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elle serait d'établir que la bonne foi de son adversaire n'est qu'un vain prétexte?

A côté de cet inconvénient déplorable, s'en trouvait un autre non moins grave. On ouvrait une large porte à l'arbitraire, en constituant les tribunaux juges nécessaires de cette intention. C'était, en effet, les placer en présence de deux allégations dépouillées de tout secours extérieur et les exposer ainsi à consacrer dans plusieurs cas le contraire de la vérité.

Il n'y avait qu'un seul moyen qui pût faire heureusement franchir ce double écueil, et ce moyen est celui que la loi a pris. Le fait de la possession des pièces et leur rétention est déterminant. Il crée une présomption légale de dol, suffisante pour donner ouverture à la requête civile.

La loi ne pouvait pas hésiter à se décider ainsi, car le résultat qu'elle atteint est le seul juste, le seul équitable. Ainsi la partie qui ne doit rien se trouve exonérée d'une condamnation imméritée. Son adversaire perd le bénéfice d'un jugement qui n'a été qu'une surprise à la religion des juges, et dont l'annulation ne fait que lui rendre la position dans laquelle il était réellement placé.

Le système contraire a des conséquences iniques et grève d'une responsabilité désastreuse la partie qui n'a absolument rien à se reprocher. En effet, si elle n'a pas produit les pièces dont son intérêt exigeait la représentation, c'est par l'excellente raison qu'elles étaient dans les mains de son adversaire. On ne saurait donc lui reprocher ni faute, ni imprudence, ni légèreté.

Il n'en est pas de même de ce dernier, s'il pouvait

échapper au reproche d'avoir commis une faute grave, il se trouverait au moins convaincu de négligence. Il a, en effet, le tort de ne s'être pas assez assuré de l'existence du droit qu'il allait exercer. Cependant c'est lui qu'on récompenserait de cette heureuse négligence, c'est lui qu'on enrichirait des dépouilles injustement arrachées à son adversaire!

Est-il vrai cependant qu'il doive en être ainsi et que la loi n'ait autorisé la requête civile que lorsqu'il s'agit d'un dol caractérisé?

La négative s'induit des motifs et du texte de l'article 480. La requête civile n'est qu'un moyen de corriger l'erreur dans laquelle le juge devait fatalement tomber par le fait ou par la fraude de l'une des parties. C'est ce que prouve invinciblement le paragraphe 9 de cet article 480.

L'usage des pièces fausses peut caractériser un dol. Il peut aussi n'être que le résultat de la bonne foi et de l'ignorance. A-t-on hésité, dans cette dernière hypothèse, à autoriser la requête civile? Cependant la bonne foi de la partie est exclusive de toute intention frauduleuse, et si la loi exigeait cette intention, il faudrait décider, pour l'usage des pièces fausses, ce que M. Chauveau enseigne pour la rétention des pièces. Le contraire cependant n'a jamais été contesté par per

sonne.

Mais, si la bonne foi n'est point une excuse pour l'usage des pièces fausses, pourquoi lui recounaîtrait-on ce caractère, lorsqu'il s'agit de rétention de pièces décisives? Évidemment il y a dans les motifs de décision,

dans l'un et dans l'autre cas, une telle identité qu'on ne saurait justifier ni concevoir une pareille divergeance dans les résultats.

Concluons donc que le sens du paragraphe 10, déterminé par les motifs qui ont fait admettre la requête civile, justifié par l'énormité des conséquences que le système de M. Chauveau entraînerait, est invariablement fixé par son rapprochement avec le paragraphe 9. Le dol est présumé dans le fait de rétention, au même titre que dans le fait de l'usage des pièces fausses. L'un et l'autre se réalisant, le jugement est essentiellement altéré dans son principal caractère, et la requête civile est ouverte, quelles qu'aient été les causes déterminantes de l'un ou de l'autre. La preuve que le paragraphe 10 n'a pas d'autre but que le paragraphe 9, c'est que déjà le paragraphe 1er punissait le dol personnel, et qu'il est impossible d'admettre que le législateur ait cru devoir consacrer deux fois, dans le même article, la même disposition.

Enfin la justesse de notre conclusion est prouvée par la jurisprudence que nous avons déjà rappelée. Si, dans la supposition de mauvaise foi admise par M. Chauveau, la loi exige la dissimulation et la rétention, la conséquence nécessaire de sa disposition sera que le dol n'existera que par la réunion de ces deux circonstances, et que la simple dissimulation, fût-elle le produit de la fraude la plus insigne, ne saurait, dans aucun cas, autoriser la requête civile.

Le contraire a été cependant formellement jugé par la Cour de cassation. Son arrêt, du 19 février 1823,

décide, en effet, que la dissimulation d'une pièce, sans qu'il y ait eu rétention, pouvait constituer un dol donnant ouverture à requête civile. Dans le système de M. Chauveau, cet arrêt serait une violation flagrante de la loi, puisqu'il ferait produire à une seule des circonstances prévues les effets que la loi n'a voulu donner qu'à la réalisation simultanée de l'une et de l'autre. S'il faut qu'il y ait mauvaise foi, dissimulation et rétention, il est évident que la mauvaise foi qui n'aura produit que la dissimulation ne pourrait être atteinte, sans méconnaître la volonté expresse du législateur.

que

La Cour de cassation n'a pas hésité pourtant, et M. Chauveau approuve formellement son arrêt. Donc la Cour a admis expressément que le texte du paragraphe 10 de l'article 480 a un sens tout spécial, à savoir : la réunion des circonstances qui y sont énumérées crée une présomption légale de dol, rendant inutile et superflue l'examen de l'intention qui les a déterminées. Cet examen devient, au contraire, indispensable lorsque les parties se trouvant en présence d'une simple dissimulation, il y a lieu de rechercher si cette dissimulation ne constitue pas un véritable dol, et s'il convient d'appliquer le paragraphe 1er. La bonne ou mauvaise foi, indifférente dans la première hypothèse, est donc décisive et conséquemment nécessaire à établir dans la seconde.

447. Nous aurions maintenant à rechercher quels sont les jugements qui peuvent être attaqués par la voie de la requête civile; quels sont les effets de l'introduction

de l'instance, ceux de son admission. Mais les difficultés que ces divers points peuvent entraîner appartiennent à une autre matière que celle qui nous occupe. Nous devons donc renvoyer aux auteurs qui ont écrit sur cette partie de notre droit. Rappelons seulement que l'exécution du jugement attaqué ne saurait être ni suspendue ni arrêtée jusqu'au moment où, par la consécration de la requête civile, ce jugement se trouve rétracté et les parties remises au même état qu'avant sa prononciation.

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448. Motifs de la prise à partie.

449. Inconvénients de l'admission de cette voie. Dangers pouvant résulter de sa prohibition.

450. Coup d'œil historique.

451. Abrogation de l'ancienne législation par la loi du 3 brumaire an iv et plus tard par le Code de procédure.

452. Cas donnant ouverture à l'action.

453. Différence en cette matière entre le dol et la fraude. 454. Différence dans leur origine. Conséquences.

455. Différence dans les faits à prouver.

456. Leurs effets.

457. La concussion se place sur la même ligne que le dol. 458. Conduite que le magistrat doit tenir envers les plaideurs. 459. Admissibilité de la preuve testimoniale.

460. Caractère du déni de justice.

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