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Mais précisément, l'ascendant qui succède à la chose par lui donnée n'est pas le cohéritier de ceux qui succèdent aux autres biens; et nous avons démontré plus haut qu'il n'existe entre eux aucune obligation de rapport (supra, no 486).

Donc, nous avons eu raison de dire que, d'après les principes du droit, la dette d'indemnité que l'on veut imposer à l'ascendant, envers la succession ordinaire, était véritablement impossible.

4° Nous ajouterons, enfin, que cette doctrine ne nous paraît, d'ailleurs, avoir rien d'excessif et qu'elle se recommande même encore par plusieurs considérations trèsimportantes.

D'abord, elle établit une équitable réciprocité de chances, sous ce rapport, entre l'ascendant donateur et les héritiers de la succession ordinaire; et puisque l'ascendant supporte les détériorations que le donataire aurait commises sur la chose, il paraît assez juste qu'il profite aussi des améliorations que le donataire y aurait faites. Nous savons bien que cette règle de réciprocité n'est pas absolue; et l'on a pu citer des cas où elle n'est pas appliquée, tels que celui de l'article 132; mais il faut aussi que l'on convienne que ces cas sont exceptionnels. En général, c'est la règle de réciprocité que la loi applique; et elle en fait précisément l'application dans l'hypothèse du rapport d'un immeuble par l'héritier donataire à la succession du donateur (art. 861, 862, 863); c'est-à-dire dans l'hypothèse même à laquelle on voudrait assimiler celle qui nous occupe.

En second lieu, notre doctrine a l'avantage de prévenir les difficultés et les contestations que ferait presque toujours naître la liquidation plus ou moins compliquée de ces indemnités.

Enfin, il faut remarquer que c'est la loi, après tout, qui règle ici le sort des biens laissés par le défunt; or, la loi, certes, avait bien le pouvoir d'attribuer sans au

cune obligation de récompense, à l'ascendant la chose par lui donnée, avec les améliorations que le donataire y aurait faites; elle en avait, disons-nous, le pouvoir visà-vis des autres héritiers ab intestat qui ne tiennent euxmêmes que d'elle leur vocation héréditaire. Et la loi pouvait d'autant plus le décider ainsi, que, en admettant même que le donataire ait voulu, par les améliorations qu'il a faites sur la chose donnée, conférer un avantage à son ascendant, il en avait certainement le droit, et qu'il était même juste et équitable de respecter, en cela, sa volonté (arg. de l'article 1019).

En conséquence, nous concluons que l'ascendant n'est tenu à aucune indemnité :

Ni

pour

les frais de labour et de semence; Ni pour les impenses nécessaires; Ni pour les impenses utiles;

Et que les autres héritiers n'ont pas le droit d'enlever les objets que le de cujus avait placés sur l'immeuble donné, et qui, d'après la loi, en sont devenus des accessoires à perpétuelle demeure, comme immeubles par par destination (comp. Toullier, t. II, no 232; Demante, t. III, n° 57 bis, III).

560. Faudrait-il appliquer cette doctrine même au cas où l'ascendant aurait donné un enclos, dont le donataire aurait ensuite augmenté l'enceinte?

L'ascendant succéderait-il à l'enclos ainsi agrandi? et en cas d'affirmative, y succéderait-il sans aucune obligation de récompense?

On pourrait le soutenir ainsi avec une assez grande force soit par un argument d'analogie déduit de l'article 1019, que nous citions tout à l'heure; soit parce que cette solution semblerait, en effet, fort raisonnable; car la loi appelle l'ascendant à succéder à la chose par lui donnée, telle qu'elle se trouve au moment de l'ouverture de la succession; or, à ce moment, le parc ou l'enclos quelconque qu'il a donné, se trouve là for

mant toujours un seul et même bien, quoiqu'il ait été agrandi.

Nous devons reconnaître toutefois que cette extension de notre doctrine serait ici d'autant plus contestable, qu'elle n'était pas admise dans notre ancien droit en matière de propres, c'est-à-dire dans une matière qui nous a fourni précisément sur cette question notre premier et principal argument.

Pothier s'en exprimait formellement en ces termes :

« Lorsque j'acquiers un morceau de terre contigu à celles d'une métairie qui est propre, quoique je l'unisse à ma métairie, en le donnant à ferme par un même bail avec ma métairie, et comme une terre qui en dépend, ou en l'enfermant dans l'enceinte de mon parc, dont j'ai pour cet effet reculé les murs, il ne laissera pas d'être acquêt. (Introduct. générale aux Coutumes, no 82.)

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561. La doctrine que nous venons de défendre, et d'après laquelle l'ascendant n'est tenu à aucune obligation d'indemnité vis-à-vis de la succession ordinaire, à raison des améliorations faites par le donataire sur la chose donnée, cette doctrine nous paraît devoir être certainement suivie, lorsque les héritiers de la succession ordinaire n'ont droit à aucune réserve, comme si le donataire n'a laissé que des frères et sœurs, ou des neveux et nièces (art. 916).

Mais ne devrait-elle pas, au contraire, fléchir dans le cas où le de cujus aurait laissé des héritiers à réserve; comme si, par exemple, la donation ayant été faite par l'aïeul au petit-fils, celui-ci venait à mourir sans postérité, laissant son aïeul et ses père et mère? (Art. 915.)

Tel est le sentiment de Demante, qui pense que «< comme il y a évidemment dans la plus-value résultant des améliorations un avantage indirect en faveur de l'ascendant donateur, cet avantage ne pourrait pas être maintenu au préjudice d'héritiers à réserve. » (T. III, n° 57 bis, III.)

Il paraît pourtant que, dans l'ancien droit, on n'exceptait pas même cette hypothèse :

« Si le bâtiment est fait sur un propre, disait Lebrun, l'héritier des propres n'en doit point de récompense à celui des acquêts, non pas même en coutume, qui défend d'avantager son héritier présomptif, à moins qu'elle ne parle expressément de ce cas. » (Liv. II, chap. v, sect. I, Distinct. 2, no 32.)

Toutefois, le président Espiard, son annotateur, ajoutait que, dans les coutumes où les donations entre mari et femme étaient prohibées, on devait avoir égard aux constructions faites par le mari sur les fonds sujets au douaire de la femme. « Autrement, disait-il, ce serait un moyen évident de contrevenir à la coutume, et d'avantager une femme pendant le mariage, contre la prohibition de la loi.» (Loc. supra cit., no 35.)

Ce motif nous paraît, en effet, très-grave; et nous croyons également que si l'enfant donataire laissait des héritiers à réserve, il pourrait y avoir lieu de considérer comme des avantages indirects, sujets par conséquent, suivant les cas, à réduction, les améliorations que le donataire aurait faites sur la chose donnée.

Mais il est facile de reconnaître que cette solution particulière ne compromet, en aucune façon, la doctrine générale que nous avons soutenue; car il n'est plus ici question d'une dette d'indemnité, ni d'une obligation de rapport par l'ascendant envers la succession ordinaire; il s'agit d'une action en réduction, c'est-à-dire d'un tout autre ordre de principes.

FIN DU TREIZIÈME VOLUME.

TRAITÉ DES SUCCESSIONS.

I-41

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