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échapper à l'observateur dans l'examen qu'il fait des habitans de la Dalmatie en général, où il trouve les restes des races croisées de presque tous les peuples que nous avons cités, mais aucun descendant des anciens Dalmates qui conserve leur sang pur et sans mélange.

Là, se termine la première partie purement historique de l'ouvrage, et commence la relation du voyage entrepris par le C. Cassas, en 1782 (1).

L'artiste s'embarque à Venise, assiste avant de partir à la cérémonie du mariage du doge avec la mer Adriatique, s'arrête un instant à Ravigno, jolie ville située sur un rocher dans une presqu'île sur la côte occidentale de l'Istrie; ce rocher est la carrière d'où l'on tire toutes les pierres qui servent aux constructions de Venise.

De-là il se rend à Pola, où de beaux et grands monumens de l'antiquité se présentent à ses pinceaux, et où le plus superbe amphithéâtre brille encore par sa propre beauté et par le site heureux où il se trouve placé dans cette partie de l'Istrie.

L'artiste y reconnaît et y dessine le temple dédié à Rome et à Auguste; il cherche vainement l'apparence d'un palais dans quelques pierres que la tradition décore du nom de palais de Julio, et voit avec admiration Fensemble et les détails de cet arc de triomphe élégant que Salvia Postuma fit ériger à Sergius Lepidus, son mari, édile et tribun, militaire de la 29e légion et qu'on appelle maintenant Porta aurea.

Dans l'église principale de Pola (il Duomo), il recherché avec avidité les fondations, les fragmens, les Sarcophages, les inscriptions qui, épars dans la construction moderne et pittoresquement ajustés, prouvent que c'est

(1) Tems du voyage. Le 10 mai 1782, le C. Cassas partit de Rome pour Trieste; le 15 il arriva à Ancône et le 17 à Venise, après s'être embarqué le 16 à Pesaro. Retour. Le 24 juillet il s'embarqua à Spolatro pour Trieste. En 17 jours, dans lesquels six furent employés à Pola, il fit sa traversée, et arriva à Trieste le 10 Août 1782.

sur la base et les débris d'un temple antique que le nouveau a été érigé ; et c'est ce que l'on voit assez constamment dans ces sortes d'édifices.

Le voyageur ne pouvant alors satisfaire son desir de dessiner en détail tant d'objets intéressans, se rembarque, descend un moment à Capo d'Istria et se rend à Trieste, en visite le port, et pressé du desir de voir la Dalmatie, il cherche les moyens d'y arriver. Des compagnons se présentent, il part avec eux, se réservant de dessiner plus tard les vues de Trieste, objet qui lui était spécialement recommandé pour l'empereur Joseph II, revoit un instant Pola et ses précieux restes d'antiquité, et remet à la voile: il obtient dans cette traversée les honneurs d'une tempête, c'est ce que tout voyageur aime à raconter au port, mais rien n'a moins de charmes lorsque l'on n'a que le capitaine et des matelots pour compagnons et pour témoins de ses angoisses.

La mer devenue plus calme, il débarque à Fiume, y laisse ses compagnons déjà dégoûtés du voyage, passe à Veglia, où il entend parler pour la première fois le dialecte illyrien, et voit quelques bréviaires écrits dans la même langue.

Après la tempête, un autre danger vient menacer le voyageur, c'est une rencontre à Punta-Dura, de bandits écumeurs de mer qui se mettent la nuit à la poursuite des barques celle de notre voyageur n'échappe que par miracle et arrive à Zara, ville que son port et ses édifices rendent recommandable, mais beaucoup moins célèbreque la liqueur faite avec les marasques, espèce de cerises, et connue sous le nom de marasquin. Elle a perdu les vestiges de ses monumens antiques et les restes de l'amphithéâtre ont servi pour achever quelques bastions: un seul arc de triomphe qui existait à Nona, ville antique, érigé par une femme, Melia Anniana, à son époux Lepicius Bassus, n'est pas entièrement détruit et ses fragmens forment la partie dite Saint-Chrysogone. Quelques fragmens et un reste d'inscription Junoni Augusta, font

croire qu'il y avait dans cette ville un temple à cette divinité. Une autre inscription rappelle le culte d'Isis et de Sérapis. D'autres encore font mention d'Auguste, de Tibère, etc.

Un aqueduc qui fut considérable a laissé quelques ruines éparses dans les environs, et l'on suit encore sa direction le long des rives de la mer, dans les bois de Sustiza et jusqu'à Torcetta, où il forme un sentier aux gens de pied et aux bêtes de somme jusqu'à Zara Vecchia, où ses traces sont tout à fait perdues.

Les ruines de Nona, ville romaine et depuis le siége des rois Esclavons, ont offert aussi quelques monumens aux recherches d'un antiquaire du pays, le docteur Danieli, qui s'empresse de les montrer aux étrangers, dans sa maison où il les a recueillis.

(La suite au numéro prochain. )

LITTÉRATURE.

CUYRES POSTHUMES DE THOMAS, de l'Académie française. A Paris, chez Desessarts, éditeur et libraire, rue du Théâtre Français, no 9. 2 vol. in-8°.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans la littérature d'un peuple, ce ne sont pas les ouvrages, quelque bons qu'ils soient, qui s'élèvent, en quelque sorte, du milieu de ce peuple, empreints de son esprit, de ses connaissances acquises, de ses opinions régnantes, de la liberté dont il jouit, et qui, sous ces différens rapports, sont à la fois le produit et le signe ou l'indice de ses progrès: ce sont ceux qui naissent indépendans de toutes circonstances publiques, ou n'en tirent une partie de leur effet que par le contraste qu'ils forment avec elles; ceux qui s'élancent en avant de leur siècle, armés de la seule force du génie de leurs auteurs; et qui souvent méconnus ou imparfaitement appréciés de leur tems, ne paraîtront, pour ainsi dire, contemporains que dans un autre âge, lorsque les idées et

les sentimens dont ils sont pleins auront germé dans les têtes et dans les ames, lorsque l'esprit public qu'ils avaient devancé, se sera mis de niveau et comme en équilibre

avec eux.

Tels furent principalement en France, dans le 18 siècle, les écrits de Montesquieu et de J. J. Rousseau. Ils se sont agrandis de tout l'espace qui sépare l'époque où nous sommes de celle où ils parurent au jour. C'est depuis qu'il n'y a plus pour nous ni pouvoir despotique d'un roi ni parlemens tyranniques, ni clergé persécuteur, que nous sentons bien tout ce qu'il fallut de génie et de courage pour écrire l'Esprit des lois et le Contrat social, sous les yeux jaloux et inquisiteurs de cette triple puissance.

Il y aurait peut-être de l'exagération à placer Thomas auprès de ces deux grands instituteurs des nations; et cependant quel rang inférieur peut-on assigner dans l'estime à l'auteur de l'Eloge de Marc-Aurèle et de l'Essai sur les éloges? Dans l'un et dans l'autre, Thomas semble avoir pris les choses au point où ses deux prédécesseurs les avaient mises, regarder comme établie la liberté dont ils avaient posé les fondemens, et parler au milieu des institutions monarchiques, alors dans toute leur force, comme il aurait fait dans le sein d'une République.

Les Œuvres posthumes de ce philosophe éloquent qui viennent de paraître, m'ont fait relire ces deux onvrages, que j'ai toujours mis dans le petit nombre de ceux aux¬ quels il faut revenir de tems en tems. Plein de l'impression qu'ils m'ont laissée, je ne puis me défendre d'en parler, avant de parler des Œuvres posthumes: pour beaucoup de lecteurs, entraînés, comme nous le sommes tous, par une multitude d'autres objets, ils auront, avec l'intérêt d'ouvrages consacrés par d'anciens suffrages, l'intérêt encore de la nouveauté.

Dans l'Essai sur les éloges, qui fut trop peu vanté, mais qu'on n'aurait pu louer comme il le méritait, sans presque autant de courage qu'il y en avait à le publier, l'auteur ne pet faire et bien des gens ne virent en effet qu'un Traite

de rhétorique, sur une branche de l'art dont on voulait bien avouer au moins qu'il avait quelque droit de parler. Mais quel plan vaste et quelle conception hardie! quelle exécution ferme, quelle vigueur de pensée et de style!

En suivant l'histoire des éloges depuis les Egyptiens et les Grecs jusqu'à nous, sous prétexte de tracer les révolutions de l'éloquence, ce sont réellement les vicissitudes de la liberté qu'il nous trace: il ne semble vouloir juger que des orateurs, et ce sont presque tous les per sonnages de l'histoire qu'il cite eux-mêmes devant lui; il les remet à leur place, et avec eux leurs panégyristes. Et comme ces personnages, souvent loués pendant leur vie par la crainte vile, ou par l'intérêt plus vil encore, tinrent presque tous dans leurs mains le sort des peuples, c'est la destinée même des nations, leur caractère et le progrès de leur avilissement ou de leur gloire, c'est toute l'histoire morale de cette misérable race humaine qu'on passe rapidement en revue, dans un livre où l'on ne s'at tendait à trouver que des règles ou des faits, relatifs à l'art oratoire.

Quel est le résultat de ce livre ? c'est qu'il n'y a eu, qu'il ne peut y avoir de véritable éloquence que dans les républiques; c'est que le génie de l'éloquence et celui de la liberté ne sont qu'un ; c'est que les éloges d'hommes puissans qui ne les méritent pas ne les honorent jamais dans la postérité, et qu'ils y déshonorent leurs auteurs ; c'est enfin qu'un orateur vénal peut bien distribuer des louanges, mais non pas de la gloire.

Ces vérités, presque triviales pour nous, depuis que nous sommes libres, mais qui étaient alors fortes et courageuses, ressortent à chaque page, et toujours animées par la chaleur et les mouvemens d'un style nerveux, éloquent et noble.

Il ne faut qu'ouvrir cet excellent ouvrage pour y trouver des morceaux tels que celui-ci. « Tant qu'un prince est vivant, tous les regards sont fixés sur lui; son rang, les hommages qu'il reçoit, les espérances et les craintes d'uu

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