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perfubftantiel, au lieu de dire notre pain quotidien, comme il fe dit communé ment dans l'Eglife. Cette expreffion lui parut une nouveauté dangereuse done Abeillard étoit l'auteur, & il en témoigna fa peine à l'Abbeffe quand il fut au parloir.

rature,

Sa furprise fut encore plus grande, lorfqu'il vit une femme lui prouver par le Grec, par l'Hébreu, par l'Ecriture & par les Peres, qu'il falloit dire nôtre pain fuperfubftantiel, & non pas nôtre pain quotidien, & cela avec une grace, une modeftie, & un tour de fpiritualité qui charmoit le Saint. Mais ne fe picquant point de tant de Litté il fe contenta d'admirer la pro fonde érudition d'Heloïfe, en infiftant toûjours qu'il falloit fe conformer à l'ufage ordinaire de l'Eglife. Saint Jerôme embarraffé quelquefois, comme il l'avoue lui-même, par les difficultés que la Vierge Euftoquie lui propofoit fur quelques paffages de l'Ecriture Sainte, nous eft une image affez naturelle de l'état où fe trouvoit alors faint Bernard avec Heloïfe.

Après quelques entretiens fur d'autres matieres, où l'Abbeffe ne fit pas moins paroître de capacité & de Religion, Abbé de Clairyaux fut fatisfait des

TX. Abeil

lad lui

fentimens de fa piété. Ceux de fes filles. ne le contenterent pas moins, que les honneurs qui lui furent rendus. Heloïfe de fon côté édifiée de l'exhortation qu'il fit à fa Communauté, & de la ferveur qu'il leur avoit infpirée par l'onction de fa parole, ils fe séparerent contens l'un de l'autre.. Mais elle ne manqua pas à la premiere occafion d'informer Abeillard de ce qui s'étoit paffé dans cette entrevûë. Elle fe crut obligée de l'avertir que l'Abbé de Clairvaux letraitoit de Novateur, à caufe du mot: Superfubftantiel, dans l'Oraifon Domipicale qu'on récitoit à l'Eglife.

Delà eft partie cette fçavante Lettrequ'Abeillard écrivit à ce faint Abbé Scrit pour juftifier fa conduite, & lui monrifier cet- trer qu'il ne devoit point être traité de ze prati- Novateur,, pour un terme qui n'étoit

pour jul

que.

point de lui, mais de l'Evangile. Il ́va. à la fource, & remarque que le terme fuperfubftantiel étant dans le texte de faint Mathieu qui a donné l'Oraison Dominicale toute entiere, & dont on a fuivi les termes à l'exception de celui-ci; il paroît plus raifonnable de ne rien changer au texte, & de fe fervir. du terme que faint Mathieu a emploïé, que d'insérer dans fon texte un mot de l'Evangile de faint Luc, qui ne nous

a donné qu'une partie de cette divine priere, telle qu'il l'avoit apprife de faint Paul, qui n'étoit pas préfent lorf que Nôtre-Seigneur l'enfeigna à fes Apôtres. Au lieu que faint Mathieu y étant l'a entendue de la bouche de Jefus-Chrift même.

A ces raifons Abeillard ajoûte que l'Eglife Grecque, qui devroit être plus attachée à l'Evangile de faint Luc qu'à celui de S. Mathieu, puifque le premier qui a écrit en Grec, & l'autre en Hébreu, qui eft une Langue étrangere pour les Grecs, a neanmoins fuivi en ceci le texte de faint Mathieu; ce qu'il prouve par l'autorité de la plupart des Peres Grecs. D'où il conclud qu'on ne' doit point accufer de nouveauté ceux, qui en récitant l'Oraifon Dominicale, difent: Donnez-nous nôtre pain fuperfubftantiel. Qu'il ne prétend pas néanmoins blâmer 'ufage contraire; mais qu'il ne croit pas qu'on doive préférer cette coûtume à la vérité. Qu'ainfi il laiffe la liberté à ceux qui le voudront, de changer les paroles de JefusChrift; mais que pour lui il fera toûjours fon poffible pour conferver les propres termes de Nôtre-Seigneur. Jufqu'ici il n'y avoit rien dont faint Bernard pût s'offenser. Tout y eft civil C iiij.

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& refpectueux : mais fur la fin il pouffe vivement le faint Abbé, & l'expofe, pour ainsi dire, à la raillerie du monde, par le détail qu'il fait des coûtumes de fa maifon de Clairvaux, contraires aux pratiques de l'Eglife, même dans l'Office Divin. Qui pourroit, par exemple s'empêcher de rire, lui dit-il, forf qu'en entrant dans vôtre Eglife un jour de Pâques,. de Noël, ou de Pentecôte, on vous entend chanter à Matines Æterne rerum Conditor, quoique toutes les autres Eglifes aïent des Hymnes particulieres pour ces grandes Fétes en y entendant raifonner Alleluia pendant toute la Septuagéfime contre la pratique univerfelle de l'Eglife; en

vous voïant dire à Ténebres un Invitatoire, une Hymne, & le Gloria Patri à chaque Pleaume, qui font des chants d'Allégreffe que l'Eglife a bannis de fes Offices dans ces jours de douleur qu'elle a deftinés à pleurer la mort de fon Epoux? En ne voïant jamais. faire mémoire de la fainte Vierge, ni des Saints après Laudes, ni après Vêpres, comme fi vous n'aviez pas befoin des prieres des Saints? Ce font de telles pratiques, lui dit-il, qu'on pourroit avec raifon appeller des nouveautés, & non pas de dire l'Oraifon Do..

minicale, comme Jefus-Chrift l'a dite & comme il nous a appris qu'il la falloit dire. Si vous me répondez que vos pratiques font conformes à la Regle de faint Benoît, quoique je n'en convienne pas, je vous dirai auffi que l'Oraifon Dominicale, telle qu'on la récite au Paraclet, dans l'Eglife Grecque & dans d'autres Eglifes, eft conforme à l'Evangile, dont l'autorité fans doute eft plus confidérable, que celle de la Regle de faint Benoît.

On ne fçait ce que faint Bernard ré. pondit à cette Lettre; la fuite nous a fait voir que les reproches qu'Abeillard lui faifoit n'étoient point mal fondés, puifque l'Ordre de Citeaux a abandonné toutes ces pratiques pour fe conformer aux autres Eglifes. Mais comme cela n'arriva que plufieurs fiècles après la mort de faint Bernard ce ne fut auffi que long-temps après celle d'Abeillard, que le Paraclet fe conforma au commun des Fidéles dans la récitation de l'Oraifon Dominicale.

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Cependant cette petite querelle ne laiffa pas d'échauffer les efprits; & cette étincelle de feu aïant refté quelque temps fous la cendre, produifit un grand embrafement qui fut enfin très-funefte à Abeillard, comme nous

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