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sans l'excuser. La commission nommée pour l'examiner, voulant prononcer par une seule loi toutes les exclusions et toutes les incapacités nationales, engloba la famille Bonaparte dans la proscription qui frappait la maison de Bourbon. La loi votée, sauf l'application de la peine de mort en cas de rentrée sur le territoire, ne fut promulguée que le 10 avril 1832.

L'espoir de rentrer en France abandonna les membres de la famille Bonaparte. « Le roi Jérôme, seul de tous les siens, persista dans la foi qu'il ne mourrait pas dans l'exil. Les événements de Strasbourg auraient été de nature à porter un dernier coup à cette foi inébranlable. Elle se ranima par la rencontre qu'il fit d'un personnage illustre déjà, et dont nous avons vu la longue carrière se prolonger jusqu'à nos jours, au delà du cercle d'action, d'idées, d'événements, auquel sa remarquable personnalité était attachée. M. Thiers, dans un voyage qu'il fit en 1837, rencontra le roi Jérôme à Florence. Reçu par le prince dans sa modeste retraite de Quarto, il se passionna vivement pour ce représentant d'une époque héroïque (1)...

M. Thiers alla lui-même au-devant des confidences du roi Jérôme sur son ardent désir de revoir sa patrie, et s'y associa avec chaleur. Il promit de tout cœur d'employer son influence non pas pour obtenir le rappel de la loi de 1832, ce qui lui semblait impossible, mais une exception personnelle qui permît au roi Jérôme de rentrer en France (2). » La lettre suivante, adressée de Florence, le

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine. (2) Idem.

M. PIETRI ET JEROME BONAPARTE.

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21 juillet 1837, par M. Thiers à M. Jérôme Bonaparte, témoigne en effet d'un grand zèle à le servir.

Mon prince, j'ai reçu hier votre lettre et l'envoi qui l'accompagnait. Je garderai l'un et l'autre comme un des plus précieux restes de Napoléon. Je suis, vous le savez, l'un des Français de ce temps les plus attachés à sa glorieuse mémoire, et je serai heureux quand je verrai le retour des parents qui lui appartiennent se concilier avec le repos de notre pays et le maintien de son gouvernement. Je suis particulièrement heureux de vous devoir ce souvenir de Napoléon, car vous êtes l'un des princes de sa famille qui ont le mieux compris et soutenu avec le plus de dignité le rôle qui leur convenait. Je n'avais que des liens de sympathie avec votre personne, la connaissance que j'ai faite de vous et de vos dignes enfants m'unit à vous d'une amitié dont je vous prie de me permettre ici l'expression respectueuse et sincère.

» Recevez, mon prince, mes hommages et mes vœux, et veuillez transmettre mes respects et ceux de ma famille à la princesse votre fille. »

Deux ans plus tard, M. Thiers écrivait au même personnage une lettre qui se termine ainsi :

J'ai entrepris une immense tàche (sans renoncer à Florence), c'est l'histoire de l'Empereur. J'avais laissé l'histoire de la Révolution au 18 brumaire; j'avais amassé beaucoup de matériaux pour la suite, et j'aurais voulu remettre cette vaste besogne, lorsqu'on est venu me persécuter pour en finir. Je me suis laissé séduire, et me voilà à l'ouvrage. Je vous fais cette ennuyeuse relation pour vous prier de venir à mon aide avec les matériaux que vous pouvez posséder. Je vous serais bien obligé si vous vouliez m'écrire et me dire quelle serait la nature des documents que vous seriez assez bon pour me fournir. Plus j'étudie les immenses et gigantesques conceptions de votre glorieux frère, plus je me sens saisi d'admiration.

Je suis chargé par ma famille de nous mettre tous aux pieds de la princesse Mathilde. Elle sait quelle respectueuse amitié nous lui portons tous, et avec quel bonheur nous contribuerions à l'adoucissement de ses peines et des vôtres. Le temps viendra, je l'espère, où notre gouvernement sentira ce qu'il doit de soins à la famille de Napoléon. Pour moi, c'est, à mes yeux, une dette sacrée que je serais heureux de voir acquitter par la France. »

M. Thiers conseillait à Jérôme Bonaparte de s'adresser directement à Louis-Philippe pour obtenir l'autorisation

de rentrer en France. Cette démarche répugnait à ce dernier, non pas qu'il refusât de reconnaître la royauté de Louis-Philippe : « Il n'admettait pas, dans sa loyauté, qu'on le crût capable de rentrer en France avec une sorte de restriction mentale, et en protestant secrètement contre les lois sous la protection desquelles il demandait à vivre. Mais sa fierté de Bonaparte, le vieil esprit révolutionnaire qui vivait en lui, tradition mystérieuse dont le fil s'est perdu de nos jours, lui rendaient fort pénible un rapprochement, sous forme de soumission, avec un Bourbon, fût-il de la branche cadette (1). »

M. Thiers, président du conseil des ministres, reçut en 1840, au moment où l'on croyait à une guerre générale, une lettre dans laquelle M. Jérôme Bonaparte, en lui offrant le concours de son épée, lui rappelait ses promesses. M. Thiers répondit : « J'ai reçu du roi et de M. le duc d'Orléans la mission de vous répondre et de vous témoigner combien ils étaient sensibles aux sentiments que vous leur exprimiez. Le roi a vu dans vos lettres la preuve du sens élevé qui a dirigé votre conduite, et il saisira volontiers les occasions qui s'offriront de vous témoigner sa haute estime. Il me charge de vous féliciter du mariage de la princesse Mathilde avec M. le comte Demidoff. Elle sera reçue en France, après son mariage, avec tout l'intérêt qu'elle mérite. Le roi sera heureux de diminuer le nombre des exilés : il n'y en aurait plus un seul s'il dépendait de lui, et si tous les membres de votre famille imitaient la sagesse dont vous leur donnez l'exemple. »

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine.

M. ODILON BARROT ET JEROME BONAPARTE.

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La Chambre des députés repoussa, le 22 mars 1844, une pétition demandant le rétablissement de l'effigie de l'Empereur sur la croix de la Légion d'honneur, l'élargissement du prince Louis, et le rappel de la loi de 1832; plus favorable l'année suivante aux exilés, elle prononça presque à l'unanimité, après un discours de M. Crémieux, le renvoi au président du conseil de plusieurs pétitions signées par des membres des conseils généraux, des conseils d'arrondissement et par un grand nombre de citoyens de la Corse, sollicitant le rappel de la loi de bannissement des Bonaparte. Jérôme Bonaparte crut, deux ans plus tard, le moment favorable pour provoquer, par une pétition à la Chambre, le rappel de la loi qui l'exilait lui et sa famille : « Le roi Jérôme avait choisi, pour être son représentant et son agent, dans les négociations difficiles qui allaient s'entamer, un jeune Corse de beaucoup d'intelligence, d'une rare activité et d'un dévouement à toute épreuve, M. Pietri, nom destiné à une célébrité populaire sous le second Empire. Nous ne raconterons pas les infatigables démarches auxquelles cet homme né pour les entreprises compliquées se livra pendant deux mois (1). »

M. Marie, M. Odilon-Barot, M. Crémieux, M. de Lamartine lui-même promirent leur appui à la pétition. M. Thiers déclara qu'il ne donnerait le sien que sous certaines réserves. M. Pietri comptait aussi sur le concours des généraux Thiard et Oudinot, de MM. Larabit, Léon de Malleville, Dupont (de l'Eure), Suchet d'Albufera, Boulay (de la Meurthe), Émile de Girardin, Daru, Beugnot, etc. Le maréchal Sebastiani montra si

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine.

peu d'empressement à se joindre à eux, que les bonapartistes furent obligés de lui rappeler l'engagement pris par lui en 1831, devant les électeurs de la Corse, de travailler à la rentrée de la famille Bonaparte. Le jeune Piétri, non content de frapper à la porte des ministres, qui ne s'ouvrait pas toujours devant lui, rendait visites sur visites aux députés, aux pairs, aux journalistes ; il se multipliait en quelque sorte pour suffire aux démarches que Jérôme Bonaparte demandait à son zèle.

« Tâchez de voir M. Molé et M. Billault; comme ils sont en position de devenir ministres, leur avis m'est très-important à connaître... Le conseil municipal d'Ajaccio va prendre une décision pour appuyer une pétition, faites connaître cette démarche surtout à Sebastiani... Allez encore, avant la discussion, chez M. de Girardin, pour le remercier personnellement de son appui : c'est un homme qui bientôt, s'il y a un changement de ministère, pourra vous être utile. Menacez-le et flattez-le; demandez à voir Madame et rappelez-moi à son souvenir (1).

que

M. Jérôme Bonaparte demandait-il seulement pour lui, non par voie d'abrogation législative, mais à titre de tolérance personnelle, la faculté de résider en France lorsle gouvernement jugerait convenable de l'y autoriser, ou bien sollicitait-il un acte légal qui le remît sous l'empire de la loi commune ? Le gouvernement, dans le premier cas, aurait accepté le renvoi de la pétition; mais M. Odilon-Barrot soutint à la tribune que Jérôme Bonaparte exigeait formellement sa rentrée dans le droit commun de tous les Français, et que c'était avec ce caractère et ses conséquences que la pétition devait être renvoyée aux conseils de la couronne; cependant, en quittant la séance, il écrivit au pétitionnaire: « Il m'a semblé que

(1) Mémoires et correspondance du roi Jérôme et de la reine Catherine.

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