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lendemain matin. M. de Persigny remplira les fonctions de commissaire spécial auprès du colonel Espinasse chargé de s'emparer du palais législatif. La nuit s'avance, les conjurés se retirent. M. Louis Bonaparte, dit un de ses historiens, reste avec M. Mocquard « à se promener de long en large dans l'appartement, et surtout à rire de la figure que feraient le lendemain les deux plus petits hommes de l'Assemblée législative, M. Thiers et M. Baze, lorsqu'ils se verraient prisonniers et en chemise ».

M. de Saint-Georges, directeur de l'Imprimerie nationale, initié au complot depuis longtemps, ignorait cependant le jour et l'heure de l'exécution. Ce fonctionnaire, invité à se trouver à onze heures à son poste, attendait avec impatience dans la cour de l'Imprimerie, déjà occupée par une compagnie de gendarmes mobiles, l'arrivée du messager de l'Élysée chargé de lui donner l'explication de cette invitation. Un fiacre passe sous la porte cochère, M. de Béville met pied à terre. La voiture remisée et le cocher en lieu de sûreté, M. de Saint-Georges reçoit des mains de l'aide de camp de M. Louis Bonaparte les papiers qu'il doit livrer à l'impression. Des ouvriers ont été consignés sous prétexte d'un travail d'urgence. Les ouvriers refusent d'abord de rien composer; M. de Béville fait alors demander si parmi les gardes municipaux il n'y aurait pas quelques anciens ouvriers typographes; trois ou quatre se présentent. Bientôt les ouvriers de l'Imprimerie nationale, cédant enfin aux menaces, consentirent à se mettre à l'ouvrage. M. de Béville donne de nouveaux ordres aux officiers de la gendarmerie mobile, les armes sont chargées, et des sentinelles placées aux portes et aux fenêtres la consigne est de faire feu sur tout ouvrier qui

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TOUT EST PRÊT A LA PRÉFECTURE DE POLICE.

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essayerait de sortir ou qui s'approcherait d'une fenêtre; les manuscrits, livrés par fragments aux typographes, échappent à toute tentative pour en deviner le sens. Deux gendarmes postés entre chaque ouvrier rendent en même temps tout refus de travail impossible : les gendarmes, au moindre signe de rébellion, ont l'ordre de faire usage de leurs armes. Un de ces soldats disait en visitant la batterie de son fusil : « Nous aussi, mon vieux, nous allons causer politique. >>

Toutes les pièces sont imprimées à trois heures et demie. Le fiacre qui a conduit M. de Béville à l'Imprimerie nationale le transporte, ainsi que M. de Saint-Georges, à la préfecture de police : ils remettent eux-mêmes à M. de Maupas les exemplaires encore humides des proclamations que ce dernier est chargé de faire afficher. Ces proclamations ont été lues aux soldats de l'Imprimerie nationale. La gendarmerie les a couvertes d'acclamations.

Des bureaux de police existent dans tous les quartiers de Paris; les agents de service, pendant le jour, s'y réunissent pour répondre à un dernier appel avant de rentrer chez eux. Le lundi 1er décembre, les agents consignés dès onze heures du soir dans ces bureaux, avaient reçu l'ordre d'y attendre l'arrivée d'un commissaire de police ou d'un officier de paix chargé de leur donner des instructions. Les agents réunis à la préfecture devaient obéir à des ordres semblables; les huit cents sergents de ville s'y trouvaient rassemblés à minuit... l'arrivée prétendue des principaux réfugiés de Londres servait de prétexte à ces mesures.

M. Carlier, en se livrant aux études préliminaires de son plan de coup d'Etat, n'avait point négligé le choix

des commissaires de police. Ces magistrats, complices de tous les actes réactionnaires du gouvernement, n'envisageaient pas sans terreur le maintien de la République; le triomphe du bonapartisme ouvrait, au contraire, devant eux une agréable perspective de récompenses et d'avancement. M. Carlier comptait donc sur le concours des quarante commissaires de police qui déjà, sous sa direction, avaient soigneusement étudié et approfondi les parties du coup d'État dont l'exécution devait leur être confiée; ils connaissaient par eux-mêmes ou par leurs agents le genre de vie, les habitudes des personnes inscrites sur la liste d'arrestation; pas un de ces agents ne savait le but réel de sa mission, tous avaient des missions diverses et imaginaires. M. de Maupas était donc sûr d'avance de trouver dans les commissaires de police des auxiliaires discrets et préparés de longue date à leur besogne.

Les quarante commissaires de police et les officiers de paix convoqués à domicile à trois heures et demie du matin sont réunis tous, une heure après, à la préfecture de police, par petits groupes dans des appartements séparés, pour éviter les questions. Mandés à cinq heures du matin par M. de Maupas, et admis l'un après l'autre dans son cabinet, ils reçoivent de sa bouche les indications, les instruments et les ordres nécessaires. « Les hommes avaient été appropriés avec un soin spécial au genre d'opération qui leur était confié; tous partirent pleins de zèle et d'ardeur, résolus d'accomplir leur devoir à tout prix. Aucun d'eux n'a failli à sa promesse (1). »

(1) Récit complet et authentique des événements de décembre, par A. Granier de Cassagnac.

LES TAMBOURS DE LA GARDE NATIONALE SONT CREVÉS. 283

Les commissaires trouvent dans les cours de la préfecture des voitures prêtes à les emporter sur le théâtre de l'action, d'autres voitures sont destinées aux agents et aux sergents de ville chargés de les seconder; quelques commissaires s'arrêtent en passant devant les postes de police pour y prendre les hommes consignés. Les seize mandats contre les représentants du peuple sont décernés sous prévention de complot contre la sûreté de l'État.

Au moment même où les commissaires de police entraient dans le cabinet de M. de Maupas, le chef d'étatmajor Vieyra recevait la visite de M. de Menneval, officier d'ordonnance du président de la République, chargé de lui donner communication d'une lettre autographe adressée au général Lawoestine. Cette lettre contenait injonction de s'opposer à toute prise d'armes de la garde nationale. M. Louis Bonaparte ajoutait que s'il avait besoin des légions dévouées, il donnerait des ordres ultérieurs pour les convoquer. Vieyra se rendit à l'état-major, et fit signer au général commandant en chef des lettres adressées à tous les colonels, et leur ordonnant de ne laisser, sous aucun prétexte, battre le rappel, sans un ordre exprès de l'état-major général. Les colonels devaient remettre un reçu au porteur de la lettre. Tous les tambours déposés à l'état-major furent crevés sous les yeux de Vieyra; il donna ensuite avis au ministre de l'intérieur et au ministre de la guerre que sept mille fusils environ et plus de cent mille cartouches étaient déposés dans les diverses mairies. Ces armes et ces munitions prirent dans la journée la route de Vincennes.

Les représentants sur lesquels la police avait l'ordre de

mettre la main étaient les généraux Cavaignac, Lamoricière, Changarnier, Bedeau, Le Flo, le lieutenant-colonel Charras, le capitaine Cholat, le lieutenant Valentin; MM. Thiers, Baze, Roger (du Nord), Greppo, Lagrange, Miot, Beaune. Une autre liste contenait les noms. des citoyens Grignan, Stevenot, Michel, Artaud, Geniller, Vasbenter, Philippe, Breguet, Delpech, Gabriel, Schmidt, Beaune, frère du représentant, Houl, Cellier, Jacotier, Kuch, Six, Brun, Lemerie, Malapert, Hilbach, Lecomte, Meunier, Buisson, Musson, Bonvallet, Guiterie, Choquin, Bilotte, Voinier, Thomas, Curnel, Boireau, Crousse, Baillet, Noguez, Lucas, Lasserre, Cahaigne, Magen, Polino, Deluc. Ce dernier put échapper aux agents, combattit vaillamment dans les journées suivantes, et parvint, après la défaite, à gagner la Belgique (1).

Il est six heures du matin ; les sergents de ville se promènent silencieusement par pelotons dans chaque rue où doit s'opérer une arrestation, tandis que leurs patrouilles circulent dans tout le quartier, prêtes à agir au premier signal.

Le général Cavaignac, descendu du pouvoir sans autre fortune que sa retraite de général de division, occupait un modeste appartement à l'entre-sol de la maison n° 12 de la rue du Helder. Le concierge est réveillé à six heures cinq minutes par le commissaire de police Colin, qui monte directement à l'appartement de l'ancien chef du pouvoir exécutif.

La gouvernante du général, depuis longtemps attachée à sa famille, se lève au premier coup de sonnette; elle

(1) Eugène Ténot, Paris en décembre 1851.

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