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même inutile si des présomptions, ayant ce triple caractère, peuvent dès à présent former la conviction du juge. 1

Voilà ce que le législateur a cru devoir faire; voilà la ligne de conduite qu'il a trouvée toute tracée dans les législations précédentes. Sans doute la difficulté de la preuve assurera, comme ses incertitudes, la réussite du dol et de la fraude dans quelques hypothèses. Mais le mal serait-il moindre, si, pour atteindre plus facilement le dol, on se fût exposé à condamner quelquefois la bonne foi elle-même? Le choix fait par le législateur, entre ces deux dangers, ne saurait donc lui mériter le reproche de faiblesse ou d'indulgence.

C'est aux magistrats à féconder, dans l'application, le germe de répression renfermé dans la loi. L'appréciation laissée à leur prudence et à leurs lumières, la recevabilité de la preuve testimoniale, l'admissibilité de celle par présomptions, sont autant de moyens propres à atteindre ce but si désirable, si intéressant pour l'ordre public lui-même.

6. Nous ne nous dissimulons pas le caractère de la mission confiée aux tribunaux. Les procès en dol ou fraude offrent, non une question de droit, mais une pure question de fait. Les circonstances dont on se plaint existent-elles? Sont-elles prouvées? Caractérisent-elles le dol ou la fraude? Tels sont les points uniques que ces

1 Dolum ex indiciis perspicuis probari convenit, L. 6, Cod. de Dolo malo.

procès donneront à résoudre. Dans une difficulté de cette nature, le magistrat n'a de guide assuré que sa conscience, d'autre élément de décision que son opinion. elle-même. Dès lors, vouloir offrir des règles à leur appréciation, c'est paraître tenter une entreprise sans utilité et sans but. Cependant, il est des notions que le juge ne doit pas négliger, alors même qu'il obéit aux inspirations de sa conscience. Il ne suffit pas qu'une cause soit équitable, il faut qu'elle soit, de plus, avouée par le droit. Or, éclairer les principes, les poser nettement, en déduire les conséquences, c'est encore se rendre utile en offrant des bases légales à cette appréciation souveraine.

C'est ce que nous venons faire en traitant une matière trop négligée de nos jours. Le Traité de M. Chardon a quelque peu vieilli, et nul autre que lui n'a traité le dol et la fraude d'une manière spéciale. Puissent nos efforts contribuer à leur répression!

7. Pour atteindre à cette répression, il faut que les magistrats se pénètrent bien de l'esprit de la loi. Dans les procès de ce genre, le défendeur à la nullité fait les plus pressants appels à l'autorité du titre, surtout lorsque ce titre est authentique ; à l'entendre, il ne faut, sans mettre en péril les choses les plus sacrées, lui porter aucune atteinte ou en amoindrir la puissance.

8.

-

Oui, il importe que le titre soit respecté. Une convention légitime ne doit pas rester un vain mot. Mais tout cela ne peut et ne doit faire repousser, sans

instruction, les reproches d'illégitimité adressés au contrat. La faveur accordée au titre par le législateur, n'est

que la conséquence de la présomption que ce titre est loyalement intervenu et que l'obligation qu'il crée est légalement contractée. C'est donc vouloir en méconnaître le caractère que de prétendre la convertir en une arme portectrice du dol ou de la fraude.

Le législateur y a si peu songé, qu'il n'hésite pas à anéantir le titre, lorsque le reproche est justifié, et c'est à la preuve testimoniale qu'il demande les fondements de ce reproche. L'admissibilité de la preuve orale, contre un titre écrit, indique bien le prix qu'il attache à la répression de tout ce qui altère la pureté et la loyauté du contrat.

9. Au reste, l'admissibilité de la preuve orale était une véritable nécessité. Le dol et la fraude se gardent bien de laisser après eux des traces écrites. Vouloir des titres écrits ou seulement un commencement de preuves, c'était renoncer à l'espérance de toute répression.

Cette considération avait paru si décisive à nos anciens jurisconsultes, qu'elle les avait même porté à se montrer peu exigeants sur les résultats de la preuve orale.

La fraude, dit Dumoulin, éloigne les témoins au lieu de les appeler, quare non ita cxacte probationes de jure exiguuntur...... Alioquin facillissime esset sophisticatione verborum, seu per verbales actus, quotidie eludere consuetudinem. 1

1 Ancienne coutume de Paris, § 23, no 62.

Simulationem probari ex indiciis et conjecturis, probationesque imperfectas, nimisque integras admitti.1

Ce qui était vrai à cette époque,n'a pas cessé de l'être, ou mieux l'est devenu plus encore aujourd'hui. Tout a progressé depuis lors, et le dol et la fraude ne sont certes pas restés en arrière. On pourrait donc enseigner encore aujourd'hui qu'on doit non-seulement admettre la preuve testimoniale, ce qui ne fait pas doute, mais encore qu'on ne doit pas trop se montrer sévère sur ses résultats.

10.

Cependant, nous avons entendu souvent soutenir le contraire. Les nullités, a-t-on dit, sont odieuses, il faut donc se garder de les encourager, Odia restringenda. Il n'y a de nullités odieuses de nullités odieuses que celles s'adressant à la forme, sans pouvoir atteindre le fonds du droit. Qu'importe, en effet, comme le dit un jurisconsulte moderne, dans le for intérieur, l'irrégularité d'une demande dans la forme, si cette demande est juste au fonds?

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Mais la nullité d'un acte couvrant sous sa perfection apparente un traité injuste, arraché par le dol ou suggéré par la fraude, n'est qu'une légitime satisfaction à la bonne foi indignement abusée; loin d'offrir quelque chose d'odieux, ce résultat n'a rien que de très moral et de très juste.

Ce qui serait véritablement odieux, ce serait d'en

Leferon, sur l'art. 15, Coutume de Bordeaux, titre du retrait lignager.

Solon, des Nullités, introduction, p. vi.

tourer d'une sollicitude quelconque l'auteur présumé d'une fraude coupable, de contribuer, par une sévérité intempestive, à rendre la découverte du dol impossible, et d'assurer ainsi le triomphe d'une spoliation audacieusement exécutée.

L'esprit de la loi repousse et devait repousser un pareil résultat. Les efforts des magistrats tendront sans cesse à en empêcher la réalisation. Ce n'est pas par des considérations pareilles que la demande en preuve doit être repoussée. Les invoquer, c'est se placer dans une contradiction flagrante avec la loi, avec la morale, avec la vérité.

11. C'est dans les faits du procès, dans les circonstances ayant précédé, accompagné et suivi le contrat; c'est dans la position des parties, dans la nature de la convention, dans les faits dont on demande la preuve, que se puiseront les éléments d'appréciation de son admissibilité. Ce que les magistrats ne doivent jamais perdre de vue, c'est que le dol et la fraude sont difficiles à justifier; c'est que si la condamnation injuste est à jamais regrettable, il importe peu que cette condamnation doive méconnaître des droits légitimes ou consacrer une prétention déloyale. C'est donc à concilier tous les intérêts qu'ils doivent tendre sans cesse. Ils y aboutiront en portant dans l'examen des difficultés qu'ils auront à résoudre les saines notions de l'équité et dudroit.

12. Les mots dol et fraude sont souvent réunis et

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