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quisition des droits réels (qui, à la rigueur, ont pu être compris dans cette dénomination générique de la propriété, puisqu'ils en sont des parties intégrantes), mais encore à l'acquisition du droit personnel de créance. Le véritable objet de ce livre est même très-vaste! c'est de déterminer et de gouverner toutes les relations civiles qui peuvent s'engager entre les personnes, à l'occasion des biens.

Mais d'où vient alors cette formule restrictive de notre rubrique ?

On peut en donner deux explications:

On peut dire d'abord que le législateur aura considéré que les créances elles-mêmes étant des biens qui nous sont propres, c'est, dans un certain sens, acquérir que de devenir créancier, comme de devenir propriétaire.

C'est ainsi que Demante a écrit « que, à un certain point de vue l'acquisition de la propriété embrasse l'acquisition de tous les droits produisant un avantage pécuniaire; car tous ces droits, réels ou personnels, constituent un bien; et ce bien, effectivement, est propre à la personne à laquelle il compète. » (T. III, no 4 bis.) Tel est aussi le sentiment de Zachariæ et de MM. Aubry et Rau, qui, après avoir défini la propriété le droit en vertu duquel un objet est soumis, d'une manière absolue, au bon plaisir d'une personne, ajoutent que l'article 711 emploie le mot propriété dans ce sens général, que l'on retrouve encore dans l'article 136 du Code de commerce (t. I, p. 391).

Mais il est permis de douter que les auteurs du Code aient employé ici le mot propriété dans cette acception étendue et inusitée; tout semble annoncer que cette expression, qui comprenait, il est vrai, dans leur pensée, la propriété et les différents droits réels qui en dérivent, ne s'appliquait pas, au contraire, aux simples droits personnels (comp. art. 711 à 717).

Ce qui paraîtrait plus probable, c'est qu'ils ont ainsi

rédigé la rubrique de leur troisième livre sous l'influence du nouveau principe qu'ils y avaient consacré, à savoir: que la propriété des biens est transmise par l'effet des obligations (art. 711, 1138); de telle sorte que, dans le moment où ils formulaient le titre de ce livre, l'acquisition du droit personnel ne leur serait point apparue comme distincte de l'acquisition du droit réel (comp. notre Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. I, no 414).

Sans doute, c'était là une préoccupation excessive; car s'il arrive souvent, d'après le nouveau principe, que la propriété est acquise de la même manière et en même temps que le droit personnel, il est aussi un grand nombre de cas dans lesquels l'acquisition du droit personnel n'engendre et ne peut engendrer aucune acquisition du droit réel, comme lorsqu'il s'agit d'un objet déterminé, mais dont le promettant n'est pas encore propriétaire, et, dans tous les cas, lorsqu'il s'agit d'un droit personnel, qui ne consiste pas dans l'obligation de transférer la propriété, comme celui que produisent le louage, le dépôt, le commodat (voy. tit. vin, x et x1). Il est d'ailleurs manifeste aussi que toutes les manières par lesquelles on acquiert le droit réel, ne peuvent pas également faire acquérir le droit personnel; et Demante lui-même remarque fort justement qu'une créance, par exemple, ne pourrait pas s'acquérir par prescription (loc. supra cit.).

Il faut donc reconnaître que cette rubrique est incomplète et qu'elle n'exprime pas exactement toutes les matières dont il est question dans le livre troisième.

Cette inexactitude, au reste, est sans importance; il suffit, que notre troisième livre soit complet; et nous avons déjà dit qu'il traite effectivement des manières d'acquérir, soit la propriété ou ses divers démembrements, soit les droits personnels; et même, à l'occasion des obligations, les rédacteurs de notre Code ont posé, dans ce livre troisième, les règles de plusieurs matières,

qui ne se rattachent que d'une façon très-accessoire, aux obligations considérées comme source des droits réels ou personnels, telles que les dispositions qui trai tent de la contrainte par corps, de l'expropriation forcée des priviléges et hypothèques.

3. On ne saurait nier toutefois que ce livre troisième de notre Code ne présente, sous ce rapport, une confusion regrettable entre les causes translatives du droit réel, dominium, jus in re, et les causes qui n'engendrent, au contraire, que le droit personnel, obligatio, jus ad rem.

Les Romains avaient eu grand soin de ne pas commettre cette confusion; et ce n'est qu'après avoir exposé séparément les différentes manières d'acquérir, que l'empereur Justinien est arrivé aux obligations: nunc transeamus ad obligationes (Inst. lib. II, tit. xi, princ.; comp. ff. de adq. rer. dom., et de verb. obligat.).

Le tribunal d'appel de Paris, dans ses observations sur le projet, avait remarqué précisément « qu'on aurait mieux fait de distinguer, à l'égard des choses, comme font tous les jurisconsultes, le droit à la chose et le droit dans la chose.... » (Fenet, t. V, p. 212.)

Mais ces observations ne furent pas écoutées.

C'est un motif de plus pour rétablir ici, nettement et dès le début, cette distinction fondamentale.

Nous dirons donc tout d'abord qu'il importe de ne pas confondre les manières d'acquérir proprement dites (mo dus acquirendi), avec les titres en vertu desquels les acquisitions peuvent se réaliser (titulus ad acquirendum).

On appelle manière d'acquérir, ou mode d'acquisition, l'acte ou le fait, qui est par lui-même attributif de la propriété. Tels sont, par exemple, l'occupation, la succession, le legs d'un corps certain; telles sont aussi, d'après le Code Napoléon, les obligations par l'effet desquelles la propriété se transmet immédiatement (art. 711, 1138); nous verrons plus tard la modification que

la loi du 23 mars 1855 sur la transcription, a apportée à ce principe. (Comp. Cass., 22 juin 1864, Lepère, Dev., 1864, I, 349.)

Le titre, c'est la cause de l'acquisition; c'est la raison juridique, en vertu de laquelle l'acquisition peut légitimement s'accomplir; on pourrait dire que l'acquisition ou le mode d'acquérir, c'est l'effet, et que le titre, c'est la cause, radix et fondamentum juris (voy. notre tome IX, n° 597, et notre tome VII, n° 720).

Ces deux éléments doivent nécessairement se rencontrer dans toute acquisition quelconque ; car il est évident qu'il ne peut pas y avoir d'acquisition sans un titre, c'est-à-dire sans une cause.

Mais il n'en faut pas conclure que le titre et le mode d'acquérir doivent avoir une origine différente ou une existence distincte, et ne puissent pas naître en même temps et simultanément. Tout au contraire! il est un très-grand nombre de cas dans lesquels ces deux éléments se confondent, et où l'effet, c'est-à-dire l'acquisition, est instantanément produit par sa cause, c'est-àdire par le titre d'où cette acquisition dérive; tels sont la succession, le legs, ou plus généralement l'obligation qui consiste à livrer un corps certain (art. 711, 1014, 1138). Ces faits ou événements juridiques, dans lesquels la propriété sort immédiatement de la cause qui la transfère, reçoivent plus spécialement, dans le langage technique, la dénomination de manière d'acquérir, modus acquirendi.

D'autres fois, le titre et le mode d'acquisition sont distincts et s'accomplissent successivement par des actes séparés telles sont toutes les obligations qui consistent à transférer des quantités ou des corps indéterminés; l'obligation alors, ou plutôt la créance, n'est qu'un titre pour acquérir; elle n'est qu'une cause future d'acquisition; et l'acquisition elle-même, c'est-à-dire la translation de propriété, ne s'opère que par la tradition, qui

spécialise les quantités, et qui seule devient ainsi la véritable manière d'acquérir la propriété (infra, n° 16).

4.Sous ce point de vue, le mot acquérir a un sens précis et technique, acquérir, c'est devenir maître, dominus; aussi faut-il bien se garder de confondre, comme on le fait vulgairement dans la langue usuelle, ces deux termes acquérir et acheter; acquérir n'est pas plus le synonyme d'acheter que aliéner n'est le synonyme de vendre; l'un est le genre, l'autre seulement l'espèce. L'héritier acquiert, le légataire acquiert; le chasseur qui tue du gibier à la chasse, acquiert; aucun d'eux n'achète. Et même acheter peut n'être pas acquérir; c'est ainsi qu'à Rome, où la vente n'était pas translative de propriété, l'acheteur n'était pas acquéreur par le seul effet du contrat, et ne devenait tel que par la tradition de la chose vendue; chez nous encore, il est clair que l'acheteur de choses indéterminées ne peut pas les acquérir par l'effet immédiat de la vente, mais seulement par la délivrance (supra, no 3).

Le véritable corrélatif d'acquérir, c'est aliéner, c'est-àdire rem suam alienam facere; cette corrélation toutefois n'est pas absolue; et ces deux termes ne se correspondent pas toujours d'une part, en effet, l'acquisition ne suppose pas nécessairement l'aliénation; c'est ainsi que, par les modes d'acquisition originaire, comme l'occupation, nous acquérons les choses qui n'appartiennent à personne; et J'autre part, il se peut anssi (quoique plus rarement) que l'aliénation ne produise pas l'acquisition; c'est ce qui arrive dans le cas où le propriétaire d'une chose l'abandonne sans la transmettre à un autre, pro derelicto (infra, no 59).

Le mot acquérir, est d'ailleurs générique; et il comprend toutes les causes d'acquisition, à titre gratuit ou à titre onéreux (comp. art. 217).

Le mot aliéner, qui y correspond, semble devoir être lui-même aussi étendu; et on peut dire, en effet, qu'il

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