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l'accueil que méritait le fondateur de l'Occident français, et devint bientôt en quelque sorte le secrétaire des commandements de M. Louis Bonaparte. Ce dernier venait précisément de publier son Manuel d'artillerie. La remise de ce livre, au nom de l'auteur, à certains officiers de l'armée française, à quelques personnages importants, et aux principaux journalistes, fournissait un excellent prétexte pour s'assurer des sentiments et des dispositions. d'une partie de l'armée et de la société françaises. M. Fialin, au moment de se transformer en commis-voyageur des idées napoléoniennes, emprunta le nom de Persigny à une ancienne propriété de la famille de sa mère, située dans la commune de Crémeaux, en Forez. Il partit pour la France, aussi confiant dans sa mission que désireux de justifier la devise qu'il venait d'inscrire au bas de son écusson de vicomte: Je sers!

Le missionnaire bouapartiste revint à Arenenberg, apportant à M. Louis-Napoléon Bonaparte des complicités morales, préférables peut-être à toutes les complicités matérielles; quel plus grand encouragement pour le prétendant que ces paroles de Carrel à M. de Persigny, après une conversation où ce dernier venait de lui expliquer les idées du neveu de l'Empereur? « Le nom qu'il porte est le seul qui puisse exciter fortement les sympathies populaires; s'il sait oublier ses droits de légitimité impériale, pour ne se rappeler que la souveraineté du peuple, il peut être appelé à jouer un grand rôle. »

Louis-Napoléon tenta bientôt de réaliser cette prédiction. La conspiration de Strasbourg échoua, mais la facilité avec laquelle des officiers français avaient trahi leur serment à la voix d'un jeune homme connu seulement par

LA CONSPIRATION DE STRASBOURG.

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son origine, l'indécision des soldats en sa présence, les acclamations de la population sur son passage, la puissance des souvenirs impérialistes, le prestige du nom de l'Empereur, donnaient matière à de graves réflexions. Le gouvernement dissimula ses alarmes; ce qu'il savait sur la conspiration était de nature à les rendre sérieuses, quoiqu'il n'eût pas pu mettre la main sur les papiers du principal conspirateur. Une femme les sauva. Éléonore Archer allait de ville en ville, donnant des concerts publics et chantant dans les salons; un certain Gordon, colonel de la légion étrangère au service d'Isabelle II, vit mademoiselle Archer à Londres, l'épousa, et mourut peu de temps après son mariage, laissant sa femme sans fortune. Éléonore Gordon, recommençant ses pérégrinations lyriques, rencontra M. Louis-Napoléon Bonaparte en Suisse; sa vocation bonapartiste se révéla. Madame Gordon se moutra le plus habile et le plus dévoué des aides de camp du prétendant dans les préparatifs du complot de Strasbourg. Elle en attendait le résultat dans sa chambre de la rue de la Nuée-Bleue, lorsque M. de Persigny accourut sans se douter que les agents de police le serraient de près; le fugitif allait entamer le récit du désastre, lorsqu'une voix se fit entendre: Ouvrez au nom de la loi! Madame Gordon pousse le verrou, et se barricade avec ses meubles. Le commissaire de police est suivi de la force armée et d'un serrurier, la porte cède bientôt à leurs efforts. Au moment où l'air extérieur pénètre dans la chambre : lettres, décrets, proclamations, nominations, listes de noms disparaissaient dans un dernier jet de flamme qui s'élance de la cheminée.

Louis-Philippe cependant en sut assez pour juger pru

dent de faire semblant de ne rien savoir. Après l'audience sollicitée par le général Exelmans pour protester contre la complicité qu'on lui imputait dans l'affaire de Strasbourg, le roi se contenta de dire: « Exelmans se mouche bien vite. » D'autres se mouchèrent plus tard; LouisPhilippe reçut avec empressement les déclarations de dévouement que les généraux lui prodiguèrent, et s'obstina dans ce système dangereux qui consistait à détruire le bonapartisme en l'absorbant et en confondant en quelque sorte la monarchie constitutionnelle avec l'Empire.

La presse ministérielle affectait de se moquer de l'auteur de l'échauffourée et de la misérable équipée de Strasbourg; le gouvernement n'osa pas cependant le traduire devant un jury;'il aima mieux violer le grand principe de l'égalité devant la loi. Soustraire le principal coupable à la justice, c'était assurer l'acquittement de ses complices. Un historien du règne de Louis-Philippe explique ainsi cette imprudente décision :

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« Les auteurs de cette rébellion appartenaient à la justice du pays, mais que devait-il faire du prince?... » A ceux qui, sous un Bourbon, auraient prétendu cou» vrir le nom de l'Empereur d'un privilége de naissance, >> il aurait suffi de montrer le fossé où tomba le cadavre sanglant du duc d'Enghien. Mais les procédés du Con>> sulat n'étaient pas ceux du règne de Louis-Philippe, » et le prisonnier de Strasbourg n'avait pas à redouter le >> sort du prisonnier d'Ettenheim. Aussi la reine Horteuse >> étant accourue à Paris pour prier le roi d'être indul

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gent pour son fils, coupable seulement, disait-elle, » d'une étourderie de jeunesse, reçut-elle immédiate

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LA CONSPIRATION DE STRASBOURG.

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>>ment l'assurance que la vie de ce fils ne courait aucun danger... Le 9 novembre, le préfet du Bas-Rhin et le >> général Voirol vinrent ouvrir au prince les portes de » sa prison, et le firent monter dans une chaise de

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poste... A Paris, le prince apprit la faveur dont il était » l'objet. Il en exprima aussitôt sa reconnaissance par » une lettre au roi, dont il appelait avec instance la bonté » sur ses amis. A Lorient, comme il allait monter sur la » frégate l'Andromède, le sous-préfet, M. Villemain, lui » demanda par ordre du gouvernement s'il avait assez » d'argent pour faire face à ses premiers besoins au lieu » de débarquement, et, sur sa réponse négative, lui >> remit de la part du roi une somme de 16 000 francs » en or. Le 21 novembre, l'Andromède l'emportait loin » de la France (1). »

M. Louis Bonaparte s'est-il engagé après sa capture à rester dix ans en Amérique? Un historien le dit formellement (2). Une lettre de M. Louis-Bonaparte adressée de Londres à cet historien, le 10 novembre 1846, dément cette assertion:

La grave accusation formulée contre moi dans le deuxième volume de votre histoire me force à m'adresser à vous pour réfuter une calomnie déjà vieille, que je ne m'attendais pas à voir remettre en lumière par l'historien de Charlemagne, à qui je devais le souvenir de quelques mots flatteurs.

» Vous croyez que, en 1836, expulsé de France malgré mes protestations, j'ai donné ma parole de rester perpétuellement exilé en Amérique, et que cette parole a été violée par mon retour en Europe. Je donne ici le démenti formel que j'ai si souvent donné à cette fausse allégation. . .

> En 1840, veuillez vous en souvenir, M. Frank-Carré, remplissant

(1) Victor de Nouvion, Histoire du règne de Louis-Philippe.

(2) Capefigue, Histoire de l'Europe depuis l'avénement du roi LouisPhilippe.

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les fonctions de procureur général près la Cour des pairs, fut forcé de déclarer lui-même que j'avais été mis en liberté sans conditions. Vous trouverez ces paroles dans le Moniteur du mois de septembre.

Voici le passage du réquisitoire de M. Frank-Carré invoqué par M. Louis Bonaparte. Le procureur général, après avoir résumé les faits principaux qui se rattachent

la conspiration de Boulogne, ajoute: « Quelle avait été » l'issue? Combien de temps avait-il fallu pour que celui » qui rêvait un trône se réveillât dans les murs d'une » prison dont une clémence aussi libre que généreuse lui » a ouvert les portes? Comment se fait-il qu'il n'ait pas » été alors désabusé? Vaincu sans combats, pardonné » sans conditions, ne devait-il pas comprendre qu'on ne >> redoutait ses entreprises ni comme un péril, ni comme

>> une menace? >>

Louis-Philippe s'est donc, dans cette circonstance, montré généreux jusqu'au bout. M. Louis Bonaparte le reconnaît du reste dans une lettre lue devant le jury de Strasbourg, par M° Parquin, défenseur de son frère, l'un des accusés. « J'étais coupable contre le gouvernement; or le gouvernement a été généreux envers moi. » M° Parquin, en terminant sa lecture, s'écria: « Parmi les défauts de Louis-Napoléon, il ne faut pas du moins compter l'ingratitude. >>

M. Louis Bonaparte débarque à New-York le 3 avril 1837, reçoit dans cette ville une lettre de la reine Hortense lui annonçant qu'elle allait subir une grave opération, il s'embarque immédiatement, et il arrive en Europe à temps pour assister aux derniers moments de sa mère. Le gouvernement français, ému par la présence du conspirateur de Strasbourg sur le territoire suisse, de

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