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tinée à répondre aux alarmes exagérées répandues dans le pays; cette note terminait ainsi. « Éclairé par le >> rapport du ministre sur la véritable situation de l'in>>dustrie, l'Empereur a décidé que le projet de loi soumis » au Corps législatif serait modifié en ce sens que la » levée des prohibitions n'aurait lieu qu'à partir du » 1 juillet 1861. L'industrie française, prévenue des >> intentions bien arrêtées du gouvernement, aura tout le temps nécessaire pour se préparer à un nouveau >> régime commercial. >>

Le Corps législatif touchait à la fin de son existence. légale ; la session de 4856 était l'avant-dernière de cette législature; ses membres se vantaient d'avoir expédié rapidement les affaires du pays. C'est là sans doute un mérite, mais tout le mérite d'une assemblée délibérante n'est pas la rapidité dans l'expédition des affaires qui lui sont soumises. Le parlement est la grande école où les citoyens apprennent à s'occuper des affaires publiques avec plaisir et avec profit pour leur instruction; il est un des plus féconds producteurs d'idées du pays; il fournit des sujets aux livres et aux journaux : quand la source tarit, les courants expirent. La méditation solitaire, les grands efforts de la pensée humaine, ont sans doute leurs résultats sous tous les régimes, mais le mouvement ordinaire des idées ne s'accomplit qu'au moyen de la discussion parlementaire. Le Corps législatif, privé des droits qui faisaient la force et l'utilité générale des anciens parlements, dépourvu de toute initiative, ne pouvant produire sa pensée soit par la discussion d'une adresse, soit par l'interpellation, se voyait encore entravé dans l'humble sphère qui lui était laissée par le défaut

CAUSES DE L'INFÉRIORITÉ DU CORPS LÉGISLATIF.

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de publicité de ses séances. La loi n'interdisait pas au public l'entrée de ses tribunes, un compte rendu de ses séances était rédigé et publié tous les jours pendant la session, mais il n'y avait là que l'apparence de la publicité : la publicité véritable, dans les sociétés modernes, ne s'obtient que par la presse. Quelques curieux dans les tribunes, un froid résumé où le rédacteur du procès-verbal prend la parole à la place de l'orateur et parle successivement au nom de tous, tout cela n'est ni un public ni une publicité. L'orateur, pour publier son discours in extenso, avait besoin de l'autorisation formelle de la Chambre. Une chose non moins essentielle que la publicité manquait au Corps législatif : une contradiction sérieuse. Des conseillers d'État, hommes de talent souvent, souvent très-inexpérimentés et ayant à se créer une autorité personnelle, faisant leur stage en défendant les projets du gouvernement, et parfois sans beaucoup de peine, s'il faut en croire un membre du Corps législatif, n'étaient pas des adversaires bien propres à exciter l'émulation des députés : « Rien n'est

plus affligeant, rien n'affaiblit plus la dignité, l'autorité >> du gouvernement, que le triste spectacle d'un conseiller » d'État défendant par les plus pauvres arguments, d'une >> voix hésitante et intimidée, le projet de loi qu'il est » chargé de soutenir. Je ne veux nommer personne, mais » j'ai assisté plus d'une fois en séance publique à un pareil spectacle. Que du moins le titre et les fonctions >> de conseiller d'État ne deviennent pas monnaie >> courante de faveur ou de récompense pour services >> rendus (4)! »

(1) Quatre ans de règne, où en sommes-nous? par le docteur L. Véron.

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<«< Il ne manque au Corps législatif que du jour et de » la lumière, ajouta le même député, qui pourtant n'était » pas un orateur; la publicité de ses séances n'est que crépusculaire. Les analyses et les procès-verbaux du » Moniteur, sans' mouvement, sans vie, ne mettent en >> relief aucune des impressions que ressent le Corps législatif, nivellent tous les orateurs, font de la Cham>>bre un corps sans âme, privé du sens moral, insensible >> au mal et au bien, à la vérité comme à l'erreur.»> C'était peut-être aller un peu loin, et il est probable qu'un journal ne s'en serait pas tiré sans avertissement, s'il eût continué sur ce ton: « M. Denis-Lagarde, qui prend >> le titre officiel de secrétaire-rédacteur, chef du service » des procès-verbaux, est dans le Moniteur le rédacteur » ordinaire et unique de la Chambre; je le tiens certaine>>ment pour un homme d'esprit et de talent, mais il remplit une difficile et triste tâche, celle de disséquer les discours, de les dépouiller de leurs muscles, de leurs » nerfs, de leur sang artériel et vivifiant. On a, pour ainsi » dire, fait de M. Denis-Lagarde un costumier chargé >>> de mettre un uniforme à la langue française (1). »

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Le Corps législatif, composé de conservateurs convaincus que la sécurité du règne tient à l'infériorité politique des corps délibérants, et à la cessation de cette guerre de portefeuilles qui était l'unique raison d'être, disaientils, du régime parlementaire, avait en définitive le régime qu'il méritait. Mais telle est la logique des choses, que déjà cette assemblée se sentait atteinte d'un certain malaise; elle manquait d'air et de lumière, elle aurait voulu appeler l'attention du public sur ses tra

(4) Quatre ans de règne, où en sommes-nous? par le docteur L. Véron.

PLAINTES DE QUELQUES DÉPUTÉS.

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vaux, et prouver qu'elle savait quelquefois faire entendre des paroles d'indépendance: il y avait quelques orateurs sur ses bancs, s'il fallait en croire les vagues rumeurs qui se répandaient quelquefois, et partout les orateurs veulent être entendus.

Le gouvernement permettait de temps en temps au Corps législatif d'émettre des vœux, et de temps en temps i les exauçait pour ne pas décourager l'activité parlementaire: malgré cette soupape de sûreté, un certain mécontentement régnait dans la salle des conférences; des plaintes s'élevaient principalement sur les heures fixes des audiences ministérielles qui obligeaient souvent les députés à quitter les commissions et les séances publiques, pour se rendre soit dans les bureaux, soit chez les ministres. Ceci semblerait indiquer que sous le régime représentatif se perpétuaient certains abus du régime parlementaire. Les députés ayant appartenu aux anciennes assemblées regrettaient le temps où, à la place d'un conseiller d'État sec et poli, ils voyaient sur le banc ministériel un ministre souriant et toujours prêt à leur répondre. L'accumulation des projets de lois fournissait un autre sujet de plainte. Le premier mois de chaque session n'était que du temps perdu, à cause des retards produits par la présentation de ces projets ; les commissions, surchargées de rapports à la fin de la session, étaient obligées de les rédiger au galop, pour éviter des sessions supplémentaires, gênantes et fatigantes pour la Chambre. Le Corps législatif, qui aurait pu le croire? comptait non-seulement des solliciteurs, mais encore des ambitieux «< habiles à se faire nommer présidents

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de bureaux et membres des commissions» (1), comme si l'on était encore au temps où les gouvernements avaient besoin de faire des conquêtes individuelles. L'auteur de la citation précédente ajoute qu'il n'assurerait pas que le Conseil d'État ou le Sénat n'excitât pas au sein du Corps législatif quelques convoitises » . Le Corps législatif n'était plus qu'une espèce de conseil général, mais tous ses membres ne se résignaient pas à cette diminution; plusieurs d'entre eux en gémissaient dans ces conversations intimes qui se continuent chaque jour à l'écart dans la salle des conférences: là s'épanchaient entre elles «< quelques âmes découragées, quelques cœurs >> abattus se souvenant du passé, inquiets de l'avenir, in» quiets d'une politique cloîtrée, dans un cercle étroit et >> intime, inquiets d'une politique qui ne peut guère don>>ner accès aux opinions désintéressées venant du dehors, » qui ne peut élargir ni fortifier la haute sphère du pouvoir » par l'élévation d'hommes nouveaux » (2). La résignation apparente du Corps législatif cachait, on le voit, un sourd mécontentement. Les membres de cette assemblée murmuraient d'en être réduits à fonctionner à huis clos, sous cloche, dans un lieu qui était la retraite la plus sûre pour se faire oublier, à voir les influences les plus utiles et les plus légitimes annulées, l'émulation anéantie! Quelques-uns se permettaient même d'attaquer cet uniforme imposé aux corps constitués qui les transforme, disaient-ils, en légion où toute individualité se perd: inconséquence familière aux hommes et qui est une des

(1) Quatre ans de règne, où en sommes-nous ? par le docteur L. Véron. (2) Idem.

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