir lorsqu'ils ne pourraient ordonner celle-ci. Il suit de là que le dol postérieur au contrat, sauf le cas où la simulation est convenue, ne pourrait être établi par présomptions.

Des Obligations, no 850.

261. Division.

CHAPITRE III.

DES EFFETS DU DOL.

SOMMAIRE.

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261. Le dol peut se glisser dans tous les actes de la vie humaine, soit qu'il ait pour objet de tromper celui avec qui on traite, soit qu'il ait pour but de pervertir la volonté d'un mourant et de lui arracher ainsi une spoliation injuste, soit enfin que, s'attachant aux choses les plus sacrées, il se soit proposé de corrompre le juge ou de lui soustraire les pièces essentielles qui doivent l'éclairer, ou de l'égarer par de faux documents.

Mais quelles qu'aient été les manœuvres et leurs résultats, la loi ne laisse nulle part le dol impuni. Elle

donne les moyens de l'atteindre partout où il a osé se glisser. Mais ces moyens diffèrent selon la nature de l'acte et le préjudice qui en est résulté.

Nous allons, pour procéder avec méthode, recher. cher quels sont ces moyens dans les cas les plus usuels, les plus ordinaires, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit de dol dans les traités. Nous examinerons ensuite, dans autant de sections séparées, les effets du dol dans les mariages, dans les testaments, dans les transactions, dans les jugements.

SECTION 1" DOL DANS LES TRAITÉS. SES EFFETS.

SOMMAIRE.

262. Matière de la section.

263. L'acte entaché de dol est nul si le dol réunit les conditions de la loi.

264. Quid lorsque le dol n'est qu'accidentel?

265. Effet du dol substantiel indirect.

266. Ainsi le dol dans les traités produit ou l'action en rescision ou celle en dommages-intérêts.

262.

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Nous comprenons sous le nom générique de traités tous les actes établissant entre parties contrac

tantes des obligations et des droits. Les observations. qui vont suivre s'appliquent donc aux ventes, échanges, louages, prêts, dépôts, cessions de droits corporels ou incorporels. L'effet du dol, dans chacun de ces contrats, est identique. Nous n'avions donc pas à examiner chacun d'eux dans sa spécialité, nous devions nous borner à constater le principe général qui les domine tous, et dont l'application sera facilement faite à chaque espèce particulière.

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263. L'acte entaché de dol ne saurait recevoir aucune exécution. Il est nul aux termes de l'article 1116 du Code civil à la double condition édictée par cet arcle, à savoir: 1° si les manoeuvres ont été pratiquées par l'une des parties; 2° si elles ont été telles que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

La réunion de ces deux circonstances constituant le dol substantiel et direct, l'acte qui en a été la conséquence n'a aucune autorité légitime. De quelque manière qu'il se soit produit, qu'il ait été positif ou négatif, ce dol atteint la convention dans son essence, lui fait perdre une de ses conditions indispensables et donne ouverture à une action tendant à l'infirmer. La victime a dès-lors la faculté d'obtenir de la justice d'être relevée de ses engagements.

La rescision de l'acte est ici d'autant plus indispensable que le dol a été la cause unique du contrat. La justice veut donc que les parties soient remises au même état qu'avant cet acte qui, comme conséquence inévitable, doit dès-lors disparaître.

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