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dire dans le sénat. — Il tire de sa poche un discours et une motion par écrit, que sa brièveté rendait facile à retenir, et il dit..., etc. (Voyez plus haut.)

« J'en demande pardon à M. de Lafayette, que je m'honore infiniment d'avoir pour un de mes souscripteurs; mais je ne lui cacherai pas que sa motion a pénétré de douleur tous les patriotes. Non, ce n'est pas vous, monsieur de Lafayette, qui avez pu écrire ce discours sorti de votre poche et non de votre tête... Ce n'est point là votre style, et encore moins la doctrine que je vous ai entendu professer. Vos paroles ne sont pas un airain sonnant, et une cymbale retentissante comme celles des Malouet et des J. F. Maury : elles sont d'une tout autre conséquence; et ce discours nous aurait jeté dans la consternation, si quelque chose pouvait consterner des Romains. Comment n'avez-vous pas vu qu'il n'y a presque pas un seul mot qui ne vous accuse?

«Que dites-vous, que le peuple français doit des vœux au peuple de Belgique? des vœux à ce peuple qui, à notre exemple, a brisé ses fers! de stériles vœux à ce peuple qui va couvrir notre liberté du rempart de la sienne!...

« Personne ne respecte plus que moi les membres du congrès belgique. Tant pis; car ses deux coryphées, Van-der-Noot et Van-Eupen, sont des membres fort méprisables...

« On doit examiner ici deux choses. Non, il n'en fallait examiner qu'une que c'est un peuple qui écrit à un peuple...

<< Qui ne voit qu'au lieu de renvoyer les deux députés, le président devait leur répondre : Les Belges sont nés à la liberté en même temps que nous; ils sont nos amis, nos frères; nous sommes prêts à vous accueillir lorsque vous aurez présenté vos pouvoirs, lorsque nous verrons qu'ils émanent du souverain.. Voilà ce qu'il était de la justice, de la sagesse, de la dignité de l'assemblée nationale de répondre. De sa justice, parce qu'il est souverainement injuste de ne pas reconnaître ce premier principe, qu'un peuple est libre de changer la forme de son gouvernement. De sa sagesse, parce que l'intérêt de la France est que ses voisins imitent son exemple, et que leur indépendance auxiliaire fortifie la ligue des peuples contre celle des rois. De sa dignité, parce que lorsque le despotisme en France a reconnu, en 1777, l'indépendance des Américains, ce serait le comble de la pusillanimité et de l'opprobre qu'en 1790 la liberté n'osât tendre aux Belges une main fraternelle...

<< Mais où trouver des expressions pour peindre la juste indignation que m'inspire cette proposition qu'on a osé faire à l'assemblée

nationale, de déclarer qu'elle ne peut mieux faire que de s'en rapporter à la sagesse et aux sentiments connus du roi ?...

« Quoi! l'assemblée ne peut mieux faire que de s'en rapporter à la sagesse de Louis XVI!... Elle ne peut mieux faire que de s'en rapporter au beau-frère du tyran détrôné des Belges !... Elle ne peut mieux faire que de s'en rapporter à ce roi qui, au mois de janvier, a déclaré qu'il n'était ni de sa justice, ni de sa sagesse, ni de sa dignité d'ouvrir la lettre du peuple brabançon, séparant ainsi sa justice, sa sagesse et sa dignité de la justice, de la sagesse et de la dignité du peuple français ! Elle ne peut mieux faire que de s'en rapporter aux sentiments connus, au zèle pour la liberté... Grand Dieu! les sentiments connus des Saint-Priest, des Necker, des de la Luzerne!» (Révolutions de France, no 18.)

On commençait à parler beaucoup du club des Amis de la constitution, sous le nom de club des Jacobins. Il jouissait déjà d'une grande réputation et d'une grande influence; car parmi les députations de province qui venaient présenter des adresses à l'assemblée nationale et à la commune de Paris, il y en avait déjà un grand nombre qui allaient présenter leurs hommages aux Jacobins. La grande députation de la Bretagne et de l'Anjou réunis alla chez eux lire une adresse et fraterniser.

<«< Messieurs, leur dit-elle, ceux qui nous ont envoyés nous ont dit : «Dans tous les lieux où vous trouverez des citoyens et des amis de la liberté, allez, en notre nom, leur présenter notre pacte comme un signe d'alliance et d'amitié, et comme le gage le plus précieux de notre estime et de notre dévouement.

<«< Dites aux Français de tous les âges et de tous les pays, que nous les conjurons de se coaliser avec leurs frères de la Bretagne et de l'Anjou; dites-leur qu'une fédération générale est le seul moyen d'affermir la révolution, d'établir une surveillance active dans toutes les parties du royaume et de dissiper les projets audacieux des mécontents et des rebelles. >>

Les journaux firent mention de cet événement; ils nous apprennent aussi que plusieurs des discours qui furent lus à la tribune de l'assemblée nationale, entre autres, celui de Duport sur la justice, celui de Robespierre sur le marc d'argent, avaient été approuvés aux Jacobins. A l'imitation de Paris, il se formait dans un grand nombre de villes des sociétés des amis de la constitution. Dès qu'elles étaient établies, elles se donnaient réciproquement avis de leur existence et ouvraient une correspondance. Un journal de l'é

poque dit qu'on compte sur elles pour soutenir par la parole la révolution que la garde nationale défend par les armes.

« Il est, disait l'Observateur, comme tout le monde sait, deux partis ouvertement opposés dans l'assemblée nationale. Les uns cherchent avec ardeur l'intérêt public; les autres cherchent avec ardeur l'intérêt particulier, c'est-à-dire, le malheur général. Les premiers s'assemblent aux Jacobins. C'est là qu'ils se réunissent avec tous les amis de la constitution pour discuter les bonnes lois à décréter, et préparer les moyens de les faire adopter. Les derniers s'assemblent depuis peu aux Capucins (ce sont ceux que plus haut nous avons vus s'appeler impartiaux). C'est là qu'ils veulent discuter les lois décrétées; c'est là qu'ils veulent établir le foyer de la guerre civile. Ils ont cru séduire le peuple, en rendant leur assemblée publique, en permettant à chaque particulier de faire ses observations, et en donnant à tous les assistants voix délibérative. Dimanche dernier, une foule de patriotes s'y sont rendus, non pour écouter ces hommes dont ils connaissent les mauvais desseins, mais pour les siffler et les huer comme ils le méritaient. C'est en vain qu'ils ont réclamé justice et liberté. Vous nous avez donné voix délibérative, leur dit un des assistants; la majorité ne veut point que vous teniez votre assemblée; la minorité doit céder. Leurs efforts seront vains, la majorité sera toujours du côté des bons citoyens. >> (Observateur, n° 110.)

CHAP. II. - Ordre des travaux de l'assemblée. Parlement de Bordeaux. Lettres de cachet abolies. Traitements payés indûment. M. de Biré employé au département de la guerre, appelé à la barre. - Discussion sur la responsabilité ministérielle à propos d'une lettre non contre-signée du roi. Publication du livre rouge.

L'assemblée nationale fut principalement occupée, dans cette période, de la question financière, de l'organisation judiciaire, de l'abolition des droits féodaux. Les interruptions furent un peu moins fréquentes, mais il était toujours impossible de mettre de l'ordre et de la régularité dans les travaux. Le 21 mars, Menou présenta à ce sujet une motion vivement appuyée par Lafayette. Des députés du côté droit demandèrent que l'assemblée fixât le terme de ses travaux. Celle-ci se borna à décréter la motion de Menou, et à ordonner: 1o au comité de constitution, de présenter, le 28 mars, la série des questions à décider pour achever la constitution; 2o aux autres comités de présenter dans huitaine l'état de leurs travaux. Mais la

séance du 28 mars fut occupée par une longue discussion sur les colonies, et le comité de constitution ne fit son rapport que le 31. Voici ce rapport, qui d'ailleurs ne parvint nullement à ramener un ordre fixe dans les délibérations.

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SÉANCE DU 31 MARS. M. Target. Vous avez ordonné à votre comité de vous présenter la série de vos travaux; qu'avez-vous fait? qu'avez-vous à faire? voilà ce qu'il faut savoir pour mesurer la carrière. On vous a appelés pour restaurer les finances, et la nation vous a députés pour lui donner une constitution. Vous ne deviez vous occuper de finances qu'après avoir rempli ce dernier objet, et vous avez décrété la contribution patriotique, dès que le roi eut accepté les bases constitutionnelles... On n'avait pas prévu que cette assemblée éprouverait pendant trois mois de grands obstacles; on n'avait pas prévu qu'après un temps considérable, cette assemblée, qui devait tout faire, ne serait pas encore faite... Vous avez trouvé la France couverte de priviléges: il n'existe plus de priviléges, il n'existe plus d'ordres; le droit de rendre la justice n'est plus un patrimoine; les biens abandonnés aux ministres du culte rempliront leur destination; au delà ils seront nationaux. Tout s'est abaissé devant la loi. Vous avez posé les bases de tous les pouvoirs; vous avez garanti la nation du despotisme par la loi d'une responsabilité sévère. Il fallait affermir un pouvoir exécutif; vous avez commencé à le faire en rendant des décrets constitutionnels pour l'organisation d'une armée de citoyens liés, par un double serment, à leurs drapeaux et à leur patrie. Vous avez organisé des administrations électives rattachées à l'unité monarchique par la constitution. Tous les Français, soit qu'ils délibèrent sans armes, soit qu'ils combattent les ennemis de l'État, auront cette fierté aussi naturelle à des hommes libres que l'insolence aux esclaves du despotisme; et l'on demande ce que vous avez fait!

Il vous reste à organiser l'ordre judiciaire, le ministère ecclésiastique, les milices nationales, l'armée, les finances et le système d'impositions. Tout est pressé: on ne peut s'occuper de tout à la fois; il faut se tracer un ordre, une marche invariable. Vous avez commencé de discuter l'ordre judiciaire, il faut suivre ce travail. Votre comité vous invite à vous occuper promptement du ministère ecclésiastique, et surtout du remplacement des dimes, ordonné par un de vos décrets du mois d'août. Destinez-y donc dans chaque semaine le dernier des quatre jours que vous accordez à la constitution, et le premier des trois jours consacrés aux finances cet objet tient à tout. L'organisation de l'armée et de la garde nationale doit

succéder immédiatement. Il faudra ensuite songer à compléter et terminer la déclaration des droits et les lois constitutionnelles du pouvoir administratif et du pouvoir exécutif. En suivant cette marche, il surviendra des objets particuliers qu'il faudra bien se garder d'écarter, et qui appartiendront aux séances du soir; par exemple, un règlement sur la chasse, la fin du décret sur les droits féodaux et sur les droits de justice, la composition particulière de l'administration de la ville de Paris, le reste des décrets sur la jurisprudence criminelle, la loi sur les délits auxquels peuvent donner lieu la liberté de la presse, le commerce, l'agriculture, la mendicité, les établissements de charité et l'éducation publique.

Le comité, comptant sur la plus grande activité dans vos travaux, conçoit une espérance peut-être trop flatteuse. Il lui semble que le jour où le roi, au milieu d'un peuple immense, jurera la constitution et recevra vos serments et vos hommages, pourra être l'anniversaire de celui où, après avoir écarté l'armée, seul, sans gardes, sans appareil, il vint vous dire qu'il ne voulait être qu'un avec la nation.

- Le fait le plus saillant dans les séances de l'assemblée, c'est la résistance de plus en plus vive du parti royaliste.

De mois en mois, nous voyons l'opposition changer de méthode, tout en persistant à combattre les tendances révolutionnaires. Elle ne cède sur aucun détail; elle ne reconnaît pas même le fait accompli. Ainsi, lorsqu'un décret contraire à ses prétentions a été rendu, quoique le principe général, d'où il résulte que tel ou tel privilége est aboli, soit clairement posé, elle chicane sur les moyens d'exécution; ainsi, l'assemblée est obligée de revenir encore, et à plusieurs fois, sur les biens du clergé, sur les droits féodaux, etc., questions qui paraissaient cependant définitivement résolues. Ce que le côté droit fait dans le corps législatif, chaque individu le fait partout où il a droit et puissance; rien, en un mot, de ce qui lui déplaît ne s'exécute que par la force. Évidemment l'aristocratie ne croyait point à la solidité de la révolution; elle avait confiance dans le succès de quelqu'une de ces nombreuses et secrètes menées qu'épiait la défiance publique, et dont tant de conspirations avortées avaient révélé quelque partie. Aussi cherchait-elle à gagner du temps, et à empêcher une réalisation dont les effets eussent été à jamais acquis, si elle eût été rapidement achevée.

Nous attirons l'attention de nos lecteurs sur ce fait, qui n'est que le résumé de tous les événements que nous avons racontés, et que nous trouverons encore. Il faut, pour comprendre la colère impulsive des patriotes, connaître la mesure des résistances.

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