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samment on présenterait au comité militaire un projet d'organisation. Néanmoins, on faisait courir des bruits de conspiration; chaque jour on indiquait quelque nouvelle réunion secrète d'aristocrates. On disait qu'on combinait une invasion sur les frontières avec un soulèvement dans l'intérieur.

« On assure, continue Desmoulins, qu'il y a actuellement à Barcelone une quantité d'aristocrates et de mécontents français. Ils travaillent en Espagne contre nous... Il règne cependant une grande intelligence entre le cabinet de Paris et celui de Madrid. Des courriers multipliés se succèdent des deux parts. Parmi ceux venus d'Espagne à Paris, il y en a un qui est un grand seigneur espagnol. Il garde l'incognito, mais il est parfaitement connu, et l'on suit de très-près ses démarches.

« On parle de deux escadres espagnoles destinées, dit-on, l'une à croiser sur les côtes de Gascogne, l'autre sur celles de Languedoc et de Provence.

« Le roi de Sardaigne met sur pied des troupes que l'on soupçonne destinées à entrer en France. Le roi de Naples fait des

préparatifs comme pour bombarder Alger.

« Il paraît, d'après toutes ces nouvelies, que les mouvements de ces diverses puissances ont pour objet d'aider le ministère français, dont les mauvaises intentions sont connues, à renverser la constitution et à opérer une contre-révolution.

« Ces avis expliquent le but des signaux qui avaient été établis de Nice à Toulon, le séjour opiniâtre des troupes royales à Marseille, le projet formé d'en augmenter le nombre, l'approvisionnement de vivres et de munitions de guerre dans les deux forts, les canons et les mortiers braqués sur les citoyens, et les manœuvres sourdes du commandant de cette ville, de laquelle les ennemis du bien public se proposent de faire le premier foyer des manœuvres infernales de l'aristocratie agonisante.

« On sait, au reste, que MM. les ambassadeurs de Naples, d'Espagne et de Sardaigne vont presque tous les jours au château des Tuileries; qu'ils y arrivent à dix heures du matin, et n'en sortent qu'à midi, et souvent même plus tard; ce qui doit naturellement faire croire qu'il y a dans ce moment-ci des négociations importantes entre notre cour et les leurs, et que leur objet n'est certainement pas de favoriser le nouveau régime.

<<< Il est encore certain qu'il se tient aux Tuileries, chez la femme du roi, un comité composé de M. le garde des sceaux, de M. de Saint-Priest, de M. le comte de Mercy, ambassadeur de l'empereur, de M. le comte de Reuss, agent secret mais bien connu de la cour

de Vienne. On assure que MM. les ambassadeurs de Naples, d'Espagne et de Sardaigne y sont appelés quelquefois.

« Ce comité peut s'appeler comité autrichien, puisqu'il y a été, dit-on, résolu contre les intérêts de la France, de renouveler l'alliance avec la cour de Vienne, et de tenter de faire rentrer les Pays-Bas sous la domination autrichienne. M. de Montmorin ne se prête pas à ces arrangements politiques; aussi il est assez mal avec la reine.

« On assure que M. l'archevêque de Bordeaux est un des coopérateurs de l'estimable ouvrage des Actes des apôtres. Rivarol fait tout ce qu'il y a de piquant, et M. le garde des sceaux s'est chargé des bouffonneries.

« Un plan de M. de la Tour-du-Pin sur la composition de l'armée a été, dit-on, rejeté dans un comité militaire composé de M. l'archevêque de Vienne, de M. l'archevêque de Bordeaux et de M. le comte de Saint-Priest... Ce dernier ministre est, à ce qu'on assure, l'âme du parti autrichien.» (Révolutions de France et de Brabant, n. 8.)

« On assure, disait Carra le 15 mars, qu'il existe déjà un traité entre la cour des Tuileries et le nouveau roi de Hongrie, pour l'aider à remettre sous l'infàme joug autrichien les provinces belgiques des manœuvres très-actives ont lieu entre les ministres français et les cours de Madrid et de Naples. Des escadres espagnoles croisent dans la Méditerranée et dans le golfe de Gascogne; les commandants des forts sur les côtes de Provence, et surtout à Marseille, font des préparatifs de guerre. La milice nationale de cette ville maritime n'a point d'armes, et on les lui refuse; le roi n'a point encore accepté le décret constitutionnel sur l'organisation de l'armée, quoiqu'il y ait près d'un mois que ce décret est rendu... Si les Espagnols ou les Napolitains entrent ou débarquent dans nos provinces, nous leur enverrons d'abord les décrets de l'assemblée nationale, traduits dans leur langue, puis, s'ils insistent et ne viennent pas boire à la liberté universelle, en prenant notre cocarde, nous enverrons leurs extraits mortuaires à leurs parents. Quant aux Belges, nous les défendrons... Quant à notre armée, nous l'organiserons par le sentiment du patriotisme et par le magnétisme de la fraternité... Amis! redoublons de courage, d'activité, de surveillance et de patriotisme. Une nation, comme la nôtre, de 30 millions d'individus, ne peut pas périr. Ce sont ses ennemis qui périront.» (Annales patriotiques.)

La cour de Turin surtout excitait la méfiance des patriotes. Le comte d'Artois s'y était réfugié auprès de son beau-père, le roi de

Sardaigne, et de nombreux émigrés se réunissaient autour de lui. Turin était en ce moment le centre des menées contre-révolu– tionnaires. La dénonciation positive d'un nouveau complot, venue de cette ville, fut donc accueillie avec une confiance complète.

Extrait d'une lettre de Turin du 12 mars. « Il est arrivé ici depuis quatre jours une personne de Paris, chargée de présenter au comte d'Artois un projet pour opérer une contre-révolution... Pour l'exécution de ce projet on voudrait que le comte d'Artois tâchât d'engager le roi de Sardaigne à prendre fait et cause en fournissant une armée de vingt-cinq mille hommes... On propose de plus que le roi de Sardaigne cautionne un emprunt de plusieurs millions, et que le roi de Naples soit engagé aussi à fournir de l'argent, ainsi que le roi d'Espagne... Quand on se serait assuré de Lyon, le roi serait invité à s'y rendre... L'auteur du projet propose en même temps d'engager les princes d'Allemagne qui ont des droits en Alsace, d'y entrer avec dix à douze mille hommes... Je sais que le comte d'Artois, dans le premier entretien, a dit qu'il ne voulait point de guerre civile, qu'il était bien ici, et qu'il voulait auparavant voir les choses. Or, bien positivement, il n'a donné aucune réponse; et s'il la donne, je la saurai... »

Extrait d'une lettre d'un autre correspondant de Turin du 13 mars. « Je vais vous donner, aussi clairement que je pourrai, l'exposition d'un plan apporté de Paris, en grande hâte, par L. C. D... de la part de D. M. D... et compagnie, et dont L. M. est auteur. Ce nom est assez imposant pour qu'on se tienne sur ses gardes. (Suivent les détails déjà connus.) Le roi sera enlevé de Paris et conduit à Lyon... Je n'ai pas vu ce plan, mais la signora m'en a fait part... » Ces deux lettres furent rendues publiques par l'Observateur dans son no 89, Dans un numéro suivant, il dénonçait la présence d'un régiment de chasseurs à cheval, caché à Rambouillet, et un conciliabule aristocratique au château de Tury.

Extrait d'une lettre du premier de ces correspondants déposé le 22, au comité des recherches. « C'est M. Maillebois qui a donné le plan de la contre-révolution... Le prince de Condé est nommé généralissime. Le roi de Sardaigne fournit des secours d'hommes et d'argent, le roi de Naples, trois ou quatre millions; le duc de Parme, deux millions. »

Vers la fin du mois de mars, l'alarme était devenue générale dans le parti patriote, et les espérances extrêmes dans celui de l'opposition. Des groupes commencèrent à se former au Palais-Royal, sur les boulevards, aux Champs-Élysées; mais la principale cause de ces rassemblements était la misère et le manque de numéraire. Ce

qui le prouve, c'est qu'ils commencèrent par des attroupements que nécessitaient les négociations des billets de la caisse d'escompte. Une réunion de plusieurs milliers d'ouvriers alla chez Bailly demander du travail. On menaça de piller la caisse d'escompte. Les jeunes gens s'armèrent de cannes, et coururent Paris par bandes. La violence de la colère politique donna une nouvelle ardeur à ces groupes. On pense bien que la force publique ne resta pas inerte; elle intervint pour dissiper ces réunions. Il y eut quelques arrestations.

Le 28 mars, la Chronique de Paris annonça la conspiration de. M. Maillebois. Il avait été dénoncé par son secrétaire et un valet. Il s'était enfui, le 22, au château de Tury, où il résidait. Son projet avait été porté à Turin par M. de Bonne-Savardin.

<< Rien de plus certain que les détails de cette nouvelle conspiration de Maillebois, dit Desmoulins. Au moment où le projet eût été adopté à Turin, on devait répandre un manifeste qu'on engagerait M... et M... (sans doute Mounier et Malouet, ou bien J. F. Maury) à rédiger... Alors, Maillebois avait un plan sûr, disait-il, pour amener le roi et sa femme à Lyon sans encombre. Quel pouvait être ce projet d'enlèvement? l'exécution me paraît difficile; le vieux général s'était-il adressé à Cagliostro ou plutôt à Blanchard? car je ne vois qu'un ballon qui eût pu sauver les risques...

« Voilà cinq ou six conspirations consécutives: la conspiration des sacs de farine, la conspiration des sacs d'argent, la conspiration Broglie ou Bezenval, la conspiration Augeard, la conspiration Favras, la conspiration Maillebois.

...

༥ A CES CAUSES ET AUTRES, à ce nous mouvant, en notre qualité de procureur général de la Lanterne, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité, requérons dans chacun des quatrevingt-trois départements la descente comminatoire d'une lanterne au moins. >>

En même temps qu'on se défiait des relations de la cour avec les rois, on se défiait des relations des ministres avec les peuples. A propos d'une adresse des Belges à l'assemblée nationale, on alla jusqu'à accuser Lafayette.

SÉANCE DU 17 MARS. M. le président fait lecture d'une lettre qui lui a été adressée par M. de Montmorin. Voici la substance de cette pièce.M. Van-der-Noot, se disant agent du peuple brabançon, m'avait adressé un paquet contenant, à ce qu'on disait, le manifeste d'indépendance des provinces belgiques. Le roi a ordonné le renvoi de ce paquet. Deux particuliers brabançons sont venus m'apporter une lettre, comme envoyés du peuple de ces mêmes pro

vinces. Je n'ai pu l'ouvrir sans prendre les ordres du roi. Sa Majesté, déterminée par les mêmes raisons, par les circonstances ou par l'état de l'intérieur du Brabant, a pris le même parti.

M. le président annonce qu'il lui a été également remis deux lettres adressées, l'une à l'assemblée nationale, l'autre à lui-même; ni l'une ni l'autre n'ont été ouvertes.

M. de Lafayette. Il n'est aucun Français, aucun ami de la liberté, qui ne doive au peuple de Belgique des vœux et des éloges. Mais on doit, au sujet des lettres dont il s'agit, examiner deux choses. A qui sont-elles adressées, et par qui? Elles sont écrites au corps constituant de France, par un congrès que je respecte, mais qui ne paraît pas avoir tous les caractères qui émanent de la puissance souveraine du peuple. Toute corporation, tout despote, en s'agitant, ne fera que hàter la révolution qui l'attend, et qui doit opérer sa ruine. N'en doutons pas, la liberté reprendra ses droits sur les hommes. Renvoyons au roi la détermination que demande la circonstance actuelle le roi des Français, restaurateur de la liberté, ne nous égarera pas. Je propose le décret suivant :

« L'assemblée nationale ayant pris connaissance d'une lettre adressée à son président, par M. de Montmorin, et instruite des circonstances et de l'état actuel du Brabant, où le congrès ne paraît pas avoir le caractère de la puissance qui émane du peuple, déclare ne pouvoir mieux faire que de s'en rapporter à la sagesse du roi. >> M. Pétion de Villeneuve demande la parole: on veut aller surle-champ aux voix.

M. de Noailles. Le point de la question est de savoir si nous abandonnerons la constitution et les finances. Je propose de répondre qu'occupés sans relâche d'assurer la liberté par la constitution, nous ne pouvons nous occuper d'aucun objet étranger quant à pré

sent.

Après de longues et tumultueuses agitations, l'assemblée ordonne que l'on passe à l'ordre du jour.

Voici les réflexions de Camille Desmoulins sur cette séance.

«M. Rabaud de Saint-Etienne, prêtre marié, président de cette. quinzaine, a fait lecture d'une lettre qui lui a été adressée par M. de Montmorin...

« C'était l'heure de la lecture du procès-verbal : il n'était que dix heures. Qu'est-ce ceci? Notre commandant général, quand il a le temps de faire une apparition à l'assemblée nationale, n'a pas coutume d'y arriver si matin. Je n'examine point si le maire ou le général ont droit de monter à la tribune de l'assemblée nationale; il n'y a pas incompatibilité. Écoutons seulement ce que Pompée va

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