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rection qui se préparait; il lui proposa de se mettre à sa tête. Le prince, après un moment de réflexion, répondit que si le Sénat l'appelait, il n'hésiterait pas à se rendre à son appel; le colonel Gourgaud dissimula mal un sourire, et l'entretien en resta là.

Les hommes énergiques qui travaillaient à relever le trône de Napoléou pourraient-ils, du moins, compter un jour sur son fils?

Quid puer Ascanius? superatne et vescitur aurâ?

le

Quand un vieux serviteur, fidèle au culte de l'Empire, se rendait à Vienne, et demandait à présenter ses hommages au duc de Reichstadt, le gouverneur du prince lui répondait d'un ton à demi railleur : « Ascagne respire, mais il faut éloigner de lui les émotions; il ne lit, il ne voit, il n'entend que ce que nous voulons qu'il lise, qu'il voie, qu'il entende; s'il recevait par hasard une lettre qui eût trompé notre surveillance, il nous la remettrait avant de l'ouvrir. » Le prince Metternich oubliait que jour approchait où cette séquestration morale devien– drait impossible. Le duc de Reichstadt, en entrant dans l'armée et dans le monde, n'allait-il pas se trouver tout de suite en rapport avec une foule de personnages ayant connu son père et joué un rôle de son temps? Le maréchal Marmont, exilé à la suite de la révolution de 1830, arrivait précisément à Vienne au moment où le duc de Reichstadt s'apprêtait à faire ses premières armes. Le prince Metternich, reconnaissant enfin l'inutilité de tant de précautions, fit au maréchal la proposition d'être en quelque sorte l'instituteur du fils de son ancien maître, et de lui apprendre l'histoire d'une époque où il avait

LE DUC DE REICHSTADT.

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tenu lui-même une place importante. Le duc de Raguse accepta cette offre à la condition de ne rien cacher à son élève; il a légué au musée de Châtillon-sur-Seine un portrait du duc de Reichstadt au bas duquel le prince a tracé de sa main ces vers de Racine :

Arrivé près de moi, par un zèle sincère,

Tu me contais alors l'histoire de mon père,
Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,
S'échauffait au récit de ses nobles exploits.

Quels sentiments, quelles idées la voix de Marmont évoquait-elle dans le cœur et dans l'esprit du duc de Reichstadt? La mort a emporté ce secret. La fin prématurée de l'héritier de l'Empereur servit peut-être mieux la cause de l'empire qu'une vie plus longue; la captivité du fils devint, pour les esprits romanesques, le complément obligé de la captivité du père, elle forma la suite d'une légende dans laquelle ils se confondent tous les deux.

Il faut maintenant, pour achever ce tableau de la famille Bonaparte, dire quelques mots des femmes après avoir parlé des hommes qui la composent.

Caroline Bonaparte, femme de Joachim Murat, roi de Naples, seule des trois sœurs de Napoléon, mourut en laissant une postérité mâle. Son frère disait d'elle à Sainte-Hélène : « Avec une figure fort belle, Caroline » n'avait pas moins été considérée, dans son enfance, » comme la sotte, la cendrillon de la famille; mais elle »en a bien appelé. Elle a été une très-belle femme, et est » devenue très-capable. Les événements l'avaient formée, » et il y avait chez elle de l'étoffe, beaucoup de caractère, » et une ambition désordonnée. »>

La veuve de Murat, Caroline Bonaparte, reparut à Paris en 1838. Les Chambres, sur la proposition du gouvernement, lui votèrent une pension de 100 000 fr. Cette libéralité se justifiait non par les droits de l'ex-reine de Naples, qui n'existaient pas d'après l'exposé des motifs présenté par le ministre à la Chambre, mais par les singulières considérations que voici : « Le gouvernement du roi voit les malheurs de madame la comtesse de Lipona; il considère que les armes françaises l'avaient portée au rang des têtes couronnées et qu'elle est la sœur de l'empereur Napoléon. Ces motifs justifient auprès de nous le projet de loi que nous avons l'honneur de vous présenter ».

Le ferme profil de l'ex-reine de Naples, entrevu dans l'ombre de la baignoire du Théâtre-Italien où elle aimait à se cacher, évoquait le souvenir des scènes dramatiques de sa vie, en même temps que ses yeux éteints, ses traits vieillis, trahissaient la fatigue et le découragement d'une âme désillusionnée. Ses deux fils habitaient l'Amérique du Nord; ils semblaient avoir complétement oublié que la destinée leur promettait des couronnes. L'aîné, Achille, auteur d'un livre sur les États-Unis, où il faisait l'apologie de l'esclavage, survécut quelques années seulement à sa mère, et mourut en Amérique sans laisser de postérité. Lucien, son frère, l'avait rejoint en 1824; le dernier fils. du roi de Naples, marié en 1827 à miss Caroline-Georgina Fraser, et ruiné par des faillites, n'eut bientôt d'autre ressource, pour subsister, que le produit d'une école de jeunes filles tenue par sa femme (1).

(1) Histoire de la dynastie napoléonienne, par A. S. de Darcourt.

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Les deux filles de Murat vivaient mariées en Italie, l'aînée au comte Pepoli, la seconde au comte Rasponi.

Élisa Bonaparte, élevée à Saint-Cyr, aimait la société des hommes de lettres: Boufflers, La Harpe, Fontanes, Chateaubriand, etc., formèrent longtemps sa cour à Paris; Talleyrand lui avait donné le surnom de Sémiramis de Lucques, qu'elle justifiait, du moins par ses traits, si l'on en juge par les pièces de monnaie où l'effigie de Bacciocchi, ex-capitaine dans Royal-Corse, a l'air de se glisser timidement à côté de la figure de sa femme. Sémiramis descendue du trône en 1844, n'était plus qu'une aimable Italienne, la comtesse Campignano, lorsqu'elle mourut, en 1821, des suites d'une fièvre nerveuse. Sa fille unique avait épousé le comte Camerata, riche propriétaire de la Marche d'Ancône.

Pauline, la plus jeune des sœurs de l'Empereur, celle qu'il a toujours préférée, montre du cœur dans sa correspondance avec Fréron; sa douleur et sa fierté émeuvent dans la scène qui se passe en 1814 au milieu du salon du château du Luc, où, les yeux en pleurs, pâle, indignée, elle refuse de reconnaître l'Empereur sous son uniforme d'officier autrichien. Pauline, veuve du général Leclerc, et trop pressée de devenir princesse, perdit, en épousant le prince Borghèse, la possibilité de devenir reine plus tard. Si ce mariage fut, comme on l'assure, un mariage d'inclination, il eut le sort de beaucoup de ces mariages; les deux époux ne tardèrent pas à se séparer. La princesse habitait à Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré, l'hôtel occupé aujourd'hui par l'ambassade anglaise; le prince dans son palais de Rome. Pauline, quelque temps après la chute de l'Empire, ma

nifesta l'intention de se réunir à son mari; il refusa de la recevoir. Le pape, à qui les Bonaparte causaient souvent bien des embarras, chargea les cardinaux Consalvi, Spada et Della Somaglia, presque un conclave, de terminer ce différend. Les cardinaux décidèrent que le palais Borghèse serait divisé en deux parties, l'une destinée uniquement au prince, l'autre à la princesse; ils réglèrent en même temps les arrangements pécuniaires entre les deux époux. Pauline, souvent rebelle aux ordres de l'Empereur, mais pleine d'affection et de dévouement pour son frère, lui porta ses diamants à l'île d'Elbe; ses espérances bonapartistes ne survécurent pas à Waterloo ; devenue très-indifférente à la politique, elle écrivait encore quelquefois à ses amis de France, mais plutôt pour leur demander des femmes de chambre, des cuisiniers et des pommades, que pour s'entretenir des affaires publiques. Pauline, entourée d'étrangers, d'Anglais surtout, ne songeait guère à conspirer contre les Bourbons.

Élisa, Caroline, Pauline, ces belles Italiennes, étaient restées Italiennes d'esprit et de cœur autant que de physionomie les sœurs de Napoléon, dans leur beauté païenne, représentaient le côté classique de l'Empire. Hortense de Beauharnais, Corinne de boudoir, chantant les ménestrels et les paladins, musicienne, peintre, poëte, en personnifiait le romantisme. Les dénicheurs de difficultés historiques ont pu contester à Rouget de l'Isle la paternité de la Marseillaise, mais comment disputer à la reine Hortense la sentimentale romance du Beau Dunois, cette mélodie qui semble dictée par la muse de l'Empire elle-même à celle qui fut, jusqu'à son dernier soupir, le vivant symbole des traditions, des arts, de la littérature,

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